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Afrique du Sud : une « transition juste » est-elle possible dans une société profondément inégalitaire ?

La Déclaration pour une transition juste, adoptée lors de la COP26, reconnaît l’importance de développer des actions climatiques qui soient « pleinement inclusives et bénéficient aux plus vulnérables ». L’Afrique illustre bien la complexité de l’équilibre à trouver entre, d’une part, les besoins de développement des États et, d’autre part, la nécessité d’atténuer les émissions des gaz à effet de serre.

Si l’Afrique subsaharienne ne représente que 4 % des 2,5 milliards de tonnes de carbone émises mondialement depuis 1850, il est estimé que pour tenir les engagements actuels en termes de trajectoires d’émissions, la région devrait renoncer à brûler 90 % de ses réserves connues de charbon. On comprend mieux l’importance de repenser les trajectoires de développement.

Cependant, plus largement, c’est le concept même de « transition juste » qui est à préciser. Dans un chapitre consacré à l’Afrique du Sud publié dans l’ouvrage « L’Économie africaine 2022 », nous soulignons les défis et la nécessité de passer d’une transition juste affirmative, où il suffirait de récompenser les perdants de la transition bas-carbone, à une transition juste transformative qui, en plus de favoriser l’émergence d’une économie décarbonée, restructurerait le système de production et de propriété pour aboutir à une distribution plus équitable des opportunités et de la richesse.

L’Afrique du Sud comme cas d’école

Le concept de transition juste a été élaboré par le Syndicat des travailleurs de l’industrie pétrolière, chimique et atomique en Amérique du Nord en 1973. Il est né de la prise de conscience que les crises environnementales et sociales sont liées, et que la transition doit prendre en compte les travailleurs et les plus pauvres.

Au travers du cas de l’Afrique du Sud, nous montrons dans le chapitre les défis liés à l’émergence d’une transition juste et nous invitons à repenser le concept traditionnel de « transition juste », tel que proposé par les syndicats américains dans les années 1970, pour aller vers une approche qui prendrait en compte les différentes facettes des inégalités.

Celles-ci vont des inégalités d’éducation et de santé entre les populations noires et métisses et la minorité blanche, aux inégalités spatiales entre les provinces et les municipalités, notamment par rapport aux anciens bantoustans, mais également à l’échelle des villes, polarisées et tentaculaires, où les pauvres vivent loin des centres économiques et subissent des coûts de transport significatifs.

L’Afrique du Sud est le pays qui symbolise probablement le plus les contraintes et les opportunités de transformation liées au développement d’une économie bas-carbone. Le pays concentre 90 % des réserves de charbon en Afrique et est le premier émetteur sur le continent. C’est également le pays le plus volontaire à s’engager dans une trajectoire bas-carbone, en ayant notamment revu à la baisse ses objectifs d’émission à l’horizon 2030 avant la COP26.

Mais l’Afrique du Sud est également l’un des pays, sinon le pays, le plus inégalitaire au monde. Les 10 % les plus riches reçoivent plus de 66 % du revenu total, alors que les 50 % les plus pauvres ne se partagent que 5,3 % du revenu. Ces niveaux d’inégalités sont liés en partie à l’histoire du pays, mais également à la prédominance du complexe minéral et énergétique dans son économie. Le secteur minier représentait, en 2016, 7,3 % du PIB et plus de 455 000 emplois directs en Afrique du Sud.

Ainsi, dans un pays où le taux de chômage dépasse les 30 % (et les 70 % pour les jeunes), se concentrer sur les employés du secteur du charbon ou de l’énergie, dont le salaire est supérieur au salaire médian, risquerait de creuser davantage les inégalités. En 2017, le salaire médian des mineurs s’élevait à 11 000 rands par mois (environ 633€). En revanche, le salaire médian des travailleurs des raffineries et de l’industrie manufacturière en aval de la chaîne de production était d’environ 5 000 R (environ 288€), soit plus ou moins le même que celui des autres travailleurs du secteur formel.

La transition juste appliquée aux domaines de l’énergie, de l’agriculture et de l’eau

Dans notre analyse, nous proposons de repartir de la vision sud-africaine de la transition juste, telle que proposée par la National Planning Commission – qui est basée sur l’approche par nexus explicitant les interconnexions entre secteurs – pour mettre en évidence les principaux enjeux dans les trois secteurs interdépendants que sont l’énergie, l’agriculture et l’eau, tout en accordant une attention particulière au bien-être des populations.

L’approche par nexus telle que décrite dans le graphique ci-dessus montre comment les trois domaines d’insécurité sont interconnectés et affectent de manière complexe et multidimensionnelle les populations. En plus de mettre en exergue la complexité des interrelations, cette approche nous permet de souligner des sujets qui sont parfois délaissés dans les (nombreuses) discussions sur la transition juste.

Par exemple, la question des conflits autour de l’usage de l’eau montre comment l’insécurité hydrique doit être appréhendée dans son ensemble. La moitié des stations d’épuration des eaux usées et des stations de traitement de l’eau se trouvent dans un état critique voire sont totalement dysfonctionnelles. Cela dans un pays très sec où l’eau joue un rôle essentiel pour la production de l’énergie et où les pénuries d’eau sont de plus en plus fréquentes, comme on le constate dans la ville du Cap où la menace du « jour zéro » plane depuis 2018.

Un autre exemple est celui du secteur de l’énergie, basé à plus de 70 % sur le charbon, et dont l’opérateur unique, la compagnie nationale d’électricité Eskom, également acteur majeur de la transition juste, se retrouve dans la tourmente. Celle-ci est due à de multiples problèmes qui vont d’une dette insoutenable à une mauvaise gouvernance, en passant par un manque de personnel qualifié et le sabotage de ses réseaux. Cela entraîne des coupures de courant récurrentes, planifiées et non planifiées, qui coûtent entre 8 et 10 % du PIB, exacerbant ainsi les différentes sources d’insécurité énergétique.

L’exemple sud-africain le montre bien : combiner des considérations de développement social et économique avec le respect des limites environnementales tout en diminuant les inégalités multidimensionnelles n’est pas une mince affaire. C’est néanmoins l’ambition que s’est donnée le pays. La vivacité des nombreux débats dans les cercles académiques, politiques et civils souligne la pertinence de ce thème et l’importance qui est donnée à l’émergence d’une transition juste en Afrique du Sud.

Antoine Godin

Économiste-modélisateur, Agence française de développement (AFD)

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