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France : la victoire de Macron en 2017 était censée inaugurer une nouvelle politique

À quatre mois du premier tour de l’élection présidentielle française de 2022, les candidats des principaux partis font déjà campagne avec acharnement.

Emmanuel Macron, qui n’a pas encore annoncé officiellement sa candidature, prononce de fréquentes allocutions publiques pour présenter ses réalisations et souligner la nécessité de poursuivre son programme.

Pourtant, la situation politique reste bien plus instable qu’elle ne l’a jamais été à ce stade relativement précoce de la campagne. Les prochaines élections se déroulent dans un contexte sans précédent, marqué par une diversité de candidats, une crise politique structurelle persistante et une incertitude persistante face à la pandémie.

L’héritage de 2017

En un sens, il s’agit d’une campagne inhabituelle après l’autre. L’élection française de 2017 a elle-même été une rupture avec la norme puisqu’elle a inauguré la victoire d’un candidat d’aucun des deux principaux partis qui détenaient alternativement le pouvoir depuis les années 1960. Elle annonce une rupture avec la Ve République, jusque-là définie par un clivage droite/gauche .

Pour la troisième fois seulement en dix élections, le second tour des élections de 2017 n’a pas opposé un candidat de la droite traditionnelle à un représentant de la gauche socialiste.

Au lieu de cela, le nouveau venu Emmanuel Macron, qui affirmait n’être « ni de droite ni de gauche » , a affronté l’extrême droite Marine Le Pen. Les deux précédents cas de ce genre remontent à 1969 (lorsque le second tour a vu le centriste Alain Poher affronter le gaulliste Georges Pompidou) et en 2002 (lorsque le président sortant de droite Jacques Chirac a endossé le rôle de gardien de la République française contre le candidat d’extrême droite Jean- Marie Le Pen).

Surtout, les deux principaux partis traditionnellement considérés comme aptes à gouverner – le Parti Socialiste et Les Républicains – se sont retrouvés devancés par un spectre atomisé de nouveaux acteurs dans lesquels de nouveaux visages (Macron) et des figures de la contestation (Le Pen et les incendiaires de gauche Jean-Luc Mélenchon) s’est montré plus attractif.

Cet éclatement explique pourquoi aucun des candidats du second tour n’a obtenu plus de 25 % des voix au premier tour pour la première fois depuis 2002. L’affaiblissement des grands partis a également contribué à donner la victoire à une nouvelle majorité formée autour du nouveau président au élections législatives qui ont suivi.

A l’époque, certains pontifes pensaient que l’échiquier politique français allait se restructurer autour de cette majorité « à la fois de gauche et de droite » .

Cinq ans plus tard, cela ne s’est manifestement pas produit. L’éventail des choix politiques des électeurs français s’est encore plus fragmenté. Durant son mandat, Macron n’a pas réussi à élargir sa base électorale, qui se situe toujours à 20-25% des électeurs. Lors des élections au Parlement européen de mai 2019, la coalition soutenant Macron a recueilli 22,4 % des voix ; en décembre 2021, les sondeurs le mettaient à une moyenne de 24% pour l’élection de 2022.

Au lieu de changer de politique, Macron a simplement renforcé sa base électorale, la déplaçant vers le centre-droit. Cela laisse théoriquement libre un certain espace à gauche, mais qu’aucun candidat ne semble pouvoir occuper aujourd’hui.

Une profusion de candidats

La gauche française n’a pas réussi à surmonter les clivages qui séparent ses clans. Même la gauche contestataire qui s’était unie autour de Jean-Luc Mélenchon en 2012 et 2017 présente désormais deux candidats, Mélenchon étant candidat du parti d’extrême gauche La France Insoumise et Fabien Roussel représentant le Parti communiste.

Si la droite établie est parvenue à présenter une seule candidate, Valérie Pécresse, l’extrême droite compte deux candidats pour la première fois depuis 2002, en Marine Le Pen et Éric Zemmour.

Comme en 2002 et 2017, cette profusion de candidats rend le résultat des élections moins prévisible car elle abaisse le seuil pour se qualifier pour le second tour.

Le président sortant est le seul personnage à occuper uniquement l’espace politique qu’il revendique – le terrain central. Mais sa position est moins sûre que celle de ses prédécesseurs lorsqu’ils briguaient leur réélection (Nicolas Sarkozy en 2012, Jacques Chirac en 2002, François Mitterrand en 1988 et Valéry Giscard d’Estaing en 1981) puisqu’il doit surmonter les reproches de à la fois à gauche et à droite. Cela signifie que son statut actuel de favori reste fragile.

Une crise qui dure

L’éclatement des partis est symptomatique d’un problème plus profond qui ronge la démocratie française depuis les années 1980 : la crise de la représentation politique.

Les Français se sont éloignés de la politique sous la forme qu’elle a prise depuis le XIXe siècle, fondée sur les partis de masse et le suffrage universel. Il y a moins de militants et moins de gens qui votent .

Cela tient à plusieurs facteurs : la désillusion des électeurs face aux échecs des gouvernements alternés depuis 1981 ; des scandales qui ont terni l’image d’hommes politiques, soupçonnés au mieux d’être des briseurs de promesses et au pire des corrompus ; et la montée d’ une société individualiste qui préfère les engagements personnels et occasionnels au ralliement politique.

Le peuple contre les élites

La victoire électorale de Macron en 2017 résulte de cette crise de la représentation politique traditionnelle. Il a évincé ceux qui soutenaient ce qu’on appelait alors de manière révélatrice «l’ancien monde» parce qu’il ressemblait à un nouveau type de candidat extérieur au «système» – en particulier le système des partis – et défendait l’innovation perturbatrice.

Mais son incapacité à restructurer durablement l’offre politique de la France ou à faire évoluer durablement les récits et pratiques politiques n’a fait qu’exacerber ce sentiment de crise.

Un fossé se creuse entre les gens ordinaires et une élite qu’ils jugent arrogante et déconnectée des réalités auxquelles les Français sont confrontés . Et, dans beaucoup d’esprits, Macron incarne cette élite.

Comme leurs prédécesseurs, le président français et son gouvernement ont fait face à un manque de popularité tenace : après leurs premières semaines au pouvoir, leurs cotes de popularité ont rarement dépassé les 40 % .

Ce mécontentement dans toute la société française s’est également traduit par une série de manifestations. Ces dernières années, les manifestants ont rejeté la médiation politique traditionnelle, exprimé leur exaspération face à des décisions politiques jugées déconnectées des besoins des Français ordinaires, et parfois même révélé une tentation de recourir à la violence.

En 2016, le président de l’époque, François Hollande, a dû faire face aux manifestations de Nuit Debout et, plus largement, aux manifestations de rue contre sa nouvelle loi travail. En novembre et décembre 2018, son successeur a été confronté à des troubles sociaux d’une toute autre ampleur – le mouvement des gilets jaunes, qui a mis à nu un fossé entre le pouvoir politique et les Français ordinaires vivant dans des zones semi-rurales et urbaines. franges qui craignent un appauvrissement croissant .

Ces protestations ont contraint Macron à entrer en contact direct avec le commun des Français et à proposer une nouvelle forme de participation citoyenne à la décision publique via une initiative de débat national au premier semestre 2019. Mais cette idée n’a jamais abouti à des résultats politiques tangibles et finalement avéré une impasse.

Le rôle de la pandémie

Le déclenchement brutal d’une crise sanitaire sans précédent n’a pas mis fin à la crise politique française, même s’il a pu conforter la légitimité du pouvoir exécutif. À l’automne 2021, les mouvements opposés au laissez-passer sanitaire français ont emprunté des aspects de la stratégie de mobilisation des manifestants des gilets jaunes .

Parallèlement, les élections qui se sont déroulées durant cette période particulière ont été pénalisées par un taux d’abstention sans précédent : 55% aux élections locales de mars et juin 2020, et 66% aux élections régionales et départementales de juin 2021.

L’élection présidentielle se déroulera au milieu de la même crise sanitaire, ce qui rend difficile d’appeler directement les militants à l’action et d’amener les électeurs à se rendre aux urnes.

La montée des tensions dans la société française sera une caractéristique fondamentale de l’élection présidentielle de cette année. Au cours des premiers mois de campagne, cette crise s’est manifestée aussi bien par la profusion de candidats entendant rejeter le « système » (comme Arnaud Montebourg à gauche et Éric Zemmour à l’extrême droite) que par l’émergence généralisée de sujets relatives à l’identité nationale dans les débats publics.

Ce qui manque encore, c’est un renouvellement des idées et des pratiques, qui déterminera finalement si la plupart des Français reviendront un jour à la politique.

Mathias Bernard – Historien, Université Clermont Auvergne (UCA)

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