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Sommet Chine-Afrique 2024 : Nouveau Chapitre ou Ballet Néocolonial ? (Tribune Jo M. Sekimonyo)

Tout Africain connaît l’adage : « Donne un poisson à un homme, et il mangera un jour ; apprends-lui à pêcher, et il mangera toute sa vie. » Il est donc troublant de voir tant d’Africains, à travers 54 nations, se réjouir de la promesse chinoise d’investir 50 milliards de dollars sur tout le continent, sans prendre le temps de comprendre le savoir-faire économique et les stratégies financières complexes qui permettent à la Chine de manier de telles sommes comme s’il s’agissait de monnaie de poche.

D’un point de vue de l’économie politique, l’approche chinoise de regrouper les nations africaines en un bloc homogène n’est pas nouvelle. Elle reflète des schémas de néocolonialisme où des puissances extérieures exploitent les ressources africaines tout en offrant des miettes en retour. Pourtant, de nombreux États africains acceptent volontiers cette nouvelle forme d’impérialisme doux, privilégiant des gains à court terme au détriment d’une autonomie à long terme. C’est un échange précaire, où le développement des infrastructures pourrait coûter une part de souveraineté, perpétuant un cycle de dépendance qui rappelle le passé colonial du continent.

En réalité, la stratégie de la Chine s’avère être un calcul géopolitique précis sur l’échiquier commercial mondial. La promesse de 50 milliards de dollars n’est pas purement altruiste, mais bien un cheval de Troie visant à contourner les barrières tarifaires imposées par les États-Unis et l’Europe. En s’ancrant dans les économies africaines, la Chine construit un rempart géopolitique, exploitant les ressources et marchés inexploités de l’Afrique pour consolider sa domination économique mondiale.

Mauvaise foi

Le slogan du pacte Chine-Afrique « Made in Africa by Chine For the world » est une insulte envers les africain qu’une blague de mauvais gout.

Les actions de la Chine au Zimbabwe, en particulier dans l’exploitation des vastes réserves de lithium du pays, témoignent d’une profonde mauvaise foi sur le plan de l’économie politique. Bien que le Zimbabwe soit un fournisseur majeur de spodumène, un minerai essentiel pour les batteries lithium-ion, la Chine n’a toujours pas implanté d’usines locales pour la fabrication de batteries électriques, et encore moins de voitures électriques. Cette absence d’investissement industriel en dit long. Au lieu de promouvoir une chaîne de valeur complète au sein de l’économie zimbabwéenne, la Chine continue d’extraire les matières premières, enfermant ainsi les nations africaines dans le segment à faible valeur ajoutée du commerce mondial, suivant un schéma néocolonial bien connu.

La Chine se targue souvent de ses investissements en infrastructures à travers l’Afrique, les présentant comme des moteurs du développement. Cependant, ces projets ne sont que rarement conçus pour véritablement autonomiser les économies locales de manière durable. Bien que les investissements chinois dans les chemins de fer, les routes et les ports soient très visibles, ils sont souvent réalisés par des entreprises et des travailleurs chinois, marginalisant ainsi l’expertise locale et les opportunités de renforcement des capacités. L’impact économique à long terme est donc limité, les nations africaines restant dépendantes des acteurs extérieurs pour leurs besoins en infrastructures. Un véritable développement économique exigerait que ces projets soient conçus, exécutés et maintenus localement, afin que les bénéfices de ces investissements soient directement réinjectés dans les économies nationales.

Plus profondément encore, la réticence de la Chine à soutenir un développement institutionnel significatif en Afrique révèle une indifférence calculée. Pékin comprend parfaitement que la croissance économique durable repose sur des entités territoriales décentralisées solide et un système bancaire bien structuré pour leurs octroyer des larges crédits, des outils qui ont propulsé son propre miracle économique, qui est indispensable à renforcer leurs politiques monétaires pour émettre de la monnaie sans provoquer d’hyperinflation.

Ces mécanismes sont des secrets fondamentaux de l’essor économique chinois. Cependant, au lieu de partager ce savoir, la Chine laisse les économies africaines dans une vulnérabilité persistante, perpétuant des cycles de sous-développement. En exploitant cette faiblesse, la Chine profite des carences structurelles des nations africaines pour renforcer sa propre position économique, tout en maintenant le continent dans une dépendance constante.

Tontine Continentale

Les Africains ont depuis longtemps maîtrisé le concept de l’épargne collective — qu’on l’appelle tontine, caisse commune ou groupe d’épargne, le principe reste inchangé. Un groupe d’individus contribue régulièrement à un fonds commun, et chacun, à tour de rôle, retire le montant total accumulé, permettant ainsi des investissements personnels ou communautaires significatifs. Ce mécanisme repose sur une solidarité financière profonde, où l’effort collectif renforce l’autonomie individuelle tout en consolidant le tissu social.

Malgré des promesses apparemment généreuses — 20 milliards de dollars de la Chine, un montant similaire de l’UE et 6 milliards des États-Unis —, l’impact se dilue lorsqu’il est réparti entre les 54 nations africaines. Ces chiffres, bien que substantiels sur le papier, sont le symbole d’une approche fragmentaire de l’aide étrangère qui perpétue l’inégalité plutôt que de la combattre. Éparpiller cette aide entre tant de pays sans stratégie cohérente et unifiée réduit ces contributions à une forme de charité mondiale qui fait peu pour démanteler les barrières structurelles au développement. Cette aide est comparable à des ressources qui se dispersent dans un vaste océan, à peine perceptibles là où des vagues de changement sont désespérément nécessaires.

Un fonds d’aide collectif ou Tontine Continentale, en revanche, offre une alternative plus juste et plus efficace. En consolidant les ressources et en se concentrant sur un pays à la fois, ce modèle respectera le principe de l’autonomisation économique grâce à des investissements ciblés. Il a le potentiel de sortir des nations de cycles de dépendance, créant un changement transformateur qui se répercuterait sur tout le continent.

Dé-risquage

Les Européens reprochent aux Chinois de subventionner massivement des secteurs stratégiques pour offrir à leurs entreprises un avantage concurrentiel décisif. Cependant, ce même schéma de soutien économique est utilisé pour affaiblir les nations africaines, réduites à des pions sur l’échiquier mondial, entraînées dans des dynamiques de puissance qui les dépassent.

Les africains se contentent de recevoir du poisson plutôt que d’apprendre à pêcher eux-mêmes. Leurs gouvernements privilégient souvent le « prêt-à-porter », c’est-à-dire des solutions prémâchées importées, qui, en fin de compte, favorisent les intérêts étrangers au détriment du développement local. Ce modèle de dépendance compromet l’autonomie locale et entrave le développement durable.

L’Afrique se trouve piégée entre le marteau et l’enclume, ou plutôt entre deux marteaux. Bien que les nations africaines possèdent le potentiel de moderniser les capacités de leurs citoyens d’initier le commerce, d’entreprendre ou de dialoguer, les barrières psychologiques héritées de la colonisation, la prééminence des identités tribales sur l’unité nationale, freinent considérablement le décollage économique et la transformation sociale de tout le continent, le rendant ainsi une proie facile. Pour sortir de cette impasse, il est essentiel de déconstruire les murs des coutumes et des traditions qui fragilisent l’Afrique et l’exposent à l’exploitation.

Jo M. Sekimonyo

Écrivain, théoricien, défenseur des droits de l’Homme et économiste politique

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