RDC : quid de la qualité de la croissance économique

De la pauvreté

D’après l’enquête par grappe a indicateurs des Objectifs de Développement Durables (ODD) menée par le ministère du plan en 2020, l’incidence de la pauvreté monétaire en RDC évaluée à partir du seuil national est estimée à 56,2% avec des disparités selon le sexe du chef de ménage, le milieu de résidence et les provinces du pays. Le rapport estime à 57,1% la proportion de la population vivant en-dessous du seuil national de pauvreté dans les ménages dirigés par des hommes contre 52,8% dans les ménages dirigés par des femmes. Par ailleurs, les résultats ont mis en exergue la persistance de la pauvreté monétaire dans le milieu rural. Un peu plus de huit personnes sur dix (84,9%) vivant dans le milieu rural sont considérées comme pauvre contre 62,6% dans le milieu urbain.

De la croissance

D’après les projections du FMI (voir carte ci-dessous), la RDC va réaliser un taux de croissance de 6,4% en 2022, la situation dans le club des pays a croissance rapide. Certes, il y a des raisons pour célébrer une telle croissance ! Seulement, nous devons regarder au-delà du chiffre car nous avons depuis longtemps maintenant que la qualité de la croissance vaut nettement mieux que sa quantité. Ce n’est pas la première fois que le pays réalise ce gendre de taux (voir graphique 1 ci-dessous). Non seulement le pays n’a jamais su maintenir ces performances sur une longue période, car dépendant de la conjoncture internationale, mais surtout essentiellement tirée par l’industrie extractive. Donc, il incombe aux congolais de trouver des stratégies pour générer une croissance qui réduit la pauvreté et garantisse au plus grand nombre l’accès aux biens et services de base de manière durable.

L’histoire économique et politique récente a largement montré qu’une croissance élevée ne conduit pas nécessairement à de meilleurs résultats sociaux. Au cours des dernières décennies, de nombreux pays en développement ont connu des épisodes de forte croissance, mais relativement peu ont enregistré des baisses significatives de la pauvreté, des inégalités et du chômage. La croissance doit être inclusive ou large pour que les pays en tirent le meilleur parti. En un mot, il importe de savoir si la qualité sous-jacente de la croissance est bonne. La « qualité de la croissance » fait donc partie du lexique populaire depuis quelques années. L’explosion de l’intérêt pour la qualité de la croissance, et plus largement pour la croissance inclusive, est le reflet de cette prise de conscience.

De la relation entre la croissance et la pauvreté.

La relation entre la croissance économique et la pauvreté est un sujet largement débattu, sur lequel les experts comme les politiciens ont des avis variés. Sans nul doute, les évidences empiriques démontrent que les pays les plus développés sont ceux qui ont le PIB par habitant le plus élevé. De là, la perception selon laquelle il existe une forte corrélation entre le niveau du PIB par habitant et le taux de pauvreté. Cependant, le PIB par habitant comme indicateur ne raconte pas toute l’histoire. En effet, le PIB par habitant est calculé en divisant le PIB par la population. Cette mesure ne dit rien ni sur la manière dont les revenus sont distribués ni comment ils sont utilisés. La croissance du PIB par habitant peut être le résultat de l’augmentation de revenus des groupes des personnes les plus riches de la communauté, alors que les revenus des personnes plus pauvres restent inchangés. La croissance peut également être le résultat des dépenses faites en faveur des riches sans considération pour les besoins des pauvres.

La croissance du PIB ne s’accompagne donc pas nécessairement de la réduction de la pauvreté ou du développement social et économique inclusif. En fait, la preuve empirique de la relation entre le développement et la pauvreté reste l’objet de débats. Il faut également y ajouter la controverse sur les mécanismes par lesquels la croissance économique peut réduire la pauvreté. Il est vrai que plusieurs s’accordent à reconnaitre que pour qu’une croissance intensive se traduise en réduction de la pauvreté, elle doit provenir du secteur le plus « productif », alors que le secteur le « moins productif » a besoin d’une croissance intensive de la productivité pour induire une baisse significative de l’indice de pauvreté.

Il s’ensuit que l’effet de la croissance sur la pauvreté dépend du profil de la croissance (son potentiel en termes de création d’emplois et d’impulsion de la productivité), la localisation sectorielle des pauvres, et le degré de mobilité entre les secteurs.

Il faut admettre que l’ultime objectif de la croissance est l’amélioration substantielle des conditions de vie de la majorité de la population par l’amélioration de leur accès aux biens de base que sont le logement, l’alimentation, la santé, l’éducation et l’habillement. Cette amélioration doit être induite par l’augmentation des revenus des ménages, de l’Etat et des entreprises comme résultat de l’augmentation de la production globale, donc de la croissance.

Des questions fondamentales

Cette corrélation triangulaire, que tous souhaitent, entre l’augmentation réelle de la production globale (croissance), l’augmentation des revenus des agents économiques et l’amélioration des conditions de vie de la population, n’est malheureusement pas automatique et nécessite la réalisation de deux corrélations fondamentales :

  • La croissance augmente-t-elle nécessairement les revenus des agents économiques ?  i) Ménages : mis à part les transferts de l’Etat et des entreprises aux ménages, l’effet de la croissance sur le revenu des ménages n’est possible que lorsque le(s) secteur(s) à l’origine de la croissance utilise(nt) une proportion importante des ménages ; particulièrement ceux à faible revenu. En effet, plus faible est le revenu de départ, plus important sera l’effet de la croissance tirée par un secteur pro-pauvre ; ii) Etat : il faut que les revenus fiscaux et non-fiscaux de l’Etat augmentent par le fait de la croissance. Ceci suppose que le système fiscal en place est à même d’identifier et de collecter ce qui est dû à l’Etat, mais surtout qu’il n’y ait pas de « suintements » dans le système ; iii) Entreprises : par la rémunération du capital investi à un niveau tel que les entreprises réalisent des bénéfices distribuables.

Il s’ensuit qu’il est tout à fait plausible d’observer une croissance sans observer l’augmentation des revenus de l’un ou l’autre agent économique.

  • L’augmentation des revenus améliore-t-elle nécessairement les conditions sociales ? Le fait que la croissance ait induit l’augmentation des revenus (ce qui peut ne pas arriver) ne veut pas nécessairement dire que les conditions sociales de la population vont s’améliorer. En effet, l’affectation du revenu est le fait d’une décision personnelle de l’agent économique en fonction de ce qu’il juge comme optimal compte tenu des conditions en présence. A titre d’exemple, il y a très peu d’incitations pour une entreprise à investir dans les secteurs sociaux considérés comme biens publics pour lesquels il est difficile d’exclure celui qui n’a pas investi. On entre ici dans ce que les économistes appellent « le drame de la chose commune » : tout le monde veut en jouir, mais personne ne veut y investir. Il en est de même d’un ménage qui peut décider d’affecter le surplus de revenu induit par la croissance ailleurs que dans les secteurs sociaux. D’où l’importance du comportement de l’Etat, garant du bien-être collectif, afin de « contraindre » ou « inciter » les autres agents à participer à l’augmentation aussi bien de l’offre que de la demande des biens sociaux. Un tel comportement bénévole de l’Etat n’est possible que dans un contexte de bonne gouvernance. Vue sous cet angle, la bonne gouvernance cesse d’être une corvée imposée de l’extérieur.

Une cible à trois têtes !

Ce simple cadre conceptuel permet de comprendre que la poursuite de la croissance devrait être une cible a trois têtes : croissance élevée, stabilité macro-économique et amélioration des indicateurs sociaux. En effet, pour le moment, la croissance en RDC est tirée par le secteur minier  qui n’est pas à forte intensité de main-d’œuvre ; donc ne peut pas induire directement une augmentation substantielle du revenu des ménages. Par conséquent, seuls les entreprises (propriétaires du capital) et l’Etat (si le système fiscal est performant) sont capables d’augmenter leurs revenus à la suite de l’augmentation de la production minière. Néanmoins, puisque la plupart des entreprises minières évoluant en RDC sont des capitaux étrangers, il est évident que leurs revenus ne sont pas nécessairement reversés en RDC. Ceci réduit d’autant les effets de cette croissance sur les revenus intérieurs du pays.

Il va sans dire que seul l’Etat congolais, avec une portion infime du revenu généré par la croissance, est capable (sous condition d’une bonne gouvernance) d’induire de manière volontariste une corrélation entre la croissance et l’amélioration des conditions sociales de la population. En fait, l’Etat congolais devrait initier des grands projets dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de l’agriculture, des infrastructures, etc.

En réalité, pour établir le lien entre la croissance et l’amélioration des conditions de vie de la population, le gouvernement devrait, de manière volontariste et simultanément: i) améliorer sa capacité de mobilisation de recettes, particulièrement dans le secteur minier ; ii) améliorer la qualité des dépenses publiques, en augmentant notamment l’offre des services sociaux tels que l’éducation et la santé ; iii) initier des projets de transformation de l’économie congolaise, seule condition pour garantir une corrélation structurelle et durable entre la croissance et l’amélioration des conditions de vie de la population.

Des considérations finales

Il faut reconnaitre que la fragilité des résultats obtenus jusque-là tient du fait que la croissance actuelle provient essentiellement du secteur minier et des services (Banques, Télécommunications, etc.) qui emploient une proportion faible de la population congolaise, limitant ainsi des éventuels effets d’entrainement en termes de revenu. Cette situation force le gouvernement à mettre en place des mécanismes de transfert pour arriver à redistribuer les effets de la croissance. A long terme, sans une augmentation substantielle des revenus des ménages par l’emploi, ces mécanismes de transfert deviennent complètement inefficients et couteux. D’où la nécessité d’ancrer l’économie à un secteur ayant un potentiel élevé en termes d’effets d’entrainement directs non seulement sur les ménages, mais aussi sur les autres secteurs de l’économie nationale.

Dans le but de déclencher la transformation structurelle de l’économie congolaise, le Gouvernement doit initier un programme cohérent et intégrateur sous forme d’une plateforme d’infrastructures d’appui aux activités devant lever rapidement les contraintes qui pèsent principalement sur l’offre. Les investissements à réaliser, dans le cadre de ce programme, doivent être reliés aux sites prioritaires identifiés pour relancer la compétitivité dans les secteurs productifs.

En effet, le développement des infrastructures et son arrimage aux bassins de production (agricole, minière, touristique, etc.) à travers l’ensemble du territoire national devrait constituer un facteur déclencheur de l’émergence de la RDC par la réduction du coût de production et l’amélioration de la qualité des biens et services. En incitant l’ensemble des Congolais à l’amélioration de la productivité aussi bien au niveau national que local, une telle plateforme d’infrastructures a le potentiel d’accélérer le processus de développement spatial, équilibré et auto-entretenu avec d’énormes effets d’entrainement sur les autres secteurs de la vie nationale (Commerce, Services, Education, …) ; ce qui conduira à la diversification de l’économie, et donc à renforcer sa résilience et sa compétitivité pour garantir une amélioration significative et durable des conditions de vie de la population.


John M. Ulimwengu, PhD

https://www.ifpri.org/profile/john-ulimwengu

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