RDC : A la recherche de la trajectoire de développement inclusif et durable

Il est temps de rebâtir les fondamentaux

  1. Contexte

En dépit de quelques avancées ci et là, notre pays est encore très malade, et la maladie, comme une gangrène, attaque tous les secteurs. Sur le plan politique, le pays est encore à la recherche des acteurs politiques, à tous les niveaux, dont la vision dépasse le cercle de leurs familles et/ou amis. En effet, lorsque le focus de l’action politique cesse d’être le politicien mais plutôt la population, c’est alors que les gouvernants sont à même de répondre aux défis de développement d’une manière appropriée. Sur le plan économique, en dépit d’immenses ressources naturelles et humaines, l’économie congolaise est essentiellement une économie de cueillette qui ne peut satisfaire les ambitions de développement à la hauteur de ce grand pays. Notre incapacité à créer une économie viable a conduit à la prolifération de l’économie informelle dominée par des activités illicites et prédatrices.  Sur le plan social, l’éducation et la santé sont devenues des denrées rares et là où elles existent, elles sont d’une qualité très médiocre en sorte qu’elles ne permettent pas la constitution d’un capital humain adéquat pour le développement de cet immense pays ; la pauvreté est si intense qu’elle se lit sur le visage de plus de la moitié des congolais ; la modicité des salaires pousse aux vols et à la corruption ; l’inexistence d’un système efficient de sécurité sociale met en insécurité une frange importante de la population incapable de subvenir aux besoins les plus essentiels (nourriture, logement et habillement). Sur le plan sportif, nos médiocres participations aux différentes manifestations sportives internationales suffisent pour nous convaincre du retard que nous avons accumulé par rapport à la moyenne des pays du globe. Sur le plan culturel, nous avons du mal à trouver des repères surs entre nos traditions et la culture occidentale, résultant souvent en une espèce de schizophrénie qui inhibe nos potentialités individuelles. Sur le plan des valeurs, on se demande quelquefois pourquoi nous (congolais) avons choisi une option de service public qui exclut systématiquement la discipline, l’excellence, la compétence et la bonne gouvernance ? Qu’est-ce que nous gagnons en tant que pays à promouvoir des hommes et des femmes visiblement non-qualifiés ? Sous d’autres cieux, il est déjà établi que promouvoir la médiocrité est la meilleure recette pour accomplir le désastre en matière de développement. A cause de ce gap de valeurs, nous avons produit des institutions qui sont incapables de transformer de manière continue les immenses ressources naturelles en opportunité de développement pour le plus grand nombre. Pour des raisons de sécurité sociale et politique, nous nous retranchons souvent dans les valeurs d’appartenance aux « clubs » qui n’exigent aucune excellence : ressortissants de …, anciens de…, amis de…, etc.

Le pays illustre bien le fait que le potentiel biophysique n’est pas synonyme de  développement inclusif. Le Tableau 1 ci-dessous indique que la RDC est parmi les 10 premiers pays ayant le plus de ressources naturelles au monde. La RDC dispose de 80 millions d’hectares de terres arables, 145 millions d’hectares de forêts, des ressources minérales abondantes (plus de 1 100 répertoriées), des ressources en eau et en énergie (énergie hydraulique, énergies renouvelables, biocarburants,…) importantes, un climat favorable à l’agriculture et une population estimée à plus ou moins 80 millions d’habitants. Selon la Banque mondiale, la République démocratique du Congo (RDC) pourrait devenir l’une des économies les plus riches du continent et un moteur de croissance pour l’ensemble de l’Afrique si elle pouvait surmonter son instabilité institutionnelle et améliorer la gouvernance. Au lieu de cela, le pays figure toujours parmi les pays les moins avancés. Des décennies de conflit, de corruption et de mauvaise gestion économique ont sérieusement affaibli la base socio-économique du pays. Entre 1960 et 2001, la RDC a connu le plus important déclin économique du monde (croissance du PIB de moins de 3% par an), et le vaste secteur agricole – qui emploie plus des trois quarts de la population – a particulièrement souffert. Environ les deux tiers de la population vivent avec moins d’un dollar par jour, au moins 70% font face à une insécurité alimentaire alors que 16 millions de personnes souffrent de malnutrition chronique, les rendements des cultures ne représentent qu’une fraction infime de leur potentiel et le pays importe au moins un quart de sa consommation de céréales. Le dépense annuellement près de 2 milliards USD pour importer la nourriture. Alors que la population de la RDC représente environ 1% de la population mondiale, le pays compte 7,2% et 14,3% de la population mondiale et de la population de l’Afrique subsaharienne vivant dans une extrême pauvreté. Si la RDC poursuit sa trajectoire actuelle avec une inégalité modérée et des schémas de croissance du PIB par habitant similaires, un Congolais sur deux ou environ un million vivra toujours dans une pauvreté extrême en 2030.

Tableau 1 : Les 10 ayant le plus des ressources naturelles au monde

Payscommentaries
ChinaLa Chine est l’un des principaux producteurs de phosphates, de vanadium, de tungstène, d’antimoine, de graphite, de charbon, d’étain, de molybdène, de plomb, de zinc et d’or. Les ressources naturelles totales en Chine sont estimées à plus de 23 billions de dollars.
Arabie SaouditeL’Arabie saoudite possède plus de 34,4 milliards de dollars de produits dont la principale ressource naturelle est le pétrole. L’Arabie saoudite possède les deuxièmes plus grandes réserves de pétrole de la planète, représentant plus de 20% des réserves mondiales de pétrole.
CanadaLe Canada dispose de ressources naturelles d’une valeur de plus de 33,2 milliards de dollars, dont certaines comprennent des minéraux industriels (gypse, potasse, calcaire et sel gemme), des minéraux énergétiques (uranium et charbon), des métaux (nickel, zinc, cuivre et plomb) et des métaux précieux (platine, argent et or). Le Canada possède le troisième plus important gisement de pétrole de la planète, juste après le Venezuela et l’Arabie saoudite, et le deuxième plus important fournisseur d’uranium.
IndeL’Inde possède la quatrième plus grande réserve de charbon au monde et des réserves importantes en calcaire, pétrole, diamants, gaz naturel, chromite, minerai de titane et bauxite. Le pays représente plus de 12% de la production mondiale de thorium et plus de 60% de la production mondiale de mica. L’Inde est le principal producteur de minerai de manganèse.
RussieLa Russie est l’un des principaux producteurs de vanadium, de silicium, de palladium, d’azote, de magnésium métallique et de composés, de cuivre, d’arsenic, de ciment et d’aluminium. Les ressources naturelles du pays sont estimées à plus de 75 billions de dollars. La Russie est le deuxième exportateur de métaux de terres rares.
BrésilAu Brésil, les ressources naturelles sont estimées à plus de 21 800 milliards de dollars, dont les principaux produits de base sont l’uranium, l’or, le fer et le pétrole. L’exploitation minière dans le pays est centrée sur l’extraction de la bauxite, du fer, de l’étain, du cuivre et de l’or. Le Brésil possède les plus grands gisements d’uranium et d’or de la planète et se classe au deuxième rang des producteurs de fer.
Etats-UnisLes États-Unis sont connus depuis des décennies comme les principaux producteurs de charbon et contrôlent actuellement plus de 31% des réserves mondiales de charbon et une quantité importante de bois d’œuvre. Les ressources naturelles totales du pays sont évaluées à 45 000 milliards de dollars, dont plus de 89% de bois et de charbon. Les États-Unis possèdent un gisement important de cuivre, d’or, de pétrole et de gaz naturel.
VenezuelaLe Venezuela dispose de plus de 14,3 milliards de dollars de ressources naturelles non utilisées et une majorité de leurs minéraux sont contrôlés par l’État. Le Venezuela possède les plus grandes réserves de pétrole, qui dépassent les réserves des États-Unis, du Mexique et du Canada réunis.
RDCL’industrie minière est l’une des sources de revenus d’exportation les plus importantes de la République démocratique du Congo (RDC). En 2009, le pays comptait plus de 24 000 milliards de dollars de gisements minéraux inexploités, y compris la plus grande réserve de coltan du monde et leurs importantes quantités de cobalt. L’État est connu pour ses grandes réserves d’or, d’étain, de tantale, de diamant, de cuivre et de cobalt. L’enquête géologique américaine estime que le pays possède plus d’un million de tonnes de lithium
AustralieL’industrie minière est le secteur primaire en Australie et le principal contributeur à son économie qui leur rapporte plus de 19,9 billions de dollars par an. L’Australie est l’un des chefs de file de l’extraction de l’uranium et de l’or. L’Australie possède les plus grandes réserves d’or au monde, qui fournissent environ 14,3% de la demande mondiale. Le pays fournit également plus de 46% de l’uranium mondial. L’Australie est connue pour ses vastes réserves de minerai de fer, de cuivre, de bois d’œuvre, de nickel, de schiste bitumineux, de métaux de terres rares et de charbon. L’Australie est le premier producteur d’opale et d’aluminium

Source : https://www.worldatlas.com/articles/countries-with-the-most-natural-resources.html

A raison ou à tort, les élections sont souvent perçues comme salvatrices par rapport aux problèmes de développement auxquels le pays fait face. Malheureusement, en elles-mêmes, les élections n’apportent jamais les solutions aux problèmes socio-économiques. Elles ne sont qu’un moyen pour choisir les congolais sensés disposés des capacités pour apporter ces solutions. Il est donc tout à fait possible que le pays se retrouve aujourd’hui avec des élus incapables de résoudre les problèmes de la population. Ceci est d’autant vrai que les regroupements politiques se forment plus autour des hommes que des idées. Comme maintes fois soulignées, l’histoire des nations nous enseigne qu’une plateforme politique autour d’individus est par nature éphémère et son « bénéfice» se limite souvent à un groupe restreint d’individus. Par contre, ce sont les plateformes autour des idées qui forgent les nations et les places sur le chemin d’un développement durable. En effet, les hommes finissent toujours par « s’évaporer » d’une manière ou d’une autre, mais les idées forgées sur l’innovation pour répondre aux besoins de la population sont plus résilientes.

  • Reconstruire les valeurs d’excellence

La RDC est souvent citée comme l’exemple typique d’un pays doté d’immenses ressources naturelles mais incapable d’assurer à sa population un niveau acceptable de bien-être social. Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer ce paradoxe, mais je pense qu’en tant que peuple, nous nous sommes collectivement éloignés des valeurs qui ont permis à d’autres nations de forger le parcours de leur développement souvent dans des conditions beaucoup moins favorables que les nôtres.  En effet, lorsqu’on analyse le parcours de développement des pays occidentaux ou des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), il y a une constance autour de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Ces valeurs constituent le socle qui garantit la formation des institutions capables d’utiliser de manière efficiente les ressources disponibles en vue de produire un niveau acceptable de bien-être pour la majorité de citoyens.

En RDC, il semble que collectivement nous ayons choisi de nous détourner de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Certes, il y a eu ici et là quelques individus qui se sont illustrés, des fois au péril de leurs vies, dans la défense de ces valeurs. A cause de ce gap de valeurs, nous avons produit des institutions qui sont incapables de transformer de manière continue les immenses ressources naturelles en opportunité de développement pour le plus grand nombre. Nous nous sommes retranchés dans les valeurs d’appartenance aux « clubs » qui n’exigent aucun effort d’excellence : ressortissants de …, anciens de…, amis de…, etc.

Il y a certainement beaucoup à dire sur chacune de ces valeurs. Considérons par exemple l’expertise, particulièrement le cas du secteur de l’enseignement, comment est-ce que nous pouvons prétendre à l’excellence si le processus de recrutement de nos enseignants ainsi que leur promotion, de l’école maternelle à l’université, n’est pas compétitif ? En réalité, il n’y a aucune garantie que ceux qui enseignent nos enfants aujourd’hui sont les plus qualifiés dans leurs domaines car le système actuel n’incite pas à la performance. Pour s’en rendre compte, il suffit de demander la liste des professeurs d’université avec des publications (pendant les 5 dernières années) dans les revues reconnues mondialement dans leurs domaines respectifs.

Il en est de même de la sphère politique ; combien de nos partis politiques disposent des experts qui suivent régulièrement les domaines importants de la vie nationale (santé, éducation, énergie, eau, agriculture, etc) ? La conséquence est que très peu de nos « excellences » peuvent prétendre à une carrière dans une institution internationale ou même dans une entreprise privée de renommée internationale. Pourquoi nous (congolais) avons choisi une option de service public qui exclut systématiquement la discipline, l’excellence et la bonne gouvernance ? Qu’est-ce que nous gagnons en tant que pays à promouvoir des hommes et des femmes sans aucune histoire de performance ? Beaucoup de questions que nous devons avoir le courage de répondre avant de prétendre à une quelconque grandeur. Partout ailleurs il est déjà établi que promouvoir la médiocrité est la meilleure recette pour accomplir le désastre en matière de développement. La où les autres prennent 48 heures pour prendre une décision, nous prenons plusieurs mois précisément parce que nous avons décidé d’élaguer l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Les coûts d’opportunité associés au retard dans la prise de décision peuvent être énormes pour un pays qui doit rattraper le retard en matière de développement.

Ce constat est aussi valable pour les entreprises publiques. Pourquoi ne pas faire dépendre la rémunération des dirigeants à leur performance de gestion ? Pourquoi n’y a-t-il pas d’exigence de performance dans la gestion des entités décentralisées ? Le développement ne « s’espère pas », il se construit. Mais il ne se construit qu’à partir des institutions et normes fondées sur l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Il est donc de la responsabilité de l’élite congolaise de montrer le chemin. L’histoire des nations nous enseigne que la cohésion nationale autour des leaders politiques est par nature éphémère et son « bénéfice » se limite souvent à un groupe d’individus, mais c’est la cohésion nationale autour des valeurs qui forge le chemin d’un développement durable. En effet, les hommes finissent toujours par partir alors que les valeurs persistent.

  • Construire une démocratie pour le développement

Même si à court terme, certains groupes peuvent tirer des dividendes d’un système démocratique déficient, à long terme, personne ne sort gagnant. Théoriquement, un cycle électoral, à cause du renouvellement compétitif des leaders politiques qu’il est censé induire, est conçu pour répondre aux besoins fondamentaux de la population. De même, l’amélioration de l’environnement démocratique est censé ouvrir à son tour la voie au développement durable. Par conséquent, il devient impératif d’éduquer le politicien et ses électeurs sur les questions de développement. D’une part il faut éduquer les acteurs politiques à formuler leurs agendas politiques en fonction des besoins réels de la population plutôt que sur base de besoin de promotion personnelle ou familiale. D’autre part, il faudra également renforcer la capacite de la population à identifier les acteurs politiques les mieux équipés pour répondre à leurs besoins.

Pour éviter des allégeances politiques autour des personnes, ce qui est complément inefficient sur le plan de développement, il est impérieux d’aider les partis politiques à former des coalitions autour d’idées fondamentales et moins autour des individus. L’objectif est de définir et de clarifier l’identité idéologique des plates-formes politiques. Encore une fois, ces idées devraient refléter les besoins réels de la population congolaise (éducation, santé, infrastructures, énergie, agriculture, foncier, réformes fiscales, armée, etc.). Amener chaque parti politique à présenter sa position sur des questions importantes du pays. A titre d’exemples: 1) constitution: unitarisme, fédéralisme, décentralisation, mandat du président, nationalité ; 2) enseignement primaire et secondaire: financement, sélection et promotion de l’éducation ; 3) santé: financement, assurances, formation ; 4) ressources naturelles: mines, forêts, agriculture, eau ; 5) finances publiques: fiscalité, gouvernance; 6) armée et police: recrutement, formation , Mission ; 7) Protection sociale: Nature, Financement, Mission ; 8) Université: Mission, Recrutement, Formation ; 9) Recherche et Technologie: Mission, Priorités, Financement ; 10) Economie: Philosophie: rôle du secteur privé, priorités: sport: mission, gestion , priorités.

  • Eviter le syndrome du développement du pauvre

La formulation de la plus part de nos programmes de développement traduit souvent l’aveu de notre incapacité à trouver des mécanismes innovants pour suppléer à la modicité des recettes publiques. Il s’ensuit que la faiblesse majeure de notre stratégie de développement est qu’elle est presque exclusivement fonction des ressources mobilisées par les régies financières pour le compte du Trésor Public. On arrive de ce fait à ce que j’appelle « le piège du développement à moindre coût ou le syndrome du développement du pauvre[2] ». En d’autres termes, nous nous forçons à réajuster nos ambitions de développement à la hauteur des ressources que nous mobilisons à l’intérieur du pays. Au final, nous aurons certes accomplis quelques progrès, mais ceux-ci resteront très en deçà des standards de développement qui sont les mêmes aussi bien pour un citoyen américain que pour un citoyen congolais.

Certes nous ne pouvons dépenser qu’à la hauteur des ressources disponibles, mais nous ne pouvons pas « capituler » et nous contenter d’un développement de qualité inferieure. C’est malheureusement ce qui se passe et cela devient préoccupant. Il y a quelques années, un rapport indiquait que la RDC aurait plus d’universités que le Canada, mais lorsqu’on consulte la liste des 1000 meilleures universités au monde, le Canada en a une centaine, la RDC aucune ! Pourquoi ce paradoxe ? Parce qu’en RDC, nous sommes convaincus qu’il est possible d’avoir une université à moindres frais. Au Canada, ils ont des standards qui ne leur permettent pas de construire n’importe quelle université. A cause de cela, leurs universités coûtent plus chères que les nôtres, mais au bout du compte, ils ont un meilleur capital humain que le nôtre, et donc une meilleure trajectoire de développement que la nôtre. Il en est de même d’autres secteurs tels que la santé, l’éducation, l’armée, les services de sécurité, les infrastructures.

Cette culture du développement du pauvre a également atteint notre gestion du capital humain. En effet, en tant que peuple, nous n’exigeons plus ni compétence ni expertise lorsqu’il est question de recrutement ou de promotion. L’exemple le plus frappant se trouve dans le secteur de l’enseignement : il n’y a plus aucun système de recrutement compétitif ou de promotion d’enseignants congolais à quelque niveau que ce soit ! Nous nous contentons d’un système éducatif, certes à moindres frais, mais qui ne garantit pas l’excellence qu’exige notre ambition  de développement.

Notre ambition de l’émergence ne devrait jamais être de ressembler à la France ou aux Etats-Unis d’aujourd’hui, mais celui d’être au même niveau que ces pays dans 20 ou 30 ans car ils ne vont pas arrêter de se développer. Si tel est le cas, nous ne pouvons donc pas nous contenter d’une trajectoire de développement qui consiste à investir en fonction des ressources mobilisables par nos régies financières. Il faudra : i) élaborer le programme de développement socio-économique de chacune de ces provinces avec des standards de développement acceptables.  Il ne sera pas acceptable que le développement de ces provinces ait pour cibles des sous-standards ; ii) évaluer le coût de chaque programme ; iii) mettre en place des stratégies INNOVANTES de mobilisation des ressources pour financer ces programmes.

  • Eviter l’inconsistance temporelle des politiques et stratégies de développement 

En analysant la durabilité des performances des économies africaines en comparaison avec celle de la Chine, j’ai épinglé ce que la théorie appelle « l’inconsistance temporelle » des politiques et stratégies de développement. Elle peut se définir comme la différence, au fil du temps, dans le degré d’engagement du gouvernement à mettre en œuvre une stratégie donnée. En effet, il est constaté un degré élevé d’engagement du gouvernement à l’annonce d’une nouvelle stratégie/politique, mais cet engagement à tendance à se s’estomper au fil du temps. Ce phénomène conduit à des changements incessants et brusques des politiques/stratégies de développement. Il s’ensuit qu’en présence d’inconsistance temporelle, il est difficile de prédire la durabilité d’une performance économique,  notamment parce qu’elle induit la perte de confiance des autres agents économiques dont la collaboration est indispensable à la réussite des objectifs du gouvernement.

Dans le graphique 1 ci-dessous, nous avons essayé de comparer les trajectoires des stratégies de développement des pays africains (à gauche) et de la Chine (à droite). Alors que la trajectoire africaine est erratique et presque désordonnée, celle de la Chine est graduelle et focalisée.

En Chine, le processus de réformes est caractérisé par le gradualisme et l’ordonnancement des réformes de nature à entraîner un changement d’orientation cohérente qui se déroule au fil du temps. Les réformes ultérieures sont construites sur les réalisations des réformes précédentes. C’est ce qui explique l’extraordinaire constance de la performance de l’économie chinoise.

L’inconsistance temporelle est souvent causée par la nature des financements (par exemple un programme soumis aux fluctuations des ressources du Trésor Public est plus vulnérable), l’inefficience du système de passation des marchés ainsi que l’instabilité politique et institutionnelle.

Pour la RDC, nous proposons d’identifier les principales réformes, stratégies et politiques de développement, en évaluer la vulnérabilité par rapport à l’inconsistance temporelle afin de protéger la trajectoire de développement contre les instabilités politique, institutionnelle et économique.

  • Nécessité d’un nouveau paradigme de développement

Compte tenu de son potentiel en termes de ressources naturelles, la renaissance politique et économique de la RDC est une question qui préoccupe aussi bien les Congolais que les non-Congolais. Plusieurs stratégies pour réaliser cette renaissance ont été proposées. La plupart de ces stratégies sont des variations du paradigme néo-libéral dominant en matière de développement. Comme l’avait dit l’ancien Premier Ministre Ethiopien Zenawi, le paradigme néo-libéral connait une impasse, il est incapable d’aider à la renaissance de l’Afrique, et qu’un profond changement de paradigme est nécessaire.  La théorie économique renseigne que le pays en développement sont enfermés dans des cercles vicieux et des trappes à pauvreté qui ne peuvent être corrigés que par l’action de l’Etat. La théorie d’un développement induit par l’Etat complète le paradigme en montrant quel type d’Etat peut intervenir en économie pour accélérer la croissance tout en limitant en même temps les activités de corruption qui entrainent le gaspillage des ressources.

Les expériences de développement les plus réussies n’ont jamais été le fait d’un Etat- sentinelle réduit à protéger la propriété privée des individus et à veiller au respect des contrats. Ces expériences ont été les résultats de gouvernements les plus interventionnistes pour créer un contexte favorable à l’émergence de l’économie de marché. Les gouvernements de Taiwan et de la Corée du Sud, ont dans la plupart des cas reformé le marché financier et alloué les ressources conformément à leurs plans de développement. L’allocation des subsides par le gouvernement était la cheville ouvrière de la stratégie de soutien au secteur privé. Les deux gouvernements ont également offert un soutien au commerce minutieusement administré et une protection adéquate aux industries naissantes. En d’autres termes, ces gouvernements sont intervenus massivement pour répondre à toutes les défaillances du marché.

Les investissements en infrastructures et l’assistance aux institutions du marché en vue de réduire les coûts unitaires de transaction sont nécessaires pour briser l’impasse. L’infrastructure physique et technique nécessaire à l’accumulation des capacités technologiques doit être développée pour déclencher une amélioration continue de la productivité et briser l’impasse. En d’autres termes l’impasse ne peut être brisée que si les gouvernements investissent dans l’infrastructure physique en milieu rural, dans les institutions de soutien au marché, dans les institutions d’accumulation technologique, et si les gouvernements interviennent pour promouvoir le secteur agricole et en faire un véritable moteur de développement inclusif.

Le consensus aujourd’hui est qu’une croissance économie sans transformation structurelle ne peut conduire les pays en développement à atteindre l’émergence, le développement inclusif et les Objectifs de Développement Durables (ODDs). Le récent renversement de tendance de croissance parmi les pays africains est assez éloquent à ce sujet. En effet, soutenue principalement par la performance des industries extractives, le boom économique africain n’a pas pu résister aux effets de la chute drastique des cours des matières premières. Il est donc clair que pour renforcer la résilience des économies africaines, un effort conséquent doit être consenti pour créer un environnement propice à une transformation structurelle graduelle, mais soutenue de ces économies.

Pour rappel, la transformation économique est associée avec des changements importants dans la structure d’une économie, particulièrement dans ses moteurs de croissance et de développement. Une telle transformation implique nécessairement une réallocation des ressources des secteurs et activités moins productifs aux secteurs et activités plus productifs ; une augmentation relative de la contribution de la manufacture au PIB ; une baisse de la part de l’emploi agricole dans l’emploi total ; un transfert d’activités du milieu rural en milieu urbain ; la montée de l’industrie moderne et du secteur de services dans l’économie ; une diversification et sophistication du panier des exportations ; une transition démographique des taux de naissance et de mortalité élevés à des taux plus faibles.

Amener une économie à générer les caractéristiques soulignées ci-dessus est une tache extrêmement complexe et de longue durée. Toutefois, il est reconnu que le processus de transformation économique peut être facilité et même accéléré si le pays choisi un secteur ou un groupe d’activités suffisamment homogènes et se concentre sur un espace géographique donné. C’est ce qui explique en grande partie le développement des zones économiques spéciales. Elles permettent en effet, en un temps record de lever les contraintes à la transformation économique. Ce sont ces zones qui ont permis aux pays tels que la Chine, la Corée et la Malaisie de rattraper rapidement leur retard technologique et de se hisser au niveau des pays émergents. Toutefois, je reste convaincu que l’existence d’une demande intérieure solvable ainsi qu’un potentiel naturel avéré doivent guider le choix du secteur par lequel démarrer le processus de transformation économique. Ceci explique ma préférence pour les zones économiques spéciales à vocation agro-industrielle.

L’innovation d’une telle approche intégrée est qu’elle va conduire à la création des plateformes d’infrastructures pour soutenir une croissance inclusive en vue de la réduction de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire. En d’autres termes, le pays ne s’engagera plus dans des programmes de développement des infrastructures pour les infrastructures. Bien au contraire, la stratégie adoptée consiste à privilégier les infrastructures qui soutiennent les activités capables de générer suffisamment de revenu pour non seulement rembourser les investissements réalisés, mais surtout améliorer significativement les conditions de vie de la population.

En effet, le développement des infrastructures et son arrimage sur les bassins de production (agricole, minière, touristique, etc.) à travers l’ensemble du territoire national devrait constituer un facteur déclencheur du développement inclusif de la RDC. En incitant l’ensemble des congolais à l’amélioration de la productivité aussi bien au niveau national que local, une telle approche a le potentiel d’accélérer le processus de développement spatial, équilibré et auto-entretenu dans tous les coins du pays avec d’énormes effets d’entrainement.

L’approche intégrée dans la sélection des infrastructures en vue de la création des richesses augmente aussi bien la rentabilité économique que financière des investissements en évitant le gaspillage des investissements « à fonds perdus ». Bien plus, elle garantit la synergie entre différents types d’infrastructures qui participent ensemble au développement d’une activité génératrice de revenu. Enfin, cette convergence d’infrastructures a pour effet d’augmenter à la fois leur efficience individuelle et collective pour une meilleure atteinte des objectifs de croissance, de réduction de la pauvreté et de la sécurité alimentaire.

Certes, le pays a grand besoin d’un afflux important d’investissement en infrastructures, mais la recherche de l’efficience dans la conception et la mise en œuvre des différentes initiatives peut permettre à la RDC d’augmenter sensiblement les effets économiques, sociaux et financiers des investissements à réaliser. La recherche de l’efficience requiert désormais que les infrastructures ne soient plus présentées au financement de manière isolée, surtout lorsqu’elles entrainent un endettement. En effet, dans une approche où les infrastructures constituent une plateforme pour le développement inclusif, elles doivent être financées conjointement avec les activités de production, de transformation et de distribution, dans des paquets intégrés et cohérents.

Par conséquent, les études de faisabilité doivent porter sur un ensemble cohérent des projets plutôt que sur des projets individuels. Il est donc indispensable de regrouper les infrastructures de base autour des activités génératrices de revenu qu’elles sont censées appuyer. Ainsi, disposant des paquets intégrés des projets avec des études de faisabilité de standard international et d’une stratégie de communication adéquate, le pays peut s’engager dans une campagne agressive de mobilisation des investisseurs.


Dr. John M. Ulimwengu
Chercheur principal à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, basé à Washington, DC.

https://www.ifpri.org/profile/john-ulimwengu

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