Quand la bêtise gouverne, l’intelligence est un délit : quelles leçons pour la RD Congo ? (Tribune de Dr. John M. Ulimwengu)

Le rejet de l’intelligence dans la gouvernance d’un pays est périlleux, non seulement pour la société dans son ensemble, mais aussi pour les gouvernants eux-mêmes, bien que cela puisse sembler contre-intuitif à première vue. Plusieurs raisons expliquent pourquoi un tel rejet est in fine dangereux même pour ceux au pouvoir qui cherchent à supprimer ou à minimiser l’importance de l’intelligence critique et de la pensée analytique.

En effet, bien que certains régimes tentent de marginaliser l’intelligence pour maintenir le contrôle, cette stratégie est contre-productive et finit par compromettre leur propre stabilité et efficacité à long terme. Une gouvernance éclairée et inclusive, qui valorise et utilise l’intelligence et la critique constructive, est beaucoup plus susceptible de favoriser une société prospère et résiliente.

Dans son ouvrage provocateur, Henry de Montherlant propose une idée audacieuse : sous certains régimes, « la bêtise gouverne et l’intelligence est un délit ». Cette assertion invite à une réflexion critique sur la manière dont les gouvernements perçoivent et gèrent l’intelligence et la contestation intellectuelle. Cet article explore cette notion dans le contexte spécifique de la République Démocratique du Congo (RD Congo), une nation marquée par une histoire riche et tumultueuse, oscillant entre espoirs démocratiques et réalités autoritaires.

En RD Congo, la dynamique entre pouvoir et intellect a souvent reflété des tensions profondes, manifestant parfois une répression des voix dissidentes et un contrôle rigoureux des espaces de libre expression. Face à ce cadre, cet article cherche à analyser si, à travers différentes époques de sa gouvernance, la RD Congo a effectivement fait de l’intelligence et de la critique des menaces à l’ordre établi. Par cette exploration, nous tenterons de comprendre dans quelle mesure les régimes politiques en RD Congo ont pu considérer l’intellectualité non seulement comme un défi, mais aussi parfois comme un délit.

La République Démocratique du Congo (RD Congo), ancienne colonie belge devenue indépendante en 1960, a traversé plusieurs régimes politiques, chacun avec sa propre relation à l’intellectualisme et à la critique. Après l’indépendance, la RD Congo a rapidement sombré dans l’instabilité avec la prise de pouvoir de Mobutu Sese Seko en 1965, inaugurant une dictature qui durera jusqu’en 1997. Sous Mobutu, la politique de l’authenticité était censée valoriser les racines africaines mais s’est souvent transformée en un instrument de répression de la dissidence et de centralisation du pouvoir. Les intellectuels qui critiquaient le régime étaient souvent marginalisés, emprisonnés, ou pire. La chute de Mobutu a ouvert une période de conflits armés et de transitions politiques, où la liberté d’expression restait précaire. Plusieurs intellectuels congolais ont souffert sous le régime de Mobutu et les régimes subséquents.

Les lois sur la liberté d’expression et les droits humains en RD Congo ont souvent été en décalage avec leur application. La constitution actuelle garantit formellement la liberté d’expression, mais dans la pratique, les gouvernements successifs ont utilisé des lois sur la diffamation ou des accusations de trouble à l’ordre public pour museler les dissidents et autres intellectuels. Les rapports d’organisations internationales telles qu’Amnesty International et Human Rights Watch soulignent régulièrement l’écart entre les textes légaux et leur mise en œuvre, avec des cas fréquents de harcèlement judiciaire contre des intellectuels.

L’histoire politique de la RD Congo montre une tension constante entre le pouvoir et l’intellectualisme, où la bêtise gouvernementale a souvent entraîné la répression de l’intelligence. Bien que le cadre légal ait évolué, la pratique reste marquée par l’intolérance face à la critique, mettant en lumière les défis persistants pour la liberté intellectuelle et d’expression dans le pays.

Comment établir qu’un pays est gouverné par la « bêtise » ?

Établir que la « bêtise gouverne » un pays est une démarche complexe qui implique l’analyse de plusieurs aspects du gouvernement et de la société. Ce concept peut être envisagé à travers l’examen de la prise de décisions politiques, des politiques publiques, de la gouvernance, et de leur impact sur le pays. Voici quelques critères et indicateurs qui pourraient être utilisés pour évaluer cette assertion :

1. Qualité de la gouvernance

Transparence des décisions : Un manque de transparence dans les décisions gouvernementales peut indiquer une gestion inefficace ou malavisée.

Compétence des dirigeants : L’évaluation des compétences et des qualifications des personnes en position de pouvoir. Le placement de personnes incompétentes ou mal préparées dans des rôles clés peut être un signe de mauvaise gestion.

Prise de décision : Des décisions qui semblent systématiquement ignorer les données factuelles ou l’expertise spécialisée peuvent indiquer une gouvernance déficiente.

2. Politiques publiques et leurs effets

Évaluation des politiques : Analyser les effets des politiques sur la qualité de vie des citoyens, l’économie, et l’environnement. Les politiques qui entraînent des conséquences négatives ou qui ne répondent pas aux problèmes qu’elles sont censées adresser peuvent refléter une mauvaise gouvernance.

Réponses aux crises : La manière dont un gouvernement gère les crises (économiques, sanitaires, environnementales) peut révéler sa capacité ou son incapacité à gouverner efficacement.

3. Liberté de la presse et expression des intellectuels

Restrictions sur les médias et la presse : Une presse réprimée et une censure gouvernementale peuvent indiquer un gouvernement qui craint la critique et préfère masquer ses défauts plutôt que de les corriger.

Traitement des intellectuels et des critiques : La répression des voix dissidentes, des universitaires, des artistes, et des journalistes peut signaler une tentative de contrôler ou de limiter le débat public et d’étouffer l’innovation et la critique constructive.

4. Respect des droits humains et libertés fondamentales

État de droit : L’absence de respect pour l’état de droit et pour les droits humains fondamentaux peut indiquer une gouvernance qui ne respecte pas les principes démocratiques de base.

Corruption : Un haut niveau de corruption dans différents niveaux du gouvernement peut aussi être un indicateur de mauvaise gouvernance.

5. Implication citoyenne et politique

Participation politique : Un faible niveau de participation aux élections ou dans d’autres formes de vie civique peut refléter un désenchantement du public ou un manque de foi dans le système politique, souvent dû à une perception de mauvaise gestion ou de gouvernance incompétente.

Éducation civique : La qualité et l’étendue de l’éducation civique disponible pour le public peuvent affecter la capacité des citoyens à évaluer et à répondre à la qualité de leur gouvernement.

Où en est la RDC ?

Selon le rapport de Heritage (https://www.heritage.org/index/pages/country-pages/congo-dem-rep), le score de liberté économique de la République démocratique du Congo est de 47,6, ce qui fait de son économie la 160e plus libre de l’indice de liberté économique 2024. Sa note a baissé de 0,3 point par rapport à l’année dernière, et la RDC est classée 40e sur 47 pays de la région Afrique subsaharienne. Le score de liberté économique du pays est inférieur à la moyenne mondiale et régionale. L’économie de la RDC est considérée comme « réprimée » selon l’indice 2024.

Le développement économique reste entravé par l’instabilité et la violence, et la faiblesse de l’état de droit et l’application marginale des droits de propriété ont poussé de nombreuses personnes et entreprises vers le secteur informel. La mauvaise gestion économique a été aggravée par des crises politiques à répétition. La RDC est le premier producteur de cuivre d’Afrique et le premier producteur mondial de cobalt. C’est aussi l’un des pays les moins avancés du monde, et son instabilité politique et son inflation élevée découragent les investisseurs internationaux.

L’état de droit est globalement faible en République démocratique du Congo. Le score du pays en matière de droits de propriété est inférieur à la moyenne mondiale ; son score d’efficacité judiciaire est inférieur à la moyenne mondiale ; et son score d’intégrité gouvernementale est inférieur à la moyenne mondiale. Le taux d’imposition le plus élevé sur le revenu des particuliers est de 40 % et le taux maximal d’imposition des sociétés est de 30 %. La pression fiscale s’élève à 9,1 % du PIB. Les moyennes des dépenses publiques et du solde budgétaire sur trois ans sont, respectivement, de 15,3 % et -2,0 % du PIB. La dette publique s’élève à 14,5 % du PIB.

L’environnement réglementaire global de la République démocratique du Congo est mal institutionnalisé et inefficace. Le score du pays en matière de liberté d’affaires est bien inférieur à la moyenne mondiale ; son score en matière de liberté du travail est inférieur à la moyenne mondiale ; et son score de liberté monétaire est inférieur à la moyenne mondiale. Le taux tarifaire moyen pondéré en fonction des échanges commerciaux est de 8,4 pour cent, et d’autres obstacles à la dynamique des flux commerciaux persistent. Le gouvernement sélectionne et réglemente les investissements étrangers. Le système financier est sous-développé et l’accès au financement pour les entreprises reste très limité.

Pour comparer la RDC avec le reste de l’Afrique sur la base des indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale, nous nous sommes concentre sur six dimensions : la voix et la responsabilité, la stabilité politique et l’absence de violence, l’efficacité du gouvernement, la qualité de la réglementation, l’état de droit et le contrôle de la corruption.  Dans l’ensemble, la RDC est confrontée à d’importants défis en matière de gouvernance, ce qui a un impact sur sa trajectoire de développement. Cette section évalue la qualité institutionnelle de la RD Congo par rapport à d’autres pays africains à l’aide des indicateurs de gouvernance de la Banque mondiale.

Voix et responsabilisation

Cet indicateur mesure la mesure dans laquelle les citoyens d’un pays sont en mesure de participer à la sélection de leur gouvernement, ainsi qu’à la liberté d’expression, à la liberté d’association et à la liberté des médias. Historiquement, la RD Congo a obtenu de faibles résultats dans ce domaine, reflétant un pluralisme politique limité, une faible liberté des médias et une participation limitée du public aux processus politiques, par rapport à des pays plus démocratiques en Afrique comme le Ghana et le Botswana, qui affichent des niveaux plus élevés d’engagement électoral et de liberté des médias.

Stabilité politique et absence de violence

La RD Congo continue de connaitre une instabilité politique importante, caractérisée par des conflits armés, une forte incidence de violence et des troubles politiques. Cette instabilité contraste fortement avec des pays comme la Namibie ou la Tanzanie, où la stabilité politique est généralement plus élevée. L’instabilité politique en RD Congo compromet gravement la gouvernance, exacerbant les difficultés liées à l’application des politiques et au maintien de l’ordre public.

Efficacité du gouvernement

Cet indicateur reflète la qualité des services publics, la qualité de la fonction publique et son indépendance vis-à-vis des pressions politiques, ainsi que la crédibilité de l’engagement du gouvernement à l’égard des politiques qu’il a déclarées. La RD Congo est mal classée en termes d’efficacité gouvernementale, en proie à des systèmes administratifs inefficaces, à une mise en œuvre incohérente des politiques et à un manque de vision stratégique. En revanche, des pays comme le Namibie font preuve d’une grande efficacité gouvernementale avec des structures administratives robustes et une grande cohérence politique.

Qualité réglementaire

La qualité de la réglementation évalue la capacité du gouvernement à formuler et à mettre en œuvre des politiques et des règlements judicieux qui permettent et favorisent le développement du secteur privé. L’environnement réglementaire de la RD Congo est difficile, entravé par la bureaucratie, l’inefficacité des processus réglementaires et le manque de transparence, ce qui décourage l’investissement privé. Ce n’est pas le cas de l’île Maurice et de l’Afrique du Sud, qui bénéficient de cadres réglementaires plus efficaces et favorables aux activités commerciales.

État de droit

La primauté du droit mesure dans quelle mesure les agents ont confiance et respectent les règles de la société, y compris la qualité de l’exécution des contrats, les droits de propriété, la police et les tribunaux, ainsi que la probabilité de criminalité et de violence. La RD Congo obtient un score faible sur cet indicateur, avec une corruption généralisée, un système judiciaire faible et une criminalité répandue, contrairement à des pays africains plus performants comme le Botswana, où les institutions chargées de l’application de la loi sont relativement robustes et fiables.

Contrôle de la corruption

Le contrôle de la corruption indique dans quelle mesure le pouvoir public est exercé à des fins privées, y compris les formes de corruption les plus petites et les plus grandes, ainsi que la « capture » de l’État par les élites et les intérêts privés. La RD Congo est souvent perçue comme ayant des niveaux élevés de corruption, ce qui constitue un problème de gouvernance important qui entrave l’utilisation efficace des ressources et le développement équitable. Cette situation diffère nettement de celle de pays comme les Seychelles, où des mécanismes institutionnels plus solides contribuent à atténuer la corruption.

Les indicateurs de gouvernance fournis par la Banque mondiale illustrent les défis importants en matière de qualité institutionnelle en RD Congo par rapport à d’autres pays africains. Les faibles scores du pays dans ces indicateurs reflètent de profonds problèmes de gouvernance qui doivent être résolus pour améliorer la stabilité politique, l’efficacité du gouvernement, la qualité de la réglementation, l’état de droit et le contrôle de la corruption. La mise en œuvre de réformes axées sur l’amélioration de ces domaines pourrait conduire à une meilleure gouvernance et à de meilleurs résultats en matière de développement pour la RD Congo. De telles comparaisons mettent non seulement en évidence les domaines où les besoins sont criants, mais offrent également un modèle de réformes potentielles basées sur des modèles de gouvernance réussis dans d’autres pays africains.

Quel peut être l’impact de la gouvernance par la bêtise sur  la qualité du personnel politique et administratif de la RD Congo ?

La gouvernance par la bêtise peut avoir un impact profondément négatif sur la qualité du personnel politique et administratif de la République Démocratique du Congo (RD Congo). Cette situation crée une série de conséquences qui peuvent entraver le développement du pays et sa capacité à fournir des services efficaces à ses citoyens. Voici quelques-uns des impacts possibles :

Dévalorisation des compétences et du mérite

Lorsque la bêtise gouverne, les postes clés dans les administrations publiques et les sphères politiques sont souvent attribués non pas sur la base de la compétence ou du mérite, mais plutôt en fonction de la loyauté, de l’appartenance politique, ou d’autres critères non professionnels. Cela peut conduire à une dévalorisation du mérite et des compétences réelles, ce qui rend difficile l’attraction et la rétention de talents qualifiés au sein du gouvernement.

Démotivation des fonctionnaires compétents

Les employés compétents et qualifiés peuvent se sentir démoralisés et découragés lorsque leurs efforts sont négligés ou lorsque des individus moins qualifiés sont promus à des postes de responsabilité. Cela peut entraîner une baisse de la motivation, une réduction de la productivité, et finalement une fuite des cerveaux vers des secteurs privés ou même à l’étranger, où leurs compétences sont mieux valorisées et récompensées.

Corruption et inefficacité

La gouvernance par la bêtise peut faciliter l’augmentation de la corruption, car les individus placés dans des positions de pouvoir sans les compétences adéquates peuvent être plus susceptibles de recourir à des pratiques corruptives pour gérer leurs responsabilités ou pour enrichissement personnel. La corruption sape l’efficacité de l’administration publique, détourne des ressources destinées au développement, et érode la confiance publique dans les institutions.

Manque de vision stratégique

Un personnel politique et administratif choisi sans considération pour l’expertise nécessaire peut manquer de la vision stratégique requise pour planifier et mettre en œuvre des politiques publiques efficaces. Cela peut résulter en des politiques mal conçues qui ne répondent pas aux besoins réels de la population, exacerbant les problèmes de développement et de gouvernance.

Affaiblissement des institutions

La qualité médiocre du personnel politique et administratif peut conduire à un affaiblissement général des institutions. Des institutions affaiblies sont moins capables de résister à des influences politiques indésirables, de maintenir l’ordre juridique et de promouvoir le bien-être social et économique.

Impacts sur les services publics

La capacité des services publics à répondre efficacement aux besoins des citoyens peut être gravement compromise. Des domaines critiques tels que la santé, l’éducation, et les infrastructures peuvent souffrir de gestion incompétente, de financements inadéquats, et d’une planification déficiente.

Dans un contexte où la bêtise gouverne, le déclin de la qualité du personnel politique et administratif en RD Congo peut avoir des répercussions durables sur la stabilité, la croissance économique, et la cohésion sociale du pays. Il est crucial pour le développement à long terme de mettre en œuvre des réformes visant à promouvoir la compétence, la transparence et la responsabilité dans la nomination et la gestion du personnel administratif et politique.

Impact social et culturel

La répression de l’intelligence et de la critique en République Démocratique du Congo a des répercussions profondes non seulement sur les individus directement affectés, mais aussi sur la société dans son ensemble. Cette section explore comment ces pratiques affectent le développement social et culturel du pays, et le rôle que jouent les médias et les institutions éducatives dans ce contexte.

Répercussions sur la société civile

La répression de l’intelligence a un effet paralysant sur le développement social et culturel. En limitant la capacité des penseurs, des critiques, des universitaires et des artistes à s’exprimer librement, le gouvernement entrave le progrès intellectuel et culturel essentiel à une société dynamique. Cette atmosphère de contrôle et de peur dissuade les jeunes talents de s’engager dans des carrières intellectuelles ou artistiques, réduisant ainsi la diversité des voix dans le débat public. De plus, la censure et la surveillance créent un climat où les citoyens sont moins enclins à discuter ouvertement de problèmes sociaux, politiques et économiques, ce qui peut mener à une apathie généralisée et à un manque de mobilisation pour le changement. L’auto-censure devient une norme, et les opportunités pour les changements innovants ou les réformes nécessaires sont souvent perdues.

Rôle des médias et des institutions éducatives

Médias locaux : Les médias en RD Congo jouent souvent un rôle ambigu. D’une part, ils sont une source d’information et de critique, essentiels pour tenir le gouvernement responsable. D’autre part, ils sont soumis à des pressions considérables pour aligner leur couverture avec les intérêts du gouvernement. La censure, soit directe par le biais de lois et de régulations, soit indirecte par le biais de pressions économiques et de menaces, limite sévèrement leur capacité à fonctionner comme un véritable contre-pouvoir. Les journalistes qui tentent de défier ces restrictions risquent souvent leur sécurité personnelle et leur carrière.

Institutions éducatives : Les universités et les écoles en RD Congo sont également affectées par un environnement de répression intellectuelle. L’ingérence gouvernementale dans les programmes éducatifs et les nominations universitaires peut compromettre l’indépendance académique. En outre, les restrictions sur les activités politiques sur les campus et la surveillance des discours étudiants limitent la liberté académique, essentielle pour un environnement d’apprentissage sain et ouvert. Cela peut entraîner une érosion de la qualité de l’éducation et limiter la production de nouvelles recherches et idées dans le pays.

En RD Congo, la répression de l’intelligence et de la critique libre affecte profondément le tissu social et culturel du pays. Les médias et les institutions éducatives, en tant que piliers du développement intellectuel et de la critique sociale, se retrouvent souvent pris entre leur mission d’éduquer et d’informer et les pressions pour se conformer aux lignes directrices gouvernementales. Cette dynamique crée un environnement où la peur et l’auto-censure prédominent, inhibant le développement social et culturel et empêchant la société de réaliser son plein potentiel.

Comment transitionner vers un environnement l’embrasse et l’utilise efficacement l’intelligence?

Réforme éducative

L’investissement dans l’éducation est fondamental pour développer une société qui valorise et utilise l’intelligence. Cela comprend non seulement l’amélioration de l’accès à l’éducation mais aussi la qualité de l’enseignement offert. Renforcer les programmes en sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM), encourager la pensée critique et la résolution de problèmes, et intégrer l’éducation civique pour enseigner les droits et devoirs des citoyens peut transformer la manière dont la jeunesse perçoit et interagit avec le gouvernement.

Renforcement des institutions démocratiques

Un gouvernement qui craint l’intelligence est souvent marqué par un manque de structures démocratiques robustes. Renforcer ces institutions, y compris les systèmes judiciaires indépendants et les organismes de régulation, est crucial pour assurer la transparence, la responsabilisation, et le respect des droits de l’homme. Ces mesures aident à établir un environnement où la libre expression et la critique sont non seulement acceptées mais encouragées.

Promotion de la liberté de presse

Une presse libre et indépendante joue un rôle essentiel dans la promotion de l’intelligence en tant que valeur sociale et politique. Soutenir les médias indépendants et protéger les journalistes des persécutions permet d’assurer que les informations et les analyses critiques atteignent le grand public sans censure.

Engagement civil et dialogue inclusif

Encourager la participation civique à travers des forums ouverts, des débats, et des consultations publiques peut augmenter l’engagement des citoyens et leur permettre de jouer un rôle actif dans la gouvernance. Ces espaces de dialogue contribuent à une culture politique où les idées et les critiques sont non seulement tolérées mais valorisées.

Soutien aux intellectuels et innovateurs

Créer des politiques qui soutiennent les chercheurs, les universitaires, les technologues et les artistes peut transformer la culture politique. Cela peut inclure des subventions pour la recherche et le développement, des prix pour l’innovation, et des protections légales pour les droits intellectuels et créatifs.

Lutte contre la corruption

La corruption étouffe l’innovation et la compétence en permettant à l’incompétence et au népotisme de prospérer. Établir des mécanismes stricts de lutte contre la corruption peut aider à assurer que les talents et les idées novatrices sont correctement valorisés et utilisés.

La transition vers un régime qui valorise et utilise l’intelligence en RD Congo nécessite un engagement profond à long terme pour des réformes structurelles. En mettant en place ces stratégies, il est possible de transformer progressivement la culture politique et de promouvoir un environnement où l’intelligence est reconnue comme un pilier essentiel du développement national.

Conclusion

Le rejet de l’intelligence dans la gouvernance d’un pays est périlleux, non seulement pour la société dans son ensemble, mais aussi pour les gouvernants eux-mêmes, bien que cela puisse sembler contre-intuitif à première vue. Plusieurs raisons expliquent pourquoi un tel rejet est in fine dangereux même pour ceux au pouvoir qui cherchent à supprimer ou à minimiser l’importance de l’intelligence critique et de la pensée analytique.

Le rejet de l’intelligence conduit à un manque de capacités critiques nécessaires pour analyser et résoudre des problèmes complexes. Les gouvernements qui ne valorisent pas ou qui répriment l’intelligence se privent des compétences nécessaires pour répondre efficacement aux défis économiques, sociaux, environnementaux et politiques. Cela peut aboutir à des politiques inefficaces qui aggravent les problèmes plutôt que de les résoudre, menant à une instabilité accrue.

L’intelligence est un moteur clé de l’innovation et du développement technologique. Les régimes qui suppriment l’expression intellectuelle libre et la critique limitent sévèrement leur capacité à innover. Sans innovation, un pays peut rapidement se retrouver à la traîne sur la scène internationale, perdant des opportunités économiques vitales et la capacité d’améliorer la qualité de vie de ses citoyens.

À long terme, le rejet de l’intelligence peut éroder la légitimité d’un gouvernement. Si les citoyens perçoivent leurs dirigeants comme incompétents ou incapables de gérer les affaires du pays efficacement, cela peut conduire à un mécontentement généralisé. Le mécontentement peut se transformer en protestations, en désobéissance civile ou même en révolutions, comme l’histoire l’a souvent montré.

Sur la scène internationale, les pays dont les gouvernements sont perçus comme étant hostiles à l’intelligence et à la libre pensée peuvent se retrouver isolés. Cela peut se traduire par une réduction des investissements étrangers, des sanctions, une coopération internationale limitée et une perte de soft power. L’isolement peut affaiblir encore davantage la position économique du pays.

Les gouvernements qui répriment l’intelligence sont souvent mal équipés pour gérer les crises, car ils manquent de ressources humaines qualifiées et de perspectives diversifiées nécessaires pour élaborer des réponses efficaces. Que ce soit en réponse à des catastrophes naturelles, des crises sanitaires ou des ralentissements économiques, une approche réfléchie et bien informée est essentielle.

Enfin, même si le rejet de l’intelligence peut sembler renforcer temporairement le pouvoir en supprimant la dissidence, il conduit souvent à une consolidation du pouvoir qui est intrinsèquement fragile. Sans une base de soutien intellectuel et sans la capacité d’adapter la gouvernance à des réalités changeantes, ces régimes sont souvent instables et peuvent s’effondrer sous la pression interne ou externe.

La RD Congo, avec son histoire riche et tourmentée, offre un exemple poignant de la manière dont la peur de l’intelligence peut être institutionnalisée, menant à une culture où la critique est non seulement supprimée mais aussi pénalisée. Cependant, il est également essentiel de reconnaître les signes de résistance et de résilience parmi les intellectuels, les artistes et les citoyens ordinaires qui continuent à lutter pour un espace de débat et de discussion libre.

La question posée par le titre de cet article, « Quand la bêtise gouverne, l’intelligence est un délit : Est-ce que le cas en RD Congo ? », trouve ici une réponse affirmative, mais complexe. Ce n’est pas seulement la répression directe qui pose problème, mais aussi les structures subtiles de censure et de contrôle qui façonnent ce que signifie être intelligent et critique dans un contexte de gouvernance autoritaire.

En conclusion, pour que la RD Congo avance vers un avenir où l’intelligence est célébrée plutôt que crainte, il est impératif que les réformes institutionnelles et éducatives soient mises en place. Ces réformes doivent encourager l’ouverture, la transparence et le respect des droits fondamentaux. Seulement alors le pays pourra-t-il pleinement exploiter son potentiel intellectuel et culturel, essentiel pour son développement et sa prospérité futures.

Dr. John M. Ulimwengu

Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)

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