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Mali : la dénonciation de “l’accord d’Alger”

A la surprise générale, dans un communiqué du 25 janvier 2024, le gouvernement du Mali fait constater “l’inapplicabilité absolue de l’Accord pour la paix et la réconciliation au Mali issu du processus d’Alger, signé en 2015” et annonce sa fin “avec effet immédiat”. En outre, il souligne des “actes inamicaux” et d’ingérence de la part du médiateur algérien dans des affaires internes du Mali.

Cette décision intervient dans un contexte où le Mali réaffirme sa souveraineté et ses choix stratégiques.

Je suis chercheur en relations internationales. Dans cet article, j’analyse les origines du conflit, les précédents accords de paix et les raisons de l’échec de l’accord de 2015. Je donne aussi des pistes de résolution future du conflit.

La saga des accords non-appliqués

Le conflit malien est, en partie, un héritage de la colonisation française. En effet, en 1957, dans la mouvance de l’indépendance des anciennes colonies françaises en Afrique – à travers une pétition- des leaders Touareg ont réclamé le rattachement de l’Organisation commune des régions sahariennes (OCRS) à l’Algérie voire son indépendance. Cette pétition portée par le Cadi de Tombouctou Mohamed Mahmoud Ould Cheikh avait pour objectif d’éviter le rattachement de l’OCRS au Soudan français qui deviendra le Mali en 1960 . La France du général Charles de Gaulle n’accèdera pas à cette requête, car elle était consciente de la volonté des leaders africains de l’époque de construire l’unité africaine et opposée à la balkanisation des frontières africaines.

Deux ans après l’indépendance du Mali (1962), des Touaregs ont enclenché le premier conflit sécessionniste. Cette rébellion a été aisément contenue par l’Etat malien sur le plan militaire. Le gouvernement de Modibo Keïta, en réaction à cette crise, prendra des politiques de cohésion nationale. Il s’agit, entre autres, de l’instauration du service civique pour assurer la formation politique et civique des populations rurales, la création des mouvements des pionniers pour développer leur esprit nationaliste, et la valorisation de la culture malienne en guise de ciment de la cohésion nationale. Plusieurs entreprises nationales sont créées pour promouvoir le développement économique du pays et réduire sa dépendance des puissances étrangères.

Moins de 30 ans plus tard, en 1991, un second conflit avec les touaregs éclate. Ce conflit prend fin suite à une médiation algérienne. L’Etat malien et les groupes rebelles (Mouvements et Fronts unifiés de l’Azawad ) signent à cet effet l’accord de Tamanrasset, le 6 janvier 1991. Dans la foulée, en 1992, les parties signent le Pacte national pour le développement des régions du nord du pays. Ces accords promettaient une décentralisation effective et une démilitarisation du nord. Dans l’opinion populaire, ces accords ouvraient la voie à une domination politique et économique des Touaregs qui constituent pourtant une minorité ethniques – 5 à 6 % – dans les régions du nord du pays.

Cette possible nouvelle domination annoncée de quelques tribus touaregs se fondait sur la prise des armes contre l’Etat. Elle suscita une réaction de résistance dans d’autres communautés (songhaï, peulh, etc.) En effet, la création des mouvement de résistance telle que le mouvement “Ganda Koi”, littéralement mouvement des “maîtres de la terre” et Ganda Izo (fils du terriroire) illustre bien cette volonté des communautés sédentaires (Songhaï,Bozo, Peulh, etc.) de résister à la domination touareg.

L’Etat et les signataires n’ont pas réussi à mettre en oeuvre ces accords de manière satisfaisante. Par manque de courage politique, les deux parties ont tourné dos à ces accords laissant un vide.

En 2006, les rebelles reprennent les hostilités arguant la non-application des accords de Tamanrasset et le Pacte national signé en 1992 par le gouvernement malien et les Mouvements et Fronts Unifiés de l’Azawad. Un accord issu d’une médiation algérienne quelques mois plus tard mettra fin aux affrontements armés. Mais cet accord connaîtra lui aussi d’énormes difficultés d’application comme les précédents et justifiera, aux yeux des groupes touaregs, une nouvelle reprise du conflit en 2012.

Le labyrinthe sur le chemin de la paix

Sous la pression de la communauté internationale, mobilisée autour du gouvernement malien pour la restauration de la paix au Mali, les belligérants se sont finalement engagés dans une médiation conduite par l’Algérie de 2014 à 2015.

Suite à une sollicitation du président Ibrahim Boubacar KeÎta (IBK), l’Algérie a porté la médiation entre le gouvernement et la Coordination des mouvements de l’Azawad (CMA). La CMA est composée de plusieurs regroupements : Mouvement de libération de l’Azawad (MLNA), Haut conseil pour l’unité de l’Azawad (HCUA), Mouvement arabe de l’Azawad (MAA). D’autres mouvements proches du gouvernement malien ont créé la plateforme des mouvements du 14 juin 2014 d’Alger.

L’équipe de médiation était constituée d’organisations internationales engagées dans le recouvrement de la paix au Mali – CEDEAO, Union africaine, ONU, Union européenne, Organisation de la coopération islamique – et des États voisins du Mali dont le Burkina Faso, la Mauritanie, le Niger, le Nigeria et le Tchad.

L’accord de la discorde

Plusieurs facteurs expliquent la rupture de l’accord de 2015 à l’instar des accords précédents négociés par l’Algérie.

D’abord, l’accord ne touche pas aux racines du conflit, notamment la question épineuse de l’indépendance de l’Azawad. L’Azawad désigne une zone du nord du Mali, principalement habitée par les touaregs, qui aspirent depuis longtemps à l’autonomie ou à l’indépendance vis-à-vis du gouvernement central du Mali. En réalité, les groupes armés réclament l’indépendance de l’Azawad et à défaut une autonomie des régions du nord du Mali. Or, pour le gouvernement malien la forme républicaine, unitaire et laïque de l’Etat n’est pas négociable.

De toute évidence, le problème de fond n’étant pas traité, les acteurs se sont inscrits dans une logique d’instrumentalisation de l’accord. On remarque que l’accord a permis à l’Etat malien de se réorganiser, d’acquérir des armes, d’étoffer l’effectif des FAMAs (Forces armées du Mali) et de nouer de nouvelles alliances stratégiques (Russie, Burkina Faso, Niger, etc.).

D’autre part, les groupes armés signataires de l’accord ont profité de la médiation et de l’accord qui en a découlé pour obtenir la sympathie et le soutien du Qatar. Par la même occasion, ils ont renforcé leur légitimité sur les territoires du nord du pays dont ils avaient le contrôle en raison de l’absence de l’Etat dans cette zone. Ces groupes armés distribuaient la justice à travers des cadis. Ils ont construit à l’ombre des autorités d’Etat un système local de financement. Ils ont en outre accédé à de nouvelles ressources et intégré les sphères de décision (gouvernement, Assemblée nationale, Conseil de transition, etc.).

Ensuite, l’accord a souffert d’un manque de légitimité populaire . Il n’y a pas eu une appropriation nationale de l’accord, car la grande majorité des acteurs nationaux (partis politiques, société civile, etc.) n’ont pas été largement inclus dans le processus de médiation internationale. En effet, l’accord n’a pas rencontré une volonté populaire au Mali exigeant son application, mais au contraire, il a été appréhendé comme le catalyseur de la division du pays.

Enfin, il semble que l’objectif de la médiation algérienne n’a jamais clairement été de parvenir à un accord considéré comme réaliste et potentiellement applicable. La stratégie de la médiation était de mettre fin aux affrontements armés entre le gouvernement et les groupes signataires (CMA) et de laisser les Maliens construire de nouveaux consensus à travers un dialogue inter-Maliens. L’échec de ce dialogue inter-Maliens est au cœur des difficultés de mise en œuvre des accords.

Dialogue inter-Maliens

La dénonciation de l’accord par les autorités de la transition à Bamako laisse un vide qui traduit simplement les dynamiques en cours dans les régions du nord du pays. En effet, la reprise des affrontements armés entre l’Etat et les groupes armés pour l’occupation des camps cédés par la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali (Minusma) montraient déjà un abandon de l’accord par les deux parties.

La reprise des hostilités appelle un nouveau dialogue entre Maliens pour trouver des solutions consensuelles à cette crise sécessionniste. Et, justement, les nouvelles autorités ont appelé à un dialogue inter-Maliens dans un communiqué du 25 janvier 2024. Il s’agit d’expérimenter une approche endogène pour le règlement de la crise.

Communiqué gouvernement de la transition du 25 janvier 2024 mettant fin à l’accord d’Alger.

Ce changement de paradigme trouve ses fondements dans l’insuccès des multiples accords successifs signés par les groupes armés et le gouvernement, loin des regards du peuple.

Abdoul Sogodogo

Enseignant chercheur en sciences politiques, Université des sciences juridiques et politiques de Bamako

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