RDC – Poser la fondation du développement durable par le transport fluvial : une approche holistique est requise

La République démocratique du Congo (RDC) illustre bien le fait que le potentiel biophysique seul n’est pas la même chose que le potentiel économique. La RDC est en effet un pays avec près de 80 millions d’hectares de terres arables, 145 millions d’hectares de forêts, des ressources minérales abondantes (plus de 1 100 répertoriées), des ressources importantes en eau et en énergie (hydroélectricité, énergies renouvelables, biocarburants, …), un climat favorable à l’agriculture et une population estimée à plus de 100 millions.

Le pays a donc le potentiel de devenir l’une des économies les plus riches du continent et un moteur de la croissance africaine, s’il peut améliorer la qualité aussi bien de ses institutions que leur gouvernance. Au lieu de cela, le pays figure toujours parmi les pays les retardés au monde. Des décennies de conflits, de corruption et de mauvaise gestion économique ont gravement affaibli la base socio-économique du pays. Environ les deux tiers de la population vivent avec moins de 1 dollar par jour, au moins 70 pour cent sont confrontés à une forme d’insécurité alimentaire. Selon la Banque mondiale (2019), alors que la population de la RDC représente environ 1% de la population mondiale, le pays abrite respectivement 7,2% et 14,3% de la population mondiale et de l’Afrique subsaharienne vivant dans l’extrême pauvreté.

État de l’infrastructure

En RDC, le système de transport avait été conçu comme un réseau multimodal intégré de routes, de rivières et de chemins de fer reliant toutes les provinces du pays pour assurer une circulation optimale des biens et services dans ce vaste territoire. Malheureusement, l’érosion de la qualité des institutions et ses fonctions réglementaires depuis les années 1970 a conduit à une dégradation avancée du système de transport. Moins de 5% du réseau routier national de près de 60 000 kilomètres est pavé, et la densité de ce réseau n’est que de 25 kilomètres pour 1 000 kilomètres carrés, soit 0,9 kilomètre pour 1 000 habitants, contre une moyenne Africaine de 204 kilomètres et 3,4 kilomètres, respectivement.

Seulement quatre des 26 nouvelles capitales provinciales sont accessibles par la route à partir de la capitale nationale (Kinshasa). Avec un réseau de 3 500 kilomètres au sud et de 400 kilomètres à l’ouest, les chemins de fer sont dans un état de délabrement avancé en raison de la vétusté des infrastructures et d’une culture de gestion historiquement défaillante. Avec plus de 25 000 kilomètres navigables, les voies navigables constituent l’épine dorsale potentielle du système de transport, mais des obstacles institutionnels empêchent le développement du transport fluvial. Les infrastructures de transport aérien se sont délabrées au fil des ans et l’espace aérien de la RDC présente des risques élevés pour la navigation aérienne.

Les piètres performances du pays dans le domaine des transports entravent les activités de production et sont l’une des principales causes de la pauvreté persistante à travers le pays. Le coût de transport d’une tonne de marchandises sur 1 kilomètre de route est en moyenne de 0,20 USD en RDC contre seulement 0,05 dollar en Afrique australe. Le temps de séjour des containers au port de Matadi est en moyenne de 25 jours, soit cinq fois la moyenne régionale. La mobilité et l’accessibilité sont des enjeux majeurs plus dans les zones urbaines que rurales. Plus de 60% de la population rurale n’a pas d’accès acceptable, défini comme vivant dans un rayon de 2 kilomètres d’une route toutes saisons. Des problèmes majeurs de mobilité urbaine sont rencontrés à Kinshasa, où plus de 60% des déplacements se font à pied, ce qui réduit fortement l’accès aux opportunités d’emploi, à la santé ainsi qu’à l’éducation. En outre, Kinshasa a une densité de routes pavées inférieure à celle des autres villes de la sous-région. Alors qu’Addis-Abeba et Dar-es-Salaam ont plus de 120 mètres de route goudronnée pour 1 000 habitants, Kinshasa n’en compte que 54 mètres (contre 318 mètres en Afrique subsaharienne et 1 000 mètres dans les autres pays en développement).

La RDC a un bilan particulièrement médiocre en matière de sécurité des transports, et les défis à relever pour amener le système de transport à des normes acceptables sont énormes. Les problèmes de sécurité sont très accentués dans le secteur du transport fluvial, le trafic routier et le transport aérien. Toutes les compagnies aériennes basées dans le pays figurent sur une liste noire de l’Union européenne et le système d’aviation civile ne répond qu’à moins de 30 % des normes et pratiques de sécurité internationales recommandées.

Le financement nécessaire pour combler les lacunes les plus urgentes en matière d’infrastructures et rattraper les autres pays en développement est estimé à 1,4 milliard de dollars par an sur 10 ans. Des décennies de mauvaise gestion ont entraîné le vieillissement de la main-d’œuvre dans le secteur public et dans les diverses entreprises d’État dans le secteur des transports. Il n’y a pratiquement plus de jeunes cadres avec des qualifications suffisantes, en particulier dans des domaines spécialisés tels que l’aviation civile, les chemins de fer, les voies navigables et les transports urbains.

Le cas particulier du transport fluvial

Le transport fluvial en RDC se développe autour du fleuve Congo. Avec une longueur de 2 900 miles (4 700 km), c’est le deuxième plus long fleuve du continent, après le Nil. Il prend sa source dans les hautes terres du nord-est de la Zambie entre les lacs Tanganyika et Nyasa (Malawi) sous le nom de rivière Chambeshi à une altitude de 5 760 pieds (1 760 mètres) au-dessus du niveau de la mer et à une distance d’environ 430 miles (700 km) de l’océan Indien. Son cours prend ensuite la forme d’un arc géant dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, coulant vers le nord-ouest, l’ouest et le sud-ouest avant de se jeter dans l’océan Atlantique à Banana (Kongo Central) en République démocratique du Congo. Son bassin versant, d’une superficie de 1 335 000 milles carrés (3 457 000 km carrés), couvre presque tout le territoire de ce pays, ainsi que la majeure partie de la République du Congo, de la République centrafricaine, de l’est de la Zambie et du nord de l’Angola et de certaines parties du Cameroun et de la Tanzanie.

Avec ses nombreux affluents, le Congo forme le plus grand réseau de voies navigables du continent qui devrait être un facteur clé du développement du pays : l’utilisation stratégique de sa richesse permet de nombreuses possibilités en termes de transport et de production d’électricité. Le réseau de navigation intérieures de la République démocratique du Congo totalise plus ou moins 16 000 km de long et est basé sur le fleuve Congo et ses principaux lacs. Il est divisé en quatre sections souvent reliées par chemin de fer, notamment:

  • Le cours inférieur du fleuve Congo ou maritime à l’ouest qui totalise 140 km de Banana (embouchure) au port de Matadi;
  • Le milieu atteint au nord et au centre du bassin du fleuve Congo avec ses deux axes (Kisangani-Kwamouth et Ilebo-Kwamouth) comprenant deux lacs (Maindombe et Tumba) et menant à Kinshasa;
  • Le cours supérieur à l’est qui va d’Ubundu à l’ancienne province orientale jusqu’au lac Moero (ancienne province du Katanga) avec deux axes principaux Ubundu-Kindu et Kongolo-Bukama;
  • La chaîne de lacs comprend les lacs Moero, Tanganyika, Kivu, Edward et Albert.

Infrastructure de transport et développement du secteur agricole.

Le potentiel agricole de la République démocratique du Congo (RDC) est immense. Un calcul rapide indique si les rendements des 80 millions d’hectares de terres cultivables de la RDC venaient à s’aligner sur ceux des frontières de production mondiales, ce pays pourrait nourrir près d’un tiers de la population mondiale . Mais le potentiel biophysique n’assure pas à lui seul un potentiel économique équivalent. La revitalisation du secteur agricole est un point important dans la stratégie de développement de la RDC. Cependant, pour faire croître réellement l’agriculture, il faut toute une gamme d’investissements  dans l’agriculture (par exemple, dans la recherche et le développement, les services de vulgarisation, les projets d’irrigation, ainsi que dans les politiques de distribution des intrants), mais il faut aussi des investissements pour l’agriculture sous formes notamment d’infrastructures.

En RDC, le mauvais état de l’infrastructure de transports est l’un des plus gros handicaps pour le développement du secteur agricole. En effet, le réseau de transports de la RDC est notoirement insuffisant (seulement 13 % de la population habite à 5 heures ou moins d’une ville de plus de 50 000 habitants), et l’accès aux marchés est donc l’un des plus difficiles de toute l’Afrique. Qui plus est, beaucoup de routes de la RDC n’ont de « routes » que de nom, tout particulièrement pendant la longue saison pluvieuse, où l’on voit les temps de voyage s’allonger d’environ 40 %. Une complication additionnelle est qu’en RDC les modes de transport sont fondés sur de multiples systèmes, notamment sur l’important réseau fluvial.

En réponse à ces préoccupations, des chercheurs de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI) ont entrepris d’évaluer les rapports existants entre l’infrastructure de transports, la production agricole et la pauvreté en RDC, en utilisant les outils sophistiqués du système d’information géographique (GIS), ainsi qu’une étude démographique et sanitaire, représentative à l’échelle nationale. Les outils GIS utilisent des données régionales sur la production et les prix agricoles, ainsi que des données plus désagrégées sur les caractéristiques biophysiques et les tendances de la population, pour en déduire des estimations spatialement désagrégées sur la production agricole au niveau pixel.

Les données sur la population et l’information spatiale la plus récente sur l’infrastructure de transports de la RDC ont été également utilisées pour estimer les temps de voyage nécessaires pour se rendre aux villes-marché les plus proches. Toutes ces données spatiales permettent d’établir les liens entre la production agricole, la densité de population, le potentiel agricole (sur la base des caractéristiques biophysiques) et l’accès aux marchés.

Note : Les figures 1 et 2 ont été élaborées par les auteurs.
DRC boundaries = Frontières de la RDC
Market access to towns > 50k = Accès aux villes-marché > 50k Hours = Heures
days = jours
Kilometers = Kilomètres
Fluvial ports = Ports fluviaux
Estimated agricultural production  (tons/ha) = Production agricole estimée (t/ha)
Navigable rivers = Fleuves/rivières navigables

La Figure 1 donne une estimation des temps de voyage pour se rendre à des villes de 50 000 habitants. Comme noté ci-dessus, une bonne partie de la population congolaise est franchement isolée des principaux marchés, notamment des grands centres urbains comme Kinshasa (plus de 10 millions d’habitants), Lubumbashi (2.5 million) ou Mbuji-Mayi (2 million). En fait, le Congolais moyen doit voyager pendant 9,6 heures pour atteindre une ville d’au moins 50 000 habitants. Étant donné que beaucoup de routes de la RDC ne sont pas fonctionnelles à tout moment et que le matériel de transport et les carburants peuvent être rares, ou inabordables pour bon nombre de Congolais, on pourrait soutenir que ces estimations sont même trop optimistes quant au degré réel d’accessibilité au marché.

La Figure 2 donne des estimations sur la production agricole par pixel, en tonnes par hectare. On observe des zones à production relativement élevée dans le nord-ouest (Ancien Équateur), à ancien Bandundu dans l’ouest (près de Kinshasa), et au Sud-Kasaï. On estime que la production est notoirement très réduite dans le sud-est (Ancien Katanga), et un peu plus basse que l’on ne s’y attendait dans l’Est (Nord et Sud Kivu), où la persistance des conflits armés a probablement provoqué une réduction de la production agricole par rapport aux années antérieures. On s’attend donc à ce que la production réelle de l’Est soit sensiblement inférieure à la normale, compte tenu du fait que la région bénéficie d’un temps favorable, de bons sols, et qu’elle était appelée dans le temps « le grenier du Congo ».

En ce qui concerne les rapports entre l’accès au marché et la production agricole, les estimations au niveau pixel des figures 1 et 2 peuvent servir à estimer le rapport entre ces deux variables en contrôlant d’autres déterminants potentiels de la production, tels que le potentiel agricole, la densité de population, et divers effets fixes au niveau territorial ou provincial (Dorosh et al. 2008). La relation entre l’accès au marché et la production agricole est censée rendre compte de l’effet d’encouragement, pour les agriculteurs, de l’accès aux marchés des produits agricoles étant donné que les marchés d’intrants pour les engrais, les graines et autres intrants agricoles sont extrêmement sous-développés. On s’attend également à ce que l’état de crise dans lequel se trouve l’économie urbaine traduise le fait que la demande des villes en alimentation est bien inférieure à sa valeur potentielle. Et, comme noté plus haut, cette étude surestime très probablement la vitesse de circuler à cause des divergences entre l’information satellitaire et la réalité sur le terrain. Sur de telles bases, il ne serait guère surprenant que les impacts des accès aux marchés soient quelque peu inférieurs à ceux calculés lors d’études antérieures, comme l’étude de Dorosh et al. (2008) sur l’ensemble de l’Afrique.

En fait, voici ce que l’étude en cours permet réellement d’établir : nous trouvons que l’impact estimé d’un meilleur accès aux marchés se situe entre la moitié et un cinquième des valeurs pour l’ensemble des pays africains tel qu’estimé par Dorosh et al. (2008). Ce qui est encore plus significatif, dans ce qui ressort du cas de la RDC, c’est que l’accès aux ports fluviaux s’avère, en général, beaucoup plus important pour la production agricole que l’accès aux villes/marchés. Cela s’explique facilement, car le vaste bassin du fleuve Congo est un réseau naturel de transports; en  fait, c’est ce bassin qui a déterminé les tendances démographiques aussi bien à l’époque coloniale que précoloniale. Ainsi, l’accès à un port fluvial peut effectivement être synonyme de l’accès à nombre d’autres ports, étendant ainsi l’envergure du marché. Par exemple, une réduction de   10 % du temps de déplacement vers un port fluvial entraînerait une augmentation de la production de 3,7 %, alors que la même réduction du temps de trajet vers une ville (générique) de 50 000 habitants n’augmenterait la production que de 1,6 %.

Ces résultats ont de fortes implications pour les stratégies de développement des infrastructures en RDC. Déjà, de précédentes recherches ont montré que le transport fluvial est nettement moins cher que le transport routier. En revanche, il est aussi beaucoup plus lent, ce qui est une contrainte importante pour l’agriculture. Par exemple, Minten et Kyle (1999) ont établi que, pour le transport des régions rurales jusqu’à Kinshasa, « un cycle complet par la route consiste en quatre jours de trajet, trois jours pour réunir et acheter les produits, et deux jours pour les vendre tandis qu’un cycle en transport fluvial dure beaucoup plus longtemps : vingt jours de navigation, dix jours pour réunir la marchandise et trois jours pour la vendre. » Donc, ceux qui font le commerce des produits agricoles plus périssables ne peuvent généralement pas utiliser le réseau fluvial. On pourrait surmonter ce problème en développant des usines agroalimentaires dans les ports fluviaux, une question à envisager pour de futurs investissements. Une deuxième limitation du réseau fluvial est que, comme pour le réseau routier, l’infrastructure fluviale de la RDC est franchement vétuste. De nombreux ports ne sont plus fonctionnels et les barques, les chalands, les ferries et les bateaux sont vieux et délabrés. Ceci aurait donc comme seconde implication que le système fluvial a besoin d’une remise à neuf tout aussi complète que celle qui est proposée pour le réseau routier de la RDC. Une troisième implication est que les investissements routiers devraient être ciblés de manière à tirer profit des évidentes synergies existantes entre les réseaux routier et fluvial.

Approche holistique est indispensable

En RDC, le développement des infrastructures doit être conçu comme une plate-forme pour construire des villes intelligentes et modernes le long des principaux fleuves/rivières de la RDC, soutenues par des activités de production viables ayant le potentiel de générer des flux de revenus durables tout au long de l’année. Par conséquent, en plus des investissements dans le transport fluvial, la viabilité de chaque ville nécessitera des investissements dans les mines, le tourisme, l’agriculture, des infrastructures supplémentaires (reliant les routes et les chemins de fer), l’énergie et dans les secteurs sociaux (éducation, santé, eau). Chaque développement le long des rivières deviendra donc une plate-forme multi-acteurs impliquant le gouvernement, le secteur privé, les partenaires de développement, les ONG, les institutions locales, les organisations de la société civile. Il est essentiel de construire cette plate-forme tôt dans le processus. Par conséquent, une cartographie appropriée de « qui fait quoi et où » sera très importante.

Pour chaque rivière sélectionnée, il doit y avoir une étude de faisabilité détaillée qui comprend une évaluation de l’impact environnemental et une analyse de rentabilité. Encore une fois, il s’agit de développer des villes intelligentes le long des rivières. Chaque étude doit également aborder explicitement la question de la connexion de la population locale aux chaînes de valeur en cours de développement dans les secteurs minier, agricole, touristique, forestier et énergétique. Une fois les études de faisabilité validées et les plans d’affaires élaborés, il est essentiel d’obtenir un financement sur le long terme. À moins qu’elle ne soit axée sur les entreprises, l’ensemble de la stratégie ne sera pas durable. Par conséquent, il devrait être clair que l’argent des partenaires de développement (s’il est disponible) soit alloué aux infrastructures et aux investissements sociaux, et laisser le développement des chaînes de valeur (dans les mines, l’agriculture, le tourisme, etc.) au secteur privé. Par conséquent, il sera important de: i) organiser un forum d’investissement pour le développement du transport fluvial en RDC; ii) mettre en place un système de financement à vocation spéciale visant à aider à créer un environnement propice à la collaboration du secteur des entreprises avec le gouvernement, les banques multilatérales de développement, les organisations de développement, les organismes donateurs, les fondations, les organisations non gouvernementales et de la société civile, les petits agriculteurs et les organisations communautaires locales afin d’améliorer la compétitivité des activités à développer le long des rivières,  attirer des investisseurs et des fonds d’aide solides, contribuant ainsi à une croissance durable et à une prospérité partagée en RDC.

Dr. John M. Ulimwengu

Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)

Ses domaines de recherche incluent la dynamique de la pauvreté, la croissance économique et le développement rural.

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