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La CEDEAO devrait-elle repenser son approche des coups d’État ?

Le 9 janvier, le bloc ouest-africain de la CEDEAO et l’Union économique et monétaire ouest-africaine (également connue sous l’acronyme français, UEMOA) ont imposé des sanctions économiques et diplomatiques contre le  Mali .

Les sanctions imposées aux autorités maliennes comprennent le gel des avoirs maliens au sein des banques commerciales de la CEDEAO, de la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) et des banques centrales des pays membres de la CEDEAO. Ils prévoient également de couper l’aide financière au Mali, de fermer les frontières entre le Mali et les États membres de la CEDEAO, de suspendre les transactions avec le Mali et de retirer les ambassadeurs de tous les pays membres au Mali.

Ces sanctions ont été prises contre la junte militaire pour sa décision de prolonger son règne et de reporter les élections présidentielles. Ces sanctions n’ont pas fait l’unanimité au sein de la sous-région africaine ou du  Conseil de sécurité de l’ONU. L’adoption d’un texte, proposé par la France, pour montrer un front uni a été bloqué par la Chine et la Russie. Même si la décision de la CEDEAO était nécessaire pour empêcher les militaires de s’attarder au pouvoir, les sanctions auront un impact disproportionné sur les Maliens plus que sur les militaires. Cependant, en ne mettant pas en œuvre des sanctions plus ciblées, la CEDEAO pourrait perdre sa légitimité aux yeux des Maliens, ceux-là mêmes que la CEDEAO est censée représenter et protéger.

Les sanctions imposées par les 15 membres de la CEDEAO ont provoqué des réactions mitigées. Alors que la France, les États-Unis et l’Union européenne soutiennent l’approche de la CEDEAO, ces sanctions ont été dénoncées par le régime malien, la majorité des Maliens, de nombreux acteurs politiques de la sous-région et  la junte au pouvoir en Guinée  voisine.

Le porte-parole de la junte au pouvoir a déclaré : « Le Comité du Rassemblement National pour le Développement (CNRD) tient à informer l’opinion nationale et internationale que la République de Guinée n’a donc aucunement été associée à la décision [de la CEDEAO] ». Le porte-parole a ajouté : « En conséquence, le CNRD réaffirme que les frontières aériennes, terrestres et maritimes de la République de Guinée restent toujours ouvertes à tous les pays frères conformément à sa vision panafricaniste ». La CEDEAO a suspendu la Guinée à la suite du coup d’État de septembre dirigé par le colonel Mamady Doumbouya.

Ces sanctions conduiront à l’asphyxie économique du Mali. Si le véritable objectif de ces sanctions était de déstabiliser le régime malien, elles ont échoué. À la mi-janvier,  des milliers de Maliens  sont descendus dans la rue et ont manifesté dans plusieurs villes contre la CEDEAO. Les manifestants, qui comprenaient également de nombreux citoyens des pays voisins, ont réitéré leur soutien à la junte.

La CEDEAO a une longue histoire d’opposition aux coups d’État en Afrique de l’Ouest et de promotion de la démocratie en mettant en place des mécanismes pour sanctionner les putschistes et leurs alliés. Cependant, ces mécanismes ne doivent pas être utilisés sans tenir compte de la situation unique associée à chaque pays et à chaque coup d’État. Le cas malien en est un exemple clair. La majorité des Maliens semblent d’accord avec la décision de la junte de reporter les élections. Les élections précipitées après les coups d’État ont rarement conduit à des sociétés démocratiques fortes en Afrique. Et les élections sur le continent ne sont pas souvent un instrument de mesure du degré de démocratisation des pays, notamment en Afrique de l’Ouest.

En 2020, l’  indice   de démocratie des quinze pays de la CEDEAO a montré que seul le Ghana semble être considéré comme une «démocratie imparfaite». Les autres sont ce qu’on appelle des régimes « hybrides » ou autoritaires. Même si la pandémie a eu un impact négatif sur les libertés démocratiques, les régimes autoritaires au sein de la CEDEAO sont antérieurs à la pandémie. Le taux croissant de coups d’État en Afrique ne peut être résolu en prenant uniquement des mesures contre les putschistes.

Empêcher  les coups d’État militaires  en censurant les instigateurs, en suspendant leur pays ou en imposant des sanctions économiques doit aller de pair avec la volonté absolue de la CEDEAO de faire de la région un véritable havre démocratique pour ses citoyens. Dans cette veine, des sanctions devraient également être prises  contre tout président  qui modifie la constitution de son pays pour rester au pouvoir. La démocratie ne peut pas émerger en Afrique si certains présidents peuvent changer la constitution de leur pays pour rester au pouvoir sans réelles conséquences de la part de l’Union africaine ou de la CEDEAO.

Un problème se résout en s’attaquant à ses causes et non en gérant ses conséquences. La récente prise de contrôle militaire au  Burkina Faso  et sa célébration par de nombreuses personnes dans le pays démontrent que l’institution ne comprend pas les besoins de sa population, et aucune sanction ne dissuadera les militaires de monter des coups d’État. Il ne s’agit pas seulement de pressions russes, françaises ou américaines. La CEDEAO doit revoir ses politiques sur les coups d’État.

La CEDEAO, par ses sanctions, pourrait se discréditer en plaçant ses principes au-dessus de la volonté des Maliens. Tout coup d’État doit être condamné, mais les solutions doivent être proportionnées aux spécificités de chaque situation. Tous les putschistes qui organisent des coups d’État ne croient pas pouvoir s’en tirer comme ça. Ceux qui organisent des coups d’État ne sont pas tous cupides ou téméraires. Certains savent qu’ils peuvent être tués ou emprisonnés si le coup d’État échoue. Ils pourraient le faire pour mettre fin à une situation qu’ils trouvent préjudiciable à leur pays. Pour cette raison, l’Union africaine et la CEDEAO devraient mettre en place des mesures concrètes pour prévenir les coups d’État. Ils doivent choisir la réalité plutôt que l’idéologie.

Le Mali  appartient aux Maliens, et ils sont les seuls à pouvoir décider du meilleur destin pour leur pays. Ils ont besoin de soutien, pas de sanctions. Ils ont besoin de paix, pas de censure. La démocratie est le résultat d’un processus. Elle ne peut être imposée par des élections.

 En choisissant d’imposer des sanctions contre les Maliens au lieu d’écouter les désirs de la population malienne, la CEDEAO prend le risque d’être perçue comme une entité illégitime qui pourrait perdre sa crédibilité auprès des Africains de l’Ouest.

Komlan Avoulete – Maîtrise en diplomatie et relations internationales, spécialisée dans la sécurité internationale et l’Afrique, de l’Université Seton Hall.

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