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Chine : le « crédit social »

Depuis plusieurs années, la presse européenne dénonce le projet de surveillance de la population, le Plan de planification pour la construction d’un système de crédit social (2014-2020) que le gouvernement de la Chine populaire met progressivement en place. Parfois de manière ironique, mais souvent sans grand discernement. L’ambition est d’attribuer à partir de 2020, à certaines catégories de citoyens chinois comme aux entreprises, une note de confiance, un « crédit social ». Le chercheur néerlandais Rogier Creemers propose ici une traduction du document de présentation du Conseil des affaires de l’État (l’équivalent du gouvernement en Chine).

Ce projet est officiellement motivé par la volonté de restaurer la confiance dans la vie économique et, plus particulièrement, entre les entreprises et les consommateurs. L’évaluation publique doit permettre une amélioration des comportements. Une nécessité dans un pays où les scandales de corruption sont fréquents, avec parfois des conséquences tragiques comme en 2008 avec la contamination de près de 100 000 enfants (dont plusieurs décédèrent) par du lait contenant de la mélamine (destinée à augmenter sa teneur en protéine).

Des millions de caméras de surveillance

Le site officiel du crédit social affiche déjà les noms et numéros d’identification de personnes interdites de prendre le train ou l’avion. Plusieurs listes d’entreprises accusées de violer la loi pour des motifs divers et donc « indignes de confiance » sont régulièrement publiées.

Mais, à l’heure actuelle, le système reste expérimental et limité à une douzaine de villes comme Shanghai, Nankin, Xiamen et Yiwu. Les barèmes ne sont pas homogènes pour le moment, mais le manque de civisme – comme traverser en dehors des passages piétons ou ne pas respecter les interdictions de fumer – est sanctionné. Les écarts de comportement sont verbalisés grâce aux millions de caméras de surveillance installées dans le pays (près d’une pour deux habitants en 2020).

L’application Honest Shanghai, proposée par la municipalité de Shanghai, permet à partir de plusieurs critères d’attribuer une note de comportement social entre « excellent », « bon » ou « médiocre », et de rassurer un employeur ou un créancier potentiel ou encore sa future belle-famille. Toutefois, l’application qui collecte des informations auprès d’une centaine d’agences gouvernementales renseigne également sur la confiance que l’on peut accorder aux commerçants ou le niveau d’hygiène des restaurants. Chacun reste libre de l’utiliser ou non. Une note positive permet, par exemple, aux habitants de bénéficier de tarifs réduits dans les transports en commun.

Avec la collaboration des géants chinois de l’Internet

Le résultat du crédit social est obtenu en compilant des données relatives à sa situation administrative (publications sur les réseaux sociaux, diplômes, antécédents de condamnation et d’amendes), mais aussi grâce aux informations personnelles sur ses préférences de consommation fournies par les géants de l’Internet comme Baidu, Alibaba et Tencent. Pour le moment, rien n’indique que les données recueillies par ces sociétés soient communiquées systématiquement aux autorités publiques, même si leur collaboration ponctuelle est réelle.

Ces entreprises disposent de leur propre système de crédit, comme le « Sésame credit » développé par une filiale d’Alibaba. Ce score de crédit commercial est calculé en fonction de l’historique d’achat du client sur les sites marchands comme Tmall ou Taobao, et offre aux clients jugés les plus honnêtes et les plus responsables certains avantages (comme ne pas devoir laisser de caution à l’hôtel).

L’établissement de crédit, China rapid finance peut obtenir du moteur de recherche Baidu des informations sur l’historique de navigation de ses visiteurs. Et des recherches trop fréquentes sur le cancer ou les jeux de hasard peuvent compromettre la possibilité d’obtenir un prêt à un taux avantageux. Ces systèmes privés sont parfois confondus avec le projet gouvernemental de crédit social, pourtant distinct, même si la frontière reste poreuse.

Le quotidien Les Échos sous la plume de Frédéric Schaeffer titrait récemment : « En Chine, 1,4 milliard de suspects sous surveillance » en dénonçant l’usage de l’intelligence artificielle, et des données biométriques pour surveiller, et arrêter les auteurs de crimes ou délits.

Modèle liberticide chinois et régressions occidentales

Les pouvoirs publics justifient ce maillage tentaculaire au nom de la modernité et de la lutte contre la criminalité (dans un pays aussi vaste, où les solidarités familiales et ethniques restent fortes, de nombreux condamnés parviennent à échapper à l’application des décisions de justice). Mais la Chine est-elle la quintessence de la société orwellienne ?

Nos incantations contre ce modèle liberticide ne doivent pas faire oublier, nos propres régressions-évolutions depuis vingt ans dans le domaine des libertés publiques, qui amènent dans les sociétés démocratiques à des comportements de fichage généralisés.

La plus grande base d’empreintes génétiques (ADN) rapportée à la population se situe dans le patrie de l’habeas corpus, le Royaume Uni. Constituée à partir de 1995, l’UK National Criminal Intelligence DNA Database, contient actuellement près de six millions de profils génétiques, soit un habitant sur six. Et comme l’ADN d’un individu est en partie similaire à celui de ses ascendants et ses descendants, c’est potentiellement, la moitié de la population britannique qui peut ainsi être identifiée.

La France n’est pas en reste avec l’élargissement des cas où les empreintes génétiques sont relevées. Et que dire du Patriot Act adopté au lendemain du 11 septembre 2001, et qui oblige les fournisseurs d’accès à Internet à communiquer les informations personnelles de leurs clients aux services de sécurité, et somme les bibliothécaires de dénoncer les usagers suspects ?

Si ces mesures liberticides se justifient face à la menace terroriste, il semble excessif de s’exonérer de reproches pour dépeindre la Chine en antichambre de la société de contrôle. Au Canada comme aux États-Unis, les particuliers sont évalués par les commerçants, leur banque ou leur créancier selon « l’antécédent de crédit ».

Mais il ne suffit pas de payer rubis sur l’ongle ses dettes pour être considéré comme un interlocuteur de confiance, puisque le retard de paiement d’une amende de stationnement ou même à cause d’un livre rendu en retard à la bibliothèque municipale peut vous desservir. Cette cote de crédit peut être consultée par un propriétaire, un loueur de voiture ou un employeur éventuel. Et que dire des Américains qui publient nom, adresse, photographie et description physique des condamnés pour crimes et délis ?

En Inde aussi…

Le contrôle social en Chine partage plusieurs objectifs avec ceux des démocraties occidentales, comme prévenir le risque terroriste, ici lié au séparatisme de la minorité des Ouighours. Mais il diffère sur plusieurs points :

  • en Asie, la liberté de l’individu doit s’effacer au profit de l’intérêt collectif. La tranquillité de la société implique de lutter contre les comportements criminels ou plus simplement le manque de civisme.
  • le développement économique de la Chine ne s’est pas accompagné d’un système de régulation bancaire efficace. La solvabilité comme le sérieux des entreprises publique ou parapublique est difficile à évaluer (normes comptables différentes, audits complaisants). Or la confiance envers les institutions et les agents économiques est l’un des ingrédients essentiels pour favoriser l’entreprenariat.
  • la dénonciation publique des coupables de crimes ou de délits « indignes de confiance » – le but étant dissuasif, dans une société où la préservation de l’honorabilité du groupe social (la famille, l’entreprise)– est fondamentale.
  • une coopération plus régulière entre l’État et les acteurs de l’Internet chinois pour mieux cerner les profils des citoyens en fonction de leurs habitudes de consommation. Mais cette situation n’est pas propre à la Chine, puisque les révélations d’Edward Snowden sur le programme PRISM ont montré la connivence entre la NSA et les sociétés de la Silicon Valley.

La surveillance électronique en Chine n’est pas malheureusement l’apanage des régimes autoritaires, puisque le gouvernement de Narendra Modi en Inde a, lui aussi, entrepris une surveillance massive par le biais de la carte d’identité biométrique, dite carte Aadhar.

En Chine, elle est volontairement plus visible pour être dissuasive et, sous le prétexte d’une lutte louable contre la criminalité, vise à assurer la stabilité du régime et surtout n’offre guère de recours juridiques aux contrevenants.

François Lafargue – Professeur de géopolitique et d’économie asiatique, PSB Paris School of Business – UGEI

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