Échos d'Afrique

Tchad : Verdict de l’Union africaine

ANALYSE DU RAPPORT DE LA MISSION D’ENQUETE AU TCHAD

DU CONSEIL DE PAIX ET SECURITE DE L’UNION AFRICAINE

DU 29 AVRIL AU 5 MAI 2021

PAR LES ORGANISATIONS DE LA SOCIETE CIVILE ET DE LA DIASPORA AFRICAINES, DES AFRICANISTES ET AMIS D’AFRIQUE

  1. Contexte de la mission de l’Union Africaine (UA)

Les organisations de la société civile et de la diaspora africaines et des Africanistes et amis d’Afrique relèvent que la Mission de l’UA diligentée au Tchad du 29 avril au 5 mai 2021 fait suite à un désaccord entre les différentes parties du Conseil de Paix et de Sécurité (CPS) qui seraient partagées entre deux options à savoir :

  • a. Déclarer la situation comme un changement anticonstitutionnel de gouvernement et appliquer une sanction, conformément à l’Article 7(g) du Protocole du CPS ; ou
  • b. Envoyer d’urgence une Mission pour évaluer la situation sur le terrain et faire rapport au Conseil.

Les organisations de la société civile et de la diaspora africaines, des Africanistes et amis d’Afrique saluent l’opportunité de cette Mission de l’UA mais se désolent sur le fait qu’elle remplace la condamnation immédiate du changement anticonstitutionnel de gouvernement et la mise en place de sanctions que prescrivent ses textes pertinents en la matière. Ces organisations et africanistes et amis d’Afrique relèvent qu’on pouvait faire économie de cette Mission et que la procédure suivie constitue un précédent sérieux et une exception inexplicable au regard de la pratique établie.

De ce fait, ils réfutent les conclusions du rapport sur le contexte de cette Mission selon laquelle « à l’avenir, le concept de la Mission d’enquête de l’UA pour la situation Tchadienne devrait servir de modèle et d’outil d’apprentissage pour la promotion de la bonne gouvernance politique et de la prévention des conflits dans le cadre des futures interactions de l’UA ». Ils relèvent que cette mission ne se justifie nullement par les expériences passées. Ils estiment que dans son esprit cette mission constituerait une occasion pour valider les coups d’État en Afrique et que la seule façon pour l’UA de montrer qu’elle est une institution crédible, respectueuse de ses propres textes est de condamner les situations de changement anticonstitutionnel de gouvernement, de mettre en place les sanctions et, à ce moment seulement, d’examiner l’opportunité d’une mission d’évaluation approfondie de la situation pour apporter son soutien au pays et aux populations des pays concernés.

Les organisations de la sociétés civiles et de la diaspora africaines, les Africanistes et amis d’Afrique estiment que l’interprétation dangereuse et unique des textes de l’UA à cette occasion ne serait pas étrangère au fait que le Président de la Commission de l’UA soit un proche du président défunt et que certains pays, du G5 Sahel notamment, soient plus préoccupés par la situation intérieure de leur pays que par un soutien ferme aux institutions démocratiques et au peuple Tchadien. En conséquence, et comme il sera démontré plus loin, ils estiment que l’intervention du Tchad sur les terrains de lutte contre le terrorisme en dehors de ses frontières n’est pas récompensée comme il se doit mais que cette intervention dessert le peuple Tchadien et l’applicabilité des valeurs démocratiques dans ce pays.

Ils relèvent à ce titre que le contexte de cette Mission n’a pas intégré le fait que le pays était, avant les attaques des forces politico-militaires, dans une situation de crise sociopolitique profond, dans un contexte électoral contesté et de répression violente des manifestations pacifiques et de violence contre l’opposition démocratique. Ils notent pour le déplorer que la Mission de l’UA n’ait pas pris en compte cette situation dans son analyse. Ils notent également que la Mission n’a pas indexé l’audience accordée, aux premières heures de la constitution du Conseil Militaire de Transition (CMT), par le Président de la junte au pouvoir au Président de la Commission de l’UA, le Tchadien Moussa Faki Mahamat, alors que ce dernier se devait en une telle circonstance d’avoir une certaine retenue même s’il est proche du défunt Président.

  • Du déroulement de la Mission

Les organisations de la société civile et de la diaspora tchadienne, les sociétés civiles africaines, les Africanistes et amis d’Afrique relèvent pour le déplorer que la Mission n’ait pas pris en compte deux acteurs majeurs de la scène politique du moment, à savoir la Coordination des Actions Citoyennes (CAC) et les forces politico-militaires.

La Coordination des Actions Citoyennes, regroupement de plusieurs associations de jeunes, de femmes, de défense des droits humains, des syndicats et de partis politiques de l’opposition n’a pas eu sa place dans l’agenda de la Mission. En lieu et place, elle a rencontré plusieurs associations qui ont, soit accompagné le processus électoral contesté, soit ont brillé par leur silence durant la longue période de contestation depuis le début de l’année 2021. Une rencontre brève entre le chef de la Mission et les leaders de la CAC, arrachée à la dernière minute, n’a pas été évoquée dans le rapport, témoignant de la volonté de les ignorer.

De même, la Mission de l’UA n’a pas tenu à rencontrer les groupes politico-militaires pour avoir leur version des faits. Elle a, de manière péremptoire, qualifié dans son rapport ces groupes rebelles de milice et de mercenaires alors qu’il est établi par plusieurs instances que ces groupes sont une réalité d’une contestation du pouvoir d’Idriss Deby Itno et la résultante de son refus de dialogue politique inclusif et de la mise en place d’une bonne gouvernance. La Mission n’a pas pris en compte dans son rapport la volonté de ces politico-militaires d’accepter le dialogue national inclusif et, par conséquent, de taire les armes, ni le refus du CMT d’accepter le dialogue avec ces groupes politico-militaires.

La Mission n’a pas pris en compte la voix de la diaspora Tchadienne et la proposition de sortie de crise initiée par elle et signée par plusieurs organisations de la société civile, qui comprend un schéma de retour à l’ordre constitutionnel en deux étapes et un processus devant conduire au dialogue national inclusif.

Enfin, le rapport fait abstraction de l’attitude de défiance du Conseil Militaire de Transition vis-à-vis de la Mission de l’UA. En effet, malgré l’annonce de la Mission de l’UA, le CMT a poursuivi avant et après l’arrivée de ladite Mission, la mise en place de ses organes : la nomination du Premier ministre de transition (issue de la mouvance présidentielle de Deby-père), la mise en place du gouvernement (largement dominé par le MPS, parti de Deby-père) et la prise de différents textes liberticides traduisent bien une volonté de la junte de perpétuer le système honni par le peuple Tchadien. Les organisations de la société civile et de la diaspora africaines, les Africanistes et amis d’Afrique déplorent l’absence d’analyse critique de cette situation dans le rapport de la Mission et son silence par rapport à la mise en œuvre de ce plan de confiscation de pouvoir, sans aucune volonté d’ouverture et de consensus.

  • De la narration des faits dans le rapport
  • Des imprécisions qui interrogent

Le rapport est rempli d’un certain nombre d’imprécisions ou de contrevérités qu’il convient de relever. C’est par exemple dès la première phrase de l’introduction du rapport (page 2), lorsqu’il est dit que « le Tchad a été attaqué par un groupe de milices et de rebelles lourdement armés, qui a commencé dans la province du Kanem, dans le nord du pays, et s’est poursuivi jusqu’à la capitale Tchadienne, N’Djamena… ». Entre autres éléments, Il faut rétablir les faits : la rébellion n’a pas attaqué la capitale Tchadienne. Sa progression a été stoppée à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale.

C’est aussi le cas de la qualité de Dr Succès Masra lors de la rencontre (page 10) : un Président d’un parti politique ne saurait être qualifié de représentant de jeunes. Est-ce pour diminuer la valeur des arguments qu’il a avancés.

C’est encore au niveau du paragraphe 86 : « Cependant, il convient de prendre en considération la situation unique du Tchad (décès du défunt Président Deby, agression extérieure, attaque des mercenaires, attaques du groupe terroriste Boko Haram) du 11 au 21 avril 2021, qui a rendu difficile pour le pays de faire face à la situation dans des circonstances normales. ». Si tant est que la version officielle (assassinat de Deby pendant les combats contre le FACT) est vraie, l’on ne saurait affirmer que le Tchad était dans une situation d’agression extérieure, d’attaque des mercenaires et encore moins d’attaques du groupe terroriste Boko Haram du 11 au 21 avril 2021.

  • Des dispositions de la Constitution du Tchad concernant la vacance de poste de Président

Le contexte lié à la période électorale n’a ni été évoqué, ni interprété. Au-delà d’être président, Idriss Deby Itno était un candidat aux élections présidentielles qui se sont déroulées le 11 avril dans un contexte de vives contestations. Les dispositions pertinentes liées au décès d’un candidat à l’élection présidentielle, qui pourraient donner des pistes sur les procédures appropriées pour l’avenir immédiat du pays ne sont notamment pas examinées.

  • Du plan de transition

Au nombre des manquements de ce rapport sur les aspects de la mise en place des institutions de la transition et de l’examen de la charte qui la sous-tend, on peut relever que :

  • L’absence d’analyse du plan de transition en cours d’application par la junte ;
  • L’absence de description de la composition du CMT qui a, à sa tête le fils du président défunt et qui rassemble, dans sa majorité des chefs de guerre analphabètes qui ont été les piliers du régime du défunt président ;
  • Le refus de relever la dévolution monarchique du pouvoir de père en fils, clairement réaffirmé dans la charte de transition adoptée par la Junte et qui fait référence aux résultats de l’élection présidentielle contestés ;
  • L’absence d’analyse critique de la charte nationale de transition pour en relever le caractère dictatorial. Plusieurs dispositions de cette charte sont antidémocratiques et la Mission se devait de porter un regard critique sur l’ensemble des dispositions contraires aux règles et principes pertinents et les mettre en exergue mais pas seulement les évoquer. Un exemple des incongruités de cette charte qui la rend anti-démocratique est la concentration des pouvoirs de désignation du Premier Ministre et des membres du Conseil national de Transition, qui ferait office de parlement de transition, entre les seules mains du Président du CMT ;
  • L’absence d’analyse sur la configuration du gouvernement de transition, civile certes mais composée dans une large majorité par le parti MPS et ses alliés dont la gouvernance a plongé le pays dans le chaos. La vraie opposition politique n’a eu que 4 places au gouvernement (les autres partis politiques représentés composaient de fait l’ex-majorité présidentielle) composé de 40 membres et la société civile n’y est pas représentée ;
  • L’absence de lecture critique sur la façon dont les membres du conseil national de transition seront désignés, sur le lien entre ce CNT et le dialogue national inclusif, sur les entraves réelles que pourraient constituer cette architecture dans la marche vers le dialogue national inclusif et des institutions crédibles au Tchad.
  • Des cadres juridiques de l’UA relatifs au changement anticonstitutionnel de gouvernement

Le rapport mentionne l’article 7 (g) du protocole portant création du CPS mais ne justifie finalement pas la mise en route de la Mission de l’UA. Les principes déclinés dans ce chapitre sont clairs et devraient conduire à une condamnation du coup d’État avec des sanctions immédiates à l’encontre de la junte car ils ne laissent place à aucune interprétation possible.

  • Des leçons apprises par le CPS des situations similaires

Les situations décrites au Mali et au Soudan s’apparentent parfaitement à la situation qui prévaut au Tchad : pays en crise, en proie à des conflits internes comme dans le cas du Mali ; crise politique et présence de forces politico-militaires opposées au régime en place comme au Soudan. Les leçons apprises par le CPS dans ces contextes devraient amener à conclure que la démarche du CPS dans ces pays est celle qui devrait prévaloir également au Tchad.

  • Des perspectives géopolitique et sécuritaire

Les perspectives géopolitique et sécuritaire mettent en exergue le rôle que joue le Tchad dans la stabilité de la sous-région. Elles n’indexent toutefois pas les risques de l’implosion du Tchad due à la poursuite du statu quo dans la gestion des affaires publiques et dans la configuration de l’Armée nationale. L’injustice sociale, l’impunité reconnue aux membres du clan et l’exclusion constituent les facteurs les plus importants d’insécurité et de développement de mouvements extrémistes.

De même, la mauvaise gestion de l’Armée tchadienne caractérisée par l’injustice dans ses rangs, le mauvais traitement des troupes (en dehors de la milice prétorienne du régime) et l’indiscipline due notamment au non-respect de la déontologie en matière d’attribution de grades et de responsabilités constituent la menace la plus importante dans la stabilité sous-régionale (ces faits sont documentés dans plusieurs rapports). La non-prise en compte de ces dimensions enferme le Tchad dans un rôle de réservoir d’hommes capables d’être de la chair à canons dans les conflits internationaux et excluent le peuple Tchadien du bénéfice qu’il est en droit de recevoir des valeurs et efforts de la communauté internationale en matière de développement humain.

  • Du rôle de l’UA dans la protection de l’intégrité territoriale du Tchad en tant qu’État membre

Le rapport indexe clairement des menaces liées à la présence de mercenaires sur le territoire tchadien. Il reprend ainsi la propagande de la junte militaire et du défunt Président qui ont toujours refusé l’ouverture d’un dialogue global intégrant les Tchadiens qui ont dû recourir aux armes pour défendre leur dignité. La Constitution tchadienne reconnait au peuple le droit de résister et de désobéir aux pouvoirs antidémocratiques.  Confer les dispositions suivantes du préambule de la constitution :

  • i) « Proclamons solennellement notre droit et notre devoir de résister et de désobéir à tout individu ou groupe d’individus, à tout corps d’État qui prendrait le pouvoir par la force ou l’exercerait en violation de la présente Constitution ;
  • ii) Affirmons notre opposition totale à tout régime dont la politique se fonderait sur l’arbitraire, la dictature, l’injustice, la corruption, la concussion, le népotisme, le clanisme, le tribalisme, le confessionnalisme et la confiscation du pouvoir ».

Aucune preuve de la présence de mercenaires étrangers dans les troupes du FACT n’a été apportée ni par la Junte lors de la présentation des prisonniers du FACT, ni par le rapport. Ceci ne devrait donc pas autoriser la Mission à évoquer les dispositions de l’UA en matière de protection de l’intégrité territoriale du Tchad en tant qu’État membre. Bien au contraire, la Mission devrait veiller à refléter la position de cette composante des forces vives qui sont opposées à la gouvernance du régime Deby.

La reprise de la propagande du MPS et de son extension, le CMT, en ce qui concerne les forces politico-militaires n’augurent pas d’un schéma de dialogue national véritablement inclusif. La Mission de l’UA devrait analyser la situation de la gouvernance du Tchad sous Deby, entendre les leaders politico-militaires et avoir une lecture plus fine de la situation. Les différents bilans des combats, la présentation qui est faite des prisonniers du FACT à la télévision nationale ne témoignent de la présence de mercenaires étrangers dans les troupes de ces forces politico-militaires. Au contraire, il est fait état de plusieurs ex-leaders de partis politiques faits prisonniers, témoins de l’absence de réelle ouverture politique. La situation de violence permanente promue par les forces gouvernementales peut être qualifiée, au regard les instruments juridiques internationaux, de crimes de guerre.

En tout état de cause, la Mission devrait, après analyse et recoupement de faits, déclarer qu’il y a une situation de conflit interne né plutôt de l’absence de dialogue politique. Ceci justifierait l’urgence d’organiser un dialogue inclusif sous auspices internationales.

  • Du rôle de l’UA dans la protection des droits humains

Tout en notant favorablement la mention du risque croissant de la prise des civils pour cible par des forces armées en belligérance (et non seulement les Groupes armés non étatiques) dans le rapport, les organisations de la société civile et de la diaspora tchadienne, les sociétés civiles africaines, les Africanistes et amis d’Afrique relèvent pour le déplorer que la Mission n’a pas relevé de manière appropriée les violentes repressions contre les manifestants du 27 avril 2021 (et jours suivants) à Ndjamena et à Moundou. Il faut noter que l’usage fait des armes à balles réelles a causé une dizaine de morts et des dizaines de blessés. Ce qui est une évidente violation du principe de respect du caractère sacré de la vie humaine tel que stipule l’Article 4 de l’Acte constitutif en matière de Droits de l’homme.

  • De l’appui à l’enquête sur l’assassinat du défunt président Idriss Deby Itno

L’assassinat d’Idriss Deby Itno mérite une attention plus soutenue de la part de l’UA. Le rapport fait abstraction de l’existence de plusieurs versions sur les circonstances de la mort d’Idriss Deby Itno. En adoptant la version officielle et en se référant à une enquête nationale, la Mission ne va pas au fonds de sa mission qui visait à clarifier les circonstances du décès du défunt président. Pourtant, plusieurs sources convergent sur le fait qu’il s’agit d’un assassinat par les proches du pouvoir et non pas d’une mort liée aux attaques rebelles. Il ne faut donc pas exclure l’hypothèse que certains membres du CMT qui sont bénéficiaires de cette disparition brutale d’Idriss Deby soient auteurs de cette disparition. La rébellion qui est un acteur intournable dans la recherche de solution à cette crise, et à qui on a attribué cet assassinat n’a jamais confirmé son rôle dans la mort brutale d’Idriss Deby Itno. Plusieurs personnalités auraient pu être rencontrées par la Mission pour lui permettre d’avoir une lecture alternative avant qu’une enquête approfondie soit faite par une commission internationale.

  • De l’analyse de la situation

L’analyse de la situation par la Mission de l’UA est ainsi biaisée par tous les éléments ci-haut présentés. Il en est par exemple de la caractérisation du coup d’État et des circonstances que la Mission juge atténuante (invasion imminente des rebelles/combattants étrangers venant du nord du pays) et des arguments qui tendent à le justifier après coup (paragraphe 83 en ce qui concerne le désistement du vice-président de l’AN) alors même que les procédures constitutionnelles n’ont pas été respectées.

Le paragraphe 84 introduit insidieusement ainsi qu’il faille discuter de la qualification de la prise de pouvoir par la junte dirigée par le fils du président défunt alors que les faits sont têtus. Ce paragraphe n’introduit nullement une réserve quant au fait que ce soit le fils du défunt Président qui ait été curieusement choisi alors qu’il n’est nullement prouvé sa capacité auprès même de ses pairs à diriger le pays en de telles circonstances. Les paragraphes 86 et 87 confirment l’intention du rapport de légitimer le CMT alors même qu’il s’agit bien d’une confiscation de pouvoir ; la situation d’urgence ne pouvant être invoquée en pareil circonstance vue les capacités réelles des forces de sécurité à faire face à la situation. Même si cela devrait être le cas, les faits récents (acceptation du dialogue par les forces politico-militaires, maitrise de la situation sécuritaire par les forces gouvernementales, des déclarations même de la junte), montre bien que la situation n’était pas si catastrophique que cela et que cette confiscation de pouvoir par la junte militaire ne peut encore se justifier aujourd’hui.

L’article 87 introduit une contradiction quant à l’enchainement des faits : le CMT a été mis en place avant que le Parlement n’ait été saisi et il a dissout ce parlement sans consultation des députés. On ne saurait donc évoquer un vide juridique.

La Mission de l’UA reste évasive sur son rôle en matière de défense des droits de l’homme en confiant au Premier Ministre la mission de conduire une enquête sur les circonstances de la mort d’Idriss Deby Itno. L’on peut se demander, dans une telle circonstance où son assassinat profite à la junte, comment elle peut conduire une telle enquête s’il s’avérait qu’elle est auteur de cet assassinat. La posture d’Idriss Deby Itno sur l’échiquier politique africain tant vanté par ses pairs mérite-t-elle qu’on s’y prenne avec autant de légèreté pour élucider les circonstances de sa mort ?

Le paragraphe 89 interroge sur le bien-fondé d’évoquer l’impuissance des organisations de la société civile ressentie par leurs membres concernant toute amélioration future de la situation politique. Si une telle impuissance est confirmée, cela ne devrait-il pas conduire l’UA à mettre en œuvre les sanctions appropriées pour contraindre la junte à céder le pouvoir immédiatement et à ne pas entraver la bonne conduite du dialogue national inclusif tant souhaité par le peuple Tchadien ? La solidarité africaine, fondement de l’UA, devrait-elle s’exprimer autrement que par la solidarité aux plus faibles, au peuple Tchadien qui revendique un changement de gouvernance à la tête du pays ?

Dans ce cadre, les organisations de la société civile et de la diaspora Tchadienne, la société civile africaine, les Africanistes et amis d’Afrique saluent la pertinence de l’analyse contenue dans le paragraphe 92. Mais elles soulignent la contradiction évidente entre cette conclusion et les recommandations de la Mission.

  • Des conclusions et des recommandations du rapport

Les organisations de la société civile et de la diaspora africaines, les Africanistes et amis d’Afrique saluent la pertinence des premières conclusions de la Mission qui prouvent bien que la junte a perpétré un coup d’État et a mis en place une transmission dynastique du pouvoir. Elles restent cependant circonspectes quant à sa volonté d’introduire un débat autour de la durée de la transition décidée par le CMT à partir du moment où l’UA devrait dans ce contexte exiger purement et simplement sa dissolution et la mise en place d’une transition civile dont la durée pourrait être souverainement décidée lors du dialogue.

Le rapport note à juste titre que « la capitale Tchadienne était calme pendant le séjour de la Mission d’enquête à Ndjamena, du 29 avril au 5 mai 2021, sans aucun signe visible de la panique initiale selon laquelle les rebelles armées attaqueraient la capitale, comme les gens l’avaient craint il y a quelques semaines. », confirmant de fait que rien ne saurait justifier l’exception tchadienne.

La plus grande forfaiture du rapport se trouve dans l’affirmation suivante : « L’un des résultats les plus importants de la Mission a été l’assurance communiquée par le Président du CMT, le Général Mahamat Idris Deby, dans sa déclaration préparée lors de l’engagement de la Mission avec lui, que le Conseil avait décidé que les 15 membres du CMT ne participeraient pas ou ne concourraient pas aux élections à la fin de la Transition dans 18 mois » (page 28). La Mission de l’UA était donc mandatée non pas pour évaluer la situation mais pour confirmer le coup d’État militaire et la dévolution monarchique du pouvoir. « L’exception Tchadienne » saurait-elle se justifier par un contexte géopolitique et sécuritaire particulier alors que les forces de défense et de sécurité tchadiennes sont acteurs de premier plan dans la lutte contre l’extrémisme violent en Afrique ? Comment comprendre que ces forces de défense et de sécurité soient tenues de diriger le pays pour être en mesure de faire face à des risques qui, d’ailleurs, ne sont pas avérés quelques jours après la forfaiture de la junte.

La forfaiture dans le rapport continue en ces termes : « dans l’ensemble, les principales étapes institutionnelles de la Transition restent la mise en place du CMT, la nomination du Premier Ministre, la formation d’un gouvernement de transition et le conseil national de Transition (CNT), qui servira de corps législatif provisoire. D’après les actions entreprises jusqu’à présent, seul le CNT doit encore être établi conformément à la Charte de Transition. Il s’agit ; donc, d’un défi compliqué car les membres du NTC sont censés être nommés et non pas élus et, par conséquent, leur composition ne reflètera pas la volonté du peuple ». Le rapport essaie ainsi d ’éclipser l’illégitimité du CMT, la dévolution monarchique du pouvoir, le caractère unilatéral de la désignation du Premier ministre, les insuffisances criardes de la Charte et se préoccupe davantage des risques liés à la poursuite du schéma de la junte. Le rapport prend le parti de la légitimation du CMT en évoquant que « certains partis politiques de l’opposition, la société civile, les organisations de femmes et de jeunes ainsi que celles de la Diaspora, sont convaincus de l’urgence de revoir la Charte de Transition et de mettre en place un Président civil et un militaire comme Vice-président pour la crédibilité de la Transition ». Les forces vives sont, dans leur écrasante majorité, contre un pouvoir militaire et la dévolution monarchique du pouvoir.

Enfin, le rapport semble donner une orientation quant au soutien financier à une autorité de fait alors même que les institutions de financement comme la Banque africaine de développement et la Banque mondiale ont suspendu leurs décaissements en faveur du Tchad pour ne pas cautionner le coup d’État.

En ce qui concerne l’analyse de la situation sécuritaire, les organisations de la société civile et de la diaspora africaine, les Africanistes et amis d’Afrique soulignent la prise de position en faveur d’une situation d’exception Tchadienne liée à des attaques extérieures de toutes sortes. Ils relèvent que si l’esprit de cette analyse était fondé, il ne pourrait aboutir à des conclusions différentes de celles qui ont prévalu pour le Mali et le Soudan. En réalité, les organisations de la société civile et de la diaspora africaines tiennent à rappeler que la situation du Tchad est liée plus à l’absence de dialogue politique qu’à autre chose, et que, si menace il y a, les forces de défense et de sécurité qui ont montré leur combativité exemplaire en dehors de leur pays sont en mesure de faire face à des attaques extérieures.

  • Observations, objections et suggestions

De tout ce qui précède, les organisations de la société civile et de la diaspora africaines, les Africanistes et amis d’Afrique rejettent les analyses qui tendent à légiférer une démarche dangereuse tendant à créer une exception qui pourrait devenir une règle en Afrique. Ils :

  • Rejettent la propagande de la junte reprise dans le rapport du CPS tendant à faire passer les forces politico-militaires pour des mercenaires venus de l’extérieur du pays ;
  • Objectent toutes les conclusions du rapport de l’UA sur tous les points tendant à imposer au peuple Tchadien un tel système qui a exprimé via la charte de transition du CMT son caractère dictatorial et sa volonté de se perpétuer au pouvoir de père en fils ;

Objectent le fait que la Mission d’enquête conduite au Tchad devienne un cas d’école et remplace l’application stricte des principes et doctrines adoptés par l’UA ;

  • Estiment que le refus de la junte et les organes qu’il a mise en place d’accepter le cessez-le-feu et le dialogue proposés par les forces politico-militaires disqualifie ces organes dans l’organisation du dialogue national inclusif qui devrait rassembler les Tchadiens de tous bords et de tous horizons ;
  • Attirent l’attention de l’UA et des institutions de Brettons-Woods sur la régénérescence accélérée d’un système de gouvernance caractérisé par les détournements de deniers publics, la corruption, l’injustice sociale, l’impunité, et l’exclusion, et qui a démontré son incapacité à opérer les reformes salutaires, occasionnant le classement du pays au dernier rang de la plupart des classements mondiaux ;
  • Exigent l’ouverture d’une enquête indépendante sur les circonstances du décès du Président Deby ;
  • Appellent les institutions africaines et onusiennes à prendre en compte les aspirations du peuple Tchadien à une vie meilleure, au respect de leur dignité et de leur liberté ;
  • Appellent le CPS à appliquer dans toute sa rigueur les dispositions pertinentes de l’UA notamment la condamnation du coup d’État et la sanction à l’encontre de tous les organes de la junte militaire ;
  • Demandent à l’UA et le Conseil de sécurité des Nations-Unies de prendre toutes les dispositions appropriées afin d’accompagner le peuple Tchadien dans la mise en place d’une transition dirigé par un civil, l’organisation sans délai d’un dialogue national inclusif devant déboucher sur la mise en place consensuelle d’organes de transition, la réforme de l’Armée, la mise en place d’institutions républicaines fortes et la tenue d’élections libres et transparentes ;
  • Demandent à l’UA de dessaisir le Président de la Commission de l’UA du dossier Tchadien pour conflit d’intérêts mis en évidence par un parti pris évident aux cotés de la junte ;
  • Suggèrent à l’UA de nommer le Président en exercice de l’UA et le président Ghanéen ainsi que l’ancien président Nigérian Olusegun Obasandjo comme médiateurs dans la crise Tchadienne.
  • Demandent à tous les intellectuels africains, africanistes et amis d’Afrique de porter ce message aux dirigeants africains.
roi makoko

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