L’élection de Bassirou Diomaye Faye à la présidence du Sénégal le 24 mars 2024, après un processus électoral mouvementé, reflète la résilience des institutions démocratiques du pays. L’avènement d’un nouveau pouvoir offre l’occasion de renforcer la gouvernance transparente et de lutter contre les inégalités dans le pays. C’est la première fois depuis l’indépendance du Sénégal de la France en 1960 qu’un candidat de l’opposition gagnait une élection dès le premier tour.
Faye, qui a été libéré de prison dix jours avant le scrutin, a en effet remporté le scrutin avec 54,28 % des suffrages, devant ainsi le cinquième président du Sénégal. Il a immédiatement nommé son camarade et leader de parti Ousmane Sonko au poste de Premier ministre.
Les médias occidentaux ont tenté de montrer que Faye, présenté comme un “panafricaniste de gauche”, souhaitait promouvoir une culture africaine authentique pour rompre avec l’influence occidentale postcoloniale. L’orientation politique du duo Faye-Sonko correspond surtout à celle de leur parti, les Patriotes du Sénégal pour le travail, l’éthique et la fraternité (Pastef), une organisation fondée par Sonko en 2014.
Bien que leurs intentions paraissent radicales, leur principal objectif est de renforcer l’indépendance nationale du pays. Cette orientation nationaliste rapprochera également le nouveau gouvernement du Sénégal des juntes militaires voisines qui gouvernent la Guinée, le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Paris, qui a toujours eu à cœur de préserver sa présence postcoloniale, notamment ses bases militaires, le franc CFA et la langue française, est désormais contraint de suivre les événements.
En tant que chercheur, j’ai analysé les transitions démocratiques au Sénégal. Ma récente étude analyse les forces, faiblesses, opportunités et menaces associées aux politiques des nouvelles autorités. Selon moi, le gouvernement sénégalais devra bientôt s’adapter à la dure réalité des inégalités économiques.
Contrats de “dépossession”
Faye et Sonko ont promis de renégocier les termes de la monnaie CFA, soutenue par la France, ainsi que les contrats pétroliers et gaziers avec des sociétés étrangères, tels que BP, Kosmos Energy et Woodside Energy Group afin d’augmenter les revenus de l’État issus de ces ressources énergétiques.
Sonko a qualifié à plusieurs reprises ces contrats de “dépossession” des Sénégalais, parce que les ressources auraient été vendues bien en dessous de leur valeur. De quoi provoquer une agitation au sein du secteur, après plusieurs milliards de dollars d’investissements cumulés entre majors et sous-traitants locaux, directement ou indirectement. En outre, les prévisions de croissance sont devenues plus sombres en raison de l’effondrement de la demande mondiale de nouvelles sources d’énergie.
L’intention de “protéger” l’industrie pétrolière et gazière de tout contrôle étranger pourrait décourager les investissements dans ce secteur.
Du côté de la demande, la croissance de la consommation privée a ralenti, reflétant la perte de pouvoir d’achat liée à une inflation élevée, tandis que l’investissement a été affecté par les incertitudes liées au climat sociopolitique.
Du côté de l’offre, l’activité dans le secteur tertiaire, touchée par les troubles sociaux et les tensions politiques, a ralenti. L’inflation est restée élevée, même si elle devrait se modérer à 6,1 % en 2023, après avoir culminé à environ 9,7 % en 2022, suite à la chute des prix internationaux des matières premières et à la normalisation des chaînes d’approvisionnement.
Les vulnérabilités structurelles telles qu’une faible productivité, un capital humain limité, des niveaux élevés d’activité informelle et l’émigration des jeunes ont persisté et ont été exacerbées par des chocs externes tels que la pandémie de COVID-19 et l’invasion de l’Ukraine par la Russie.
Sentiment d’exclusion
L’écart entre le potentiel économique et les niveaux de pauvreté alimente la frustration et le sentiment d’exclusion de la population, la rendant vulnérable au recrutement par des groupes extrémistes. Citons l’exemple de la région aurifère de Kédougou dans le sud-est du pays, l’une des plus pauvres du pays. Cette région représente un risque sécuritaire pour le Sénégal, selon l’Institut d’études de sécurité (ISS) qui a appelé à accélérer la formalisation de l’exploitation minière artisanale et à petite échelle pour réduire l’exploitation illégale et renforcer le contrôle de la chaîne de commercialisation de l’or.
Mais le Fonds monétaire international (FMI) a déjà mis en garde le gouvernement et ajusté ses prévisions de croissance économique pour le pays, les réduisant de 10,6 % à 8,3 % en raison de retards antérieurs dans ces projets énergétiques clés.
D’autres doutes ont été soulevés quant à la légalité des accords antérieurs, notamment celui de cession des concessions d’exploration de Saint-Louis et Cayar (Kayar), actuellement détenues par BP. Par exemple, en novembre 2023, des rapports ont révélé que BP s’était retiré du champ de gaz naturel de Yakaar-Teranga au large du Sénégal à la suite de désaccords avec le gouvernement local.
Par ailleurs, la société Petrosen, la compagnie pétrolière nationale du Sénégal, a confirmé un certain attentisme. Il estime qu’il sera difficile de renégocier les contrats de gaz de Sangomar ou de GTA, déjà en cours, et insiste sur le fait que ce dernier champ est partagé physiquement et commercialement avec la Mauritanie. Rien ne pourrait donc se faire sans la Mauritanie, qui n’a jamais parlé de renégociation des contrats.
Inégalités économiques
Cependant, Dakar devra bientôt s’adapter à la dure réalité des inégalités économiques. Il doit tenir ses promesses électorales de lutter contre la corruption, donner la priorité aux intérêts économiques nationaux et créer des emplois pour la population du pays, notamment pour les jeunes chômeurs.
Les jeunes en âge de travailler représentent plus de la moitié des chômeurs. L’écart entre le potentiel économique et les niveaux de pauvreté alimente la frustration. Il existe un sentiment d’exclusion parmi les jeunes, ce qui les rend vulnérables au recrutement par des groupes extrémistes.
Le nouveau président entend également renégocier les accords de pêche et développer la production locale tant alimentaire qu’industrielle afin d’assurer la sécurité alimentaire tout en réduisant les importations coûteuses. Cependant, les subventions probables aux biens essentiels pourraient conduire à des conflits avec le FMI sur la mise en œuvre du programme.
En ce qui concerne la création d’une monnaie souveraine, il est logique de mettre en œuvre les plans existants visant à remplacer le franc CFA au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao) par la monnaie indépendante, “l’éco”, la monnaie régionale en gestation.
Cependant, l’administration est confrontée à plusieurs défis qui pourraient entraver la réalisation de ses objectifs. Ceux-ci incluent les formalités administratives, l’insuffisance des infrastructures et l’accès limité au financement pour les petites et moyennes entreprises. En outre, la persistance des inégalités socio-économiques constitue une menace importante pour la cohésion sociale et la stabilité politique.
Néanmoins, l’administration doit faire face à des menaces potentielles telles que le changement climatique, les risques de sécurité et l’instabilité régionale. La vulnérabilité du Sénégal aux risques environnementaux, notamment les sécheresses et l’élévation du niveau de la mer, constitue un risque important pour la productivité agricole et la sécurité alimentaire.
En outre, les conflits en cours dans les pays voisins pourraient avoir des retombées sur la stabilité politique et le développement économique du Sénégal.
Les perspectives
En définitive, le programme politique défini par l’administration Faye-Sonko est à la fois prometteur et porteur de défis pour les perspectives politiques et économiques à long terme du Sénégal.
Même si leur engagement en faveur d’une gouvernance démocratique et d’un développement inclusif est louable, la lutte contre les obstacles structurels et les menaces extérieures seront cruciales pour concrétiser leur vision d’un Sénégal prospère et stable.
En tirant parti des opportunités et en atténuant les menaces, l’administration peut ouvrir la voie à une croissance et à une prospérité durables pour tous les citoyens sénégalais.
Dirk Kohnert
associated research fellow (retired), German Institute of Global and Area Studies
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