Kagame, qui avait été le moteur de la branche armée du FPR Inkotanyi, a pris la présidence du parti en 1998. Depuis, il s’est révélé être un homme politique astucieux, vainquant ses ennemis politiques (réels et imaginaires). Il s’est également forgé une personnalité messianique et une réputation d’homme d’État pragmatique.
Pour toutes ces raisons, il est devenu une icône internationale, à la fois appréciée et détestée . Au Rwanda, l’opinion publique est largement favorable à son héritage.
Il est également clair que seul Kagame décidera, au moment qui lui conviendra, du moment où il quittera la scène politique. En tant que chercheur et auteur de longue date sur la transformation politique du Rwanda , je pense qu’il y a cinq raisons à cela. Parmi elles, le rôle de son parti dans son maintien au pouvoir ainsi que des traits de personnalité.
1. Le Front patriotique rwandais, une puissance économique
La domination et la longévité des partis politiques peuvent parfois se résumer à une chose simple : les finances. Le Front patriotique rwandais a démontré qu’il en avait beaucoup et qu’il en a profité pour éclipser tous les autres acteurs politiques. Il a construit une infrastructure financière autonome, renforcée par son implication profonde dans l’économie. Si l’on en croit l’immobilier, son siège social de plus de 10 millions de dollars dans la capitale témoigne de cette puissance financière.
2. Le disciplinaire
De nombreux observateurs politiques du monde entier ont fini par associer Kagame à un trait de caractère que certains considèrent comme une simple impitoyabilité ou un strict disciplinarisme . Cela est peut-être dû à son expérience militaire et en particulier dans le renseignement.
Au Rwanda, il est connu pour ne pas accorder beaucoup de temps à l’indiscipline des fonctionnaires du gouvernement, et en particulier à la corruption. Des membres du gouvernement ont été démis de leurs fonctions s’ils étaient impliqués dans des affaires de corruption , et d’autres ont été tenus responsables de leurs manquements . Il a une très haute éthique de travail et déteste le laxisme.
C’est ce qui lui vaut la sympathie de ceux qui ne sont pas d’accord avec ses idées politiques. Le Rwanda est ainsi l’un des pays les moins corrompus et l’un des plus faciles à gérer en affaires en Afrique subsaharienne. L’efficacité, la simplification des formalités administratives et la transparence sont les clés d’un environnement propice.
3. Le pragmatiste
Pour rester longtemps au pouvoir en Afrique, il faut faire preuve de pragmatisme et Kagame s’est montré habile dans ce domaine. Pour assurer la domination de son Front patriotique rwandais et de lui-même, il a dû être prêt à adopter des positions pratiques qui favorisent cet intérêt. Par exemple, alors qu’il a adopté une position publique très sévère à l’égard de ceux qui sont perçus comme étant en désaccord avec les actions ou la politique du Rwanda, il a pris soin de rétablir les ponts lorsque cela sert ses intérêts.
La récente libération du critique du gouvernement Paul Rusesabagina, après que les États-Unis l’ont désigné comme étant illégalement détenu et emprisonné, en est un bon exemple.
4. Stratège public
Pour un petit pays de seulement 13 millions d’habitants, le Rwanda a bénéficié d’ une couverture médiatique démesurée sous la direction de Kagame. Il a pris des décisions audacieuses, certains diraient risquées, qui l’ont distingué de tous les prétendants nationaux au trône et de ses pairs internationaux.
Le pays sponsorise les tenues de certains des plus grands clubs de football du monde arborant le logo « Visit Rwanda ». Il a accepté un geste humanitaire, bien que controversé, pour accueillir les réfugiés rapatriés de Libye et récemment du Royaume-Uni.
Le 73e congrès mondial de la FIFA, organisé pour la première fois en Afrique, s’est récemment achevé à Kigali tandis que le pays accueillera, pour une première africaine, le Championnat du monde de cyclisme sur route 2025.
5. La force omniprésente
Il n’y a personne au Rwanda plus omniprésent que Kagame en particulier et son parti, le Front patriotique rwandais en général. Il a personnellement dominé et défini l’espace politique du pays depuis la fin du génocide en 1994.
Le Front patriotique rwandais, l’aile politique de l’Armée patriotique rwandaise, alors rebelle, a instauré un système de partis dominants dans lequel aucun autre parti n’a de réelle chance de le supplanter. Pour ce faire, le parti a utilisé sa domination parlementaire pour faire passer des règles strictes régissant les partis politiques. Celles-ci ont conduit à la dissolution de partis comme le Mouvement démocratique républicain (MDR) et à la cooptation d’autres partis dans une coalition. Selon le Front patriotique rwandais, c’est l’esprit de la gouvernance par consensus plutôt que de la concurrence conflictuelle.
Les risques de dissension
Les commentateurs politiques estiment que les risques encourus par les personnes impliquées dans la vie politique du pays en cas de critique de Kagame ou de son gouvernement sont tout simplement trop élevés. Selon Human Rights Watch, de nombreux détracteurs ont fini en prison , en exil ou assassinés .
Cela envoie un message plutôt effrayant à quiconque ose remettre en question le statu quo.
Pour l’instant, Kagame semble apporter une certaine certitude et une certaine prévisibilité à la politique nationale, permettant au pays de se reconstruire sur des bases solides. Mais cela ne le rend pas indispensable. Alors que le Rwanda prend de la distance par rapport à son passé traumatisant et gagne en confiance dans son avenir, il pourrait avoir besoin, voire exiger, d’un changement de garde.
David E Kiwuwa
Professeur associé d’études internationales, Université de Nottingham
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