Le candidat indépendant d’extrême droite Calin Georgescu est en tête de la course à la présidence de la Roumanie. Il a pris une avance surprenante au premier tour en recueillant 22,9 % des voix, suivi par la cheffe de l’opposition de centre-droit Elena Lasconi avec 19,2 %. Les deux hommes s’affronteront lors du deuxième et dernier tour de scrutin, le 8 décembre.
Les gains inattendus de Georgescu sont en partie liés à sa stratégie sur les réseaux sociaux. Il a utilisé efficacement des plateformes comme TikTok pour influencer l’opinion des électeurs et diffuser de la propagande. Cependant, des allégations selon lesquelles sa campagne utilise de faux comptes pour fabriquer des commentaires et manipuler l’activité sur les réseaux sociaux ont également fait surface.
Georgescu a rejeté les critiques selon lesquelles il aurait utilisé TikTok illégalement pour obtenir un avantage électoral. Mais ces allégations, qui ont poussé la Cour suprême du pays à ordonner un recomptage des voix, sont préoccupantes dans une élection aussi importante.
La course à la présidence a des ramifications au-delà de la Roumanie, pays qui partage une frontière avec l’Ukraine et abrite une base militaire de l’OTAN . Après le vote, Lasconi a averti les Roumains que « Georgescu est un admirateur déclaré de Vladimir Poutine ». Elle a ajouté qu’il « est ouvertement contre l’OTAN et l’UE… Et sans l’OTAN, nous sommes à la merci de la Russie ».
Georgescu a fait plusieurs déclarations controversées pendant et avant la campagne présidentielle. En 2022, il a fait l’éloge de l’ancien dictateur et allié nazi de la Roumanie pendant la Seconde Guerre mondiale, le maréchal Ion Antonescu, le qualifiant de « martyr » qui a également fait de « bonnes actions ». Cette remarque a conduit à une enquête criminelle et au retrait de Georgescu comme candidat potentiel au poste de Premier ministre pour l’Alliance pour l’Union des Roumains (extrême droite).
Il s’est également positionné comme pro-Poutine, louant le président russe comme l’un des rares « vrais leaders » du monde. Il a critiqué le soutien de la Roumanie à l’Ukraine, affirmant que l’OTAN ne défendrait pas la Roumanie si elle était attaquée. Et il prône des politiques nationalistes, visant à réduire la dépendance de la Roumanie aux importations et à éloigner le pays de l’UE.
Popularité de TikTok
Relativement inconnu jusqu’aux élections de 2024, Georgescu a gagné en popularité sur les réseaux sociaux ces dernières années. Son compte TikTok, créé en 2022 , compte plus de 400 000 abonnés et des millions de vues. De nombreux comptes, groupes et pages de soutien ont également proliféré sur Facebook, Instagram et X (anciennement Twitter).
La campagne de Georgescu n’a pas été conventionnelle. Il n’a pas de siège social, a refusé de participer aux grands débats télévisés et n’a aucune affiliation avec un parti politique. Georgescu a inondé TikTok roumain de courtes vidéos de lui allant à l’église, courant et apparaissant sur des podcasts.
Sur TikTok, les utilisateurs ont produit des clips viraux mettant en avant les positions controversées de Georgescu, avec des sous-titres colorés et une musique dramatique. Il existe même un son TikTok dédié à sa campagne, comprenant les paroles « Nous votons pour Călin Georgescu ». Ce son a été, au moment de la rédaction de cet article, présent dans 11 800 publications.
Dans une publication TikTok de style podcast peu avant l’élection, qui a recueilli 3,1 millions de vues et plus de 85 000 mentions « j’aime », Georgescu a déclaré au peuple roumain que « nous ne votons pas seulement pour le président le 24 novembre, nous choisissons de quel côté de l’histoire nous serons ».
A la demande de l’intervieweur, il suggère que les Roumains manquent actuellement de véritable liberté et cite le philosophe allemand Johann Wolfgang von Goethe : « L’esclave parfait se croit libre. » Georgescu ajoute que, pour s’éveiller, les gens doivent d’abord comprendre qu’ils sont « en prison ».
Il a également affirmé dans des interviews que les femmes étaient incapables de diriger la Roumanie et que le féminisme était « une pure saleté ». Dans une vidéo , il a déclaré que « seul un homme peut faire cela », en faisant référence à la présidence. Ces vidéos proviennent non seulement des comptes TikTok officiels de Georgescu, mais aussi de comptes non affiliés utilisant son nom dans des profils ou des bios pour promouvoir son élection.
Ces clips s’appuient souvent sur des messages émotionnels et de fausses informations. Par exemple, ils prétendent que voter pour Georgescu assurerait l’avenir des enfants roumains ou qu’une défaite signifierait que l’élection a été volée. Ils contiennent également des histoires, comme celle d’un membre de la diaspora qui a parcouru 240 km avec deux jeunes enfants pour aller voter pour lui. Ils incluent souvent des images qui présentent Georgescu comme « l’élu ».
Faux comptes
Durant la campagne de Georgescu, les comptes affichant des comportements de type bot ont été très actifs dans les sections de commentaires sur TikTok, YouTube et Facebook. Les bots des réseaux sociaux sont des programmes automatisés qui imitent le comportement humain et tentent d’influencer l’opinion publique.
L’utilisation de robots pour gonfler la popularité d’un candidat sur les réseaux sociaux et diffuser de fausses informations est une tactique qui a déjà été utilisée pour influencer les élections ailleurs. Une analyse menée par l’Université d’Oxford après l’ élection présidentielle américaine de 2016 a révélé que plus de quatre fois plus de tweets provenaient de comptes automatisés soutenant Donald Trump que de comptes soutenant Hillary Clinton.
Des milliers de faux comptes auraient fait la promotion de Georgescu par le biais de vidéos et de commentaires avant les élections roumaines. Lasconi a également noté que sa propre section de commentaires sur TikTok était inondée de messages pro-Georgescu.
Le 26 novembre, l’organisme roumain de surveillance des médias a exhorté la Commission européenne à enquêter sur le rôle de TikTok dans la campagne de Georgescu. Et Valérie Hayer, une des principales élues européennes, a demandé au PDG de TikTok de comparaître devant le Parlement européen et de s’attaquer à l’éventuel détournement de la plateforme en faveur de la campagne de Georgescu.
Malgré les craintes de manipulations et de soutien artificiel sur les réseaux sociaux, la popularité de Georgescu auprès des Roumains est indéniable. Elle semble avoir été en grande partie motivée par une frustration généralisée à l’égard des partis traditionnels, tenus pour responsables des crises économiques et politiques du pays.
Sa performance souligne également le rôle croissant que jouent les médias sociaux dans la perception du public – et la manière dont ils peuvent influencer directement le résultat des élections modernes.
Anda Iulia Solea
Chargé de cours en cybercriminalité, Université de Portsmouth
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