Tribunes Économiques

RDC : Voici les 10 erreurs de la Gouvernance Suminwa et comment y remédier

« Un pays qui n’avance pas recule ». Tel est le triste sort de la République démocratique du Congo, où le développement reste un mirage lointain, presque irréel. Les gouvernements se succèdent, les promesses aussi, mais la RDC demeure fermement ancrée dans le peloton des pays les moins avancés du monde.

Infrastructures défaillantes, chômage massif dangereusement chez les jeunes, insécurité alimentaire persistante, corruption endémique, finances publiques captives d’institutions budgétivores, absence d’innovation en matière de gouvernance, sans oublier la présence durable de groupes armés : autant de plaies béantes qui continuent d’handicaper le Congo de Lumumba, 65 ans après son indépendance.

Face à ces défis, le président Félix Tshisekedi semble avoir misé sur le mauvais cheval. Le gouvernement dirigé par Judith Suminwa, première femme à occuper ce poste, peine à convaincre. Il ne semble ni porteur d’une vision audacieuse, ni capable d’apporter des réponses concrètes aux urgences du pays. Pis encore, la Première ministre n’a tiré aucune leçon des échecs de ses prédécesseurs alors même que le chef de l’État, en quête d’une rupture historique avec trois décennies d’humiliation et de prédation, lui offre une opportunité rare de redresser le cap.

Finances & Entreprises dresse, en dix points, les principales erreurs de gouvernance commises par l’équipe Suminwa. Des erreurs qui freinent dangereusement l’élan du pays et risquent de priver le président Tshisekedi des résultats qu’il devra présenter aux Congolais d’ici la fin de son second mandat, en 2028.

  1. Incapacité à réduire réellement le train de vie de l’État

 L’une des attentes les plus pressantes vis-à-vis du Gouvernement Suminwa était claire : donner enfin un coup d’arrêt à la gabegie budgétaire des institutions publiques. Mais le constat est sans appel : la promesse de réduction du train de vie de l’État reste un mirage.

Dans le budget rectificatif 2025, les coupes opérées n’ont permis de dégager théoriquement que 1.079 milliards de CDF, soit 377 millions USD. Un effort jugé dérisoire par de nombreux experts, qui estiment qu’une démarche plus rigoureuse aurait pu générer au moins 1 milliard USD d’économies.

Pire encore, les institutions ne réduisent rien du tout : elles dépensent davantage. Selon le Plan d’engagement budgétaire (PEB) du ministère du Budget pour le 3ᵉ trimestre 2025, les dépenses de fonctionnement des ministères ont déjà atteint, au 17 juin, 4.019 milliards CDF (soit 1,405 milliard USD), contre des prévisions annuelles initiales de 3.038 milliards CDF, un dépassement de 980 milliards CDF (environ 343 millions USD). Et malgré cela, le ministre du Budget a osé accorder à la rubrique Frais de fonctionnement des ministères 690 milliards CDF supplémentaires pour la période juillet-septembre 2025.

Tout cela se passe alors que le président de la République prône un « effort de guerre ». Mais visiblement, cet appel n’a pas été entendu par son propre gouvernement. La réduction du train de vie des institutions, censée traduire cette mobilisation nationale, n’est qu’un exercice de communication sans traduction concrète dans les chiffres. Au contraire, tout indique qu’il y aura dépassement budgétaire en ce qui concerne les frais de fonctionnement des ministères et des institutions.

Ce débat n’est pas nouveau. Déjà avant Matata Ponyo, des voix s’élevaient pour dénoncer le luxe indécent dans lequel baignaient les institutions publiques, au mépris des urgences sociales. Aujourd’hui encore, ces dépenses courantes, fonctionnement, rémunérations, avantages, absorbent l’essentiel du budget national, au détriment des investissements productifs, de l’éducation, de la santé, et surtout, de la défense nationale.

La Gouvernance Suminwa avait une occasion historique de rompre avec cette dérive chronique. Une réduction drastique des charges de fonctionnement aurait envoyé un signal fort : celui d’un État qui choisit l’efficacité et la responsabilité budgétaire dans un contexte d’insécurité aiguë. Hélas, les faits démontrent l’inverse : les ressources de la République continuent de servir des appareils bureaucratiques gloutons, alors même que l’armée, les hôpitaux, les écoles et les agriculteurs attendent.

  1. En temps de guerre, aucun signal fort ni rupture stratégique

À l’heure où la RDC fait face à une guerre d’agression manifeste, le gouvernement devrait être la locomotive de la résistance nationale. Pourtant, le Gouvernement Suminwa est resté sourd au ton grave et au cap clair fixé par le président Tshisekedi dans son discours historique du 29 janvier 2025, prononcé au lendemain de la chute de Goma.

Ce discours, qui appelait à une mobilisation générale des Congolais pour une nouvelle ère de paix et de prospérité, exigeait une réponse gouvernementale à la hauteur de l’urgence nationale : refondation de l’État, réarmement moral et matériel de l’armée, réforme profonde de la justice, et réorientation des politiques économiques vers l’effort de guerre. Il n’en fut rien.

Hormis quelques mesures symboliques, dont la très contestée « réduction du train de vie » et le doublement des salaires des militaires et policiers, rien dans l’action du gouvernement n’a changé. La Gouvernance Suminwa d’avant la perte de Goma et Bukavu est restée strictement la même après. Aucune révision stratégique, aucune montée en puissance, aucune rupture.

Or, face à l’humiliation nationale que constitue l’occupation de deux grandes villes de l’Est, ce gouvernement avait le devoir d’agir avec fermeté et clairvoyance : renforcer les capacités militaires de la RDC, concilier urgence sécuritaire et viabilité budgétaire, mettre l’économie sur un pied de guerre, et restaurer la crédibilité de l’État sur la scène internationale. Rien de cela n’a été entrepris.

Car tout le monde le sait : on ne défend pas un pays avec des slogans, mais avec une armée professionnelle, bien équipée, et soutenue par une économie résiliente. Sur ce plan, la Gouvernance Suminwa a brillé par son inertie. Aucun plan économique d’urgence, aucune mobilisation de nouvelles ressources à la hauteur des enjeux, aucun effort réel pour tirer les leçons de 30 ans de prédation par le Rwanda et de sabotage systémique des ressources nationales.

Pire encore, au lieu d’augmenter le budget national 2025 pour répondre à l’urgence militaire, sociale et économique, le Gouvernement Suminwa a choisi de le réduire (dans le budget rectificatif 2025) pendant que des niches fiscales et douanières restent sous-exploitées, que la corruption continue de saigner les recettes publiques à blanc, et que des réformes structurelles attendues depuis longtemps dorment dans les tiroirs.

Ce choix traduit un manque d’ambition stratégique, mais surtout une incompréhension profonde du moment historique que traverse le pays. En refusant de transformer la crise en opportunité de refondation, le Gouvernement Suminwa a manqué son rendez-vous avec l’histoire.

 3. Jouir d’abord, penser au développement plus tard

La Gouvernance Suminwa donne l’impression d’avoir confondu gestion de l’État avec gestion d’un bien de jouissance immédiate. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les dépenses publiques sont massivement orientées vers le fonctionnement — c’est-à-dire vers la consommation bureaucratique — plutôt que vers des investissements structurants pour l’avenir du pays.

Durant les six premiers mois de l’exercice 2025, les dépenses globales de l’État ont atteint 15 569 milliards CDFsoit 5,445 milliards USD. Mais sur ce montant, seuls 1 134,8 milliards CDF (environ 396 millions USD) ont été alloués aux dépenses en capital, dont les investissements publics. Cela ne représente que 7,2 % du total des dépenses — une part dérisoire dans un pays où tout est à construire : routes, hôpitaux, écoles, énergie, réseaux de communication.

Pourtant, dans le budget 2025, le gouvernement s’était engagé à investir jusqu’à 7,1 milliards USD. Or, en six mois, il n’a même pas atteint le seuil de 500 millions consacrés aux projets d’investissement. À ce rythme, l’objectif annuel est voué à l’échec, à moins d’un sursaut inédit et peu probable.

Ce déséquilibre traduit une philosophie dangereuse : la priorité n’est pas donnée au développement, mais à l’entretien du train de vie de l’État, aux salaires, aux avantages, aux frais de mission, aux privilèges d’une classe dirigeante déconnectée des réalités du pays.

Plutôt que d’investir dans l’avenir de la nation, la Gouvernance Suminwa continue de pomper les maigres ressources de l’État pour satisfaire les besoins immédiats de l’appareil administratif. Une logique de court terme, hédoniste, qui condamne le pays à l’immobilisme.

4. Une gouvernance sans ambition, portée par des projets à faible impact

L’un des signes les plus alarmants de la Gouvernance Suminwa est son manque flagrant d’ambition stratégique. Face aux défis gigantesques de la RDC, les projets lancés jusque-là sont, au mieux, symboliques ; au pire, anecdotiques. À croire que le gouvernement navigue à vue, sans vision de transformation structurelle du pays.

Exemple emblématique : la création d’une Compagnie nationale d’aviation (Air Congo) avec deux avions en leasing. Oui, dans un pays de près de 100 millions d’habitants, qui dispose de moins de cinq compagnies aériennes fonctionnelles, l’État congolais n’a pas été en mesure d’acquérir ne serait-ce que cinq avions sur fonds propres. Une image affligeante de dépendance, qui tranche avec les besoins logistiques urgents du pays en matière de connectivité aérienne.

Et pourtant, sur le même exercice budgétaire 2024, 288 millions USD ont été engloutis dans les frais secrets de recherche, dont 217 millions en dépassement budgétaire. La contradiction est choquante : l’argent existe, mais il est affecté à des postes opaques, plutôt qu’aux projets structurants.

Autre illustration, le Programme de Développement Local des 145 territoires (PDL 145T), censé être l’un des piliers de la vision présidentielle de développement à la base. Depuis l’arrivée de la cheffe du gouvernement, ce programme bat de l’aile. Pire : depuis octobre 2024, seuls 59 millions USD ont été affectés au PDL 145T, une goutte d’eau dans l’océan des besoins. Voilà qui a poussé le président de la République à lancer un ultimatum pour rappeler l’urgence d’achever la première phase du programme avant le 31 décembre 2025.

Et que retient-on de consistant en RDC  dans l’année 2024 côté réalisations ? L’inauguration du Centre culturel et des arts de l’Afrique centrale, un bâtiment certes prestigieux, mais financé intégralement par la Chine. Pendant ce temps, alors que le gouvernement Sama II expédiait les affaires courantes au premier semestre 2024,  l’équipe Suminwa n’a initié aucun grand chantier dans sa première année d’actions.

En somme, à défaut d’initiatives audacieuses, la Gouvernance Suminwa s’enferme dans la médiocrité du symbolique. Là où le pays attend des projets d’envergure capables de redonner confiance, stimuler l’économie et créer des emplois, elle propose des gadgets institutionnels et des effets d’annonce.

  1. Aucune innovation : un gouvernement enfermé dans les sentiers battus

Le budget national de la RDC est très largement en deçà des besoins réels d’un pays-continent confronté à des défis structurels massifs. Et pourtant, la Gouvernance Suminwa se montre incapable de penser hors des cadres établis.

Selon les estimations officielles et des partenaires techniques, la mise en œuvre du Plan d’industrialisation exigerait 58 milliards de dollars. Atteindre un taux d’électrification de 100 % nécessiterait 66 milliards de dollars. Moderniser les 58 000 km de routes d’intérêt national demanderait 60 milliards de dollars, et relancer les entreprises publiques exigerait au moins 8 milliards de dollars. Juste ces quatre projets structurants nécessitent donc un financement de près de 190 milliards de dollars. La question cruciale est évidente : où trouver de telles ressources ?

Tout gouvernement sérieux devrait faire de la mobilisation de ces financements, à la fois internes et externes, sa priorité absolue. Cela suppose d’innover, de réformer, de convaincre, de sortir des logiques bureaucratiques et de s’inscrire dans une dynamique proactive. Il faudrait revoir la fiscalité, rationaliser les régimes douaniers, attirer des capitaux privés, structurer de véritables partenariats public-privé, et surtout canaliser l’immense potentiel minier de la RDC vers des objectifs nationaux. Mais rien de cela n’émerge de la Gouvernance Suminwa. Ni ambition, ni imagination, ni audace.

Dans l’affectation des ressources, même immobilisme : l’argent de l’État continue d’alimenter les rouages traditionnels d’un État de consommation, au lieu d’être orienté vers les secteurs qui génèrent de la croissance et de l’emploi, la santé, l’éducation, l’énergie, les infrastructures, l’agro-industrie.

La RDC a besoin d’un gouvernement capable de changer de paradigme, de rompre avec la gestion comptable et d’embrasser une vision de transformation. Ce n’est clairement pas le cas aujourd’hui.

À force de piétiner pendant que ses voisins innovent, la RDC continue de s’enliser. Et la Gouvernance Suminwa, faute d’innovation, de courage politique et de stratégie économique, condamne le pays à tourner en rond, au lieu d’enclencher enfin la marche du progrès.

  1. Aucune politique sérieuse pour l’emploi des jeunes : une bombe sociale ignorée

La RDC est un pays jeune, extrêmement jeune. Des millions de Congolais, notamment à Kinshasa, errent sans emploi, sans formation, sans alternative crédible. Cette masse de la jeunesse livrée à elle-même est une bombe à retardement, surtout dans un contexte de crise sécuritaire, économique et institutionnelle. Ce qui devrait être la plus grande richesse du pays, sa jeunesse, devient peu à peu son talon d’Achille, faute d’une vision claire et audacieuse de l’exécutif.

Le Service national (SN), dans sa forme actuelle, ne fait que sauver les apparences. Il ne compte qu’à peine 5 000 jeunes bâtisseurs, engagés dans des activités utiles comme l’agriculture, la menuiserie ou la maçonnerie. Leur travail est louable, mais largement insuffisant pour un pays de plus de 100 millions d’habitants. À ce rythme, on ne fait que saupoudrer un problème qui exige une réponse de masse. Ce qu’il faudrait, c’est un Service national repensé, redimensionné, doté de ressources et de moyens pour absorber au moins un million de jeunes, les former, les équiper et les déployer dans les secteurs porteurs clés.

Enrôler massivement la jeunesse dans un Service national productif axé sur l’agriculture, les BTP, la reforestation, la production artisanale, les services publics de proximité permettrait non seulement de réduire le chômage, mais aussi de répondre aux urgences du pays : par exemple, lutter contre l’insécurité alimentaire qui touche près de 28 millions de Congolais ou encore amorcer l’autosuffisance alimentaire à l’échelle nationale.

Mais pour cela, encore faut-il une volonté politique ferme, une coordination gouvernementale intelligente, et surtout une rupture avec l’indifférence actuelle. Le Gouvernement Suminwa n’a pas saisi l’enjeu stratégique de cette génération désœuvrée. En n’ayant ni politique ambitieuse d’emploi, ni plan de formation de masse, ni mécanisme inclusif pour mobiliser les jeunes, il abandonne une ressource essentielle à l’errance et à la frustration, avec les conséquences que l’on imagine aisément.

  1. Incapable d’augmenter le SMIG, même d’un seul dollar

Dans un pays où le coût de la vie ne cesse de grimper, où l’inflation ronge les salaires et où la pauvreté reste massive, la question du Salaire Minimum Interprofessionnel Garanti (SMIG) est un enjeu vital. Pourtant, sous la Gouvernance Suminwa, aucune avancée n’a été enregistrée. Pas un seul dollar n’a été ajouté au niveau du SMIG, qui reste bloqué à 5 dollars par jour depuis 2017.

Il faut rappeler que c’est sous le gouvernement Bruno Tshibala que le SMIG avait été revu à la hausse, passant de 1,03 à 5 dollars par jour. Un bond qui, malgré ses limites, traduisait au moins une volonté politique de répondre à la détresse salariale. Mais depuis, silence radio. Et l’équipe actuelle, malgré les discours sur l’amélioration des conditions de vie, n’a pas été capable de franchir le moindre palier à ce jour.

Le contraste est cruel : le président de la République a fait de l’amélioration du quotidien des Congolais la priorité de son second mandat, mais son gouvernement, censé traduire cette ambition en actes, échoue à poser même un geste symbolique, comme rehausser d’un dollar le salaire minimum légal. Cela en dit long sur les limites, sinon l’impuissance, de la Gouvernance Suminwa.

Comment prétendre lutter contre la pauvreté, relancer le pouvoir d’achat et construire une économie résiliente si le socle même de la dignité salariale reste figé dans le passé ? Ce blocage témoigne non seulement d’un manque de vision, mais aussi d’un désintérêt flagrant pour les travailleurs congolais les plus précaires, qui continuent de survivre avec des salaires indignes.

  1. Aucun geste de compassion : ni envers les déplacés, ni envers les blessés de guerre

Depuis l’occupation de Goma en janvier puis de Bukavu en février 2025, un fait choque et indigne : la Première ministre n’a effectué aucune visite dans les camps de déplacés internes, ni auprès des réfugiés congolais, ni même dans les hôpitaux où sont soignés les militaires blessés au front. Dans un pays meurtri, confronté à une guerre d’agression, cette absence de proximité humaine, de compassion publique et de leadership symbolique en dit long sur la distance qui sépare le sommet de l’État des souffrances réelles de la population.

Il est difficilement concevable qu’après l’appel solennel à la mobilisation lancé par le président de la République dans son discours du 29 janvier 2025, la cheffe du Gouvernement n’ait manifesté aucun geste de solidarité visible envers les victimes directes de la guerre. Aucune présence dans les provinces touchées, aucun déplacement dans les zones d’accueil des déplacés internes, aucun mot adressé aux soldats blessés, parfois mutilés, qui ont tout sacrifié pour défendre l’intégrité du territoire national.

Pourtant, les témoignages sont accablants. Des milliers de Congolais, chassés de leurs foyers par les combats, se sont réfugiés au Burundi, tandis que des zones entières du Nord et du Sud-Kivu hébergent aujourd’hui des familles déplacées dans une détresse extrême. À Kinshasa même, des soldats blessés de guerre attendent une reconnaissance, un regard, une visite, ne serait-ce que symbolique. Mais la Première ministre est restée muette, absente, insensible.

En avril 2025, une délégation de députés nationaux issus des provinces sous occupation a déposé entre les mains de la Première ministre un mémorandum alarmant sur la situation des réfugiés congolais au Burundi. Le rapport évoquait des cas de malnutrition aiguë, d’épidémies de paludisme, de rougeole, de choléra, et des femmes accouchant sans aucune assistance médicale. « Nous avons beaucoup insisté sur l’accompagnement de nos frères et sœurs qui ont fui la guerre », déclarait alors Dr Léon Kabamba Ngombe, chef de la délégation. Rien n’y fit : aucune réaction concrète, aucun déplacement de la cheffe du Gouvernement.

Ce silence, cette inaction, sont lourds de sens. Ils illustrent non seulement une déconnexion grave entre le pouvoir et le peuple, mais aussi une faillite morale dans l’exercice du leadership. En refusant d’incarner la solidarité nationale dans l’épreuve, la Gouvernance Suminwa trahit les attentes d’un pays qui attend bien plus qu’une simple gestion administrative : il attend de l’humanité, de la proximité, du courage.

  1. Une réponse timide face à la menace persistante des Kuluna à Kinshasa

 À Kinshasa, les Kuluna, ces groupes de jeunes armés de machettes semant la terreur dans les quartiers populaires, continuent d’imposer leur loi. Et pour cause : le gouvernement Suminwa ne s’est pas donné les moyens de traiter cette menace à la hauteur de sa gravité. La réponse sécuritaire reste superficielle, limitée à des opérations de façade, sans stratégie de fond ni investissement conséquent.

 La réalité est simple : tant que la lutte contre les Kuluna ne bénéficiera pas d’un engagement politique fort et de ressources substantielles, l’insécurité urbaine continuera d’empoisonner la vie quotidienne des Congolais. Il ne suffit pas de déployer quelques patrouilles. Il faut former, équiper et déployer durablement des unités spécialisées, capables de sécuriser les zones les plus touchées. Et surtout, il faut aller au-delà du tout-répressif.

Car le véritable robinet qui alimente les rangs des Kuluna, c’est le chômage de masse et l’absence d’alternatives viables pour des milliers de jeunes désœuvrés. Livrés à eux-mêmes, sans emploi, sans formation, sans avenir, ces jeunes deviennent les proies faciles du désespoir et de la violence. Ils ne choisissent pas la machette par goût du sang, mais par défaut de perspectives. Et face à cela, la Gouvernance Suminwa n’a proposé aucun plan structurant, aucun programme crédible de réinsertion, aucun projet de formation ou d’emplois adaptés.

C’est donc un double échec : échec sécuritaire parce que la menace persiste, et échec social parce que l’origine du problème reste intacte. En étant chiche sur les moyens à mobiliser, en minimisant le phénomène, le gouvernement ne fait que laisser pourrir une situation explosive, avec un risque croissant de chaos urbain, de radicalisation, voire de récupération politique.

La sécurité des citoyens, notamment dans la capitale, ne peut être reléguée au second plan. Elle est un préalable à toute promesse de développement ou de cohésion sociale. Et en fermant les yeux sur les Kuluna, la Gouvernance Suminwa tourne le dos à cette exigence élémentaire.

  1. Quand la Première ministre choisit le jet privé face à l’appel à la sobriété

Le 31 janvier 2025, au lendemain de l’occupation de Goma par les forces rwandaises et leurs supplétifs du M23, le président de la République réunissait le Conseil des ministres pour rappeler à tous l’ampleur du moment historique. Il lançait un appel solennel à la sobriété, insistant sur le devoir de chaque institution et de chaque responsable d’adopter un comportement exemplaire pour accompagner l’effort de guerre. L’heure était à la mobilisation, à la retenue, à la discipline. C’était, disait-il, le temps de la nation, pas celui des privilèges.

Mais cet appel n’a manifestement pas trouvé écho au sein même du gouvernement. La Première ministre Judith Suminwa a continué à utiliser des jets privés pour ses déplacements internes, en totale contradiction avec le message présidentiel. Le cas le plus flagrant fut son voyage Kinshasa–Matadi début avril 2025 : une distance tout à fait accessible par la route ou via des vols réguliers, mais qu’elle a préféré parcourir en avion privé, aux frais du contribuable.

Ce choix, au-delà de son coût excessif, envoie un signal désastreux. Il alimente l’image d’un pouvoir déconnecté, insensible à l’effort collectif exigé des citoyens, surtout dans un pays où les militaires manquent de moyens, où les déplacés vivent dans la misère, et où les finances publiques sont sous tension. Comment demander des sacrifices à la nation quand le sommet de l’exécutif refuse d’en faire le moindre ?

Dans un contexte où les institutions de la République sont régulièrement critiquées pour leur train de vie dispendieux, ce type de comportement ne fait qu’alimenter le ressentiment populaire. Et surtout, il décrédibilise le discours du chef de l’État, qui voit ses appels à la sobriété piétinés par ceux-là mêmes qui devraient en être les garants.

Ce manque d’exemplarité traduit un problème plus profond dans la Gouvernance Suminwa : l’incapacité à incarner l’esprit de responsabilité et de sacrifice qu’exige la situation actuelle du pays. Tant que les gestes symboliques, pourtant essentiels en période de crise, ne sont pas posés, le fossé entre le peuple et ses dirigeants continuera de s’élargir.

 Comment y remédier ?

Redresser la barre est encore possible, mais cela exige un changement de posture radical au sommet de l’Exécutif. La Première ministre Judith Suminwa doit cesser de gouverner comme si elle disposait d’un mandat technique déconnecté des souffrances quotidiennes du peuple. Son action devrait être recentrée autour de trois priorités cardinales : restaurer l’autorité de l’État à travers une armée forte et dissuasiveremettre la jeunesse congolaise au travail à travers des programmes de formation et d’enrôlement massifs, et relancer l’investissement public productif dans les secteurs essentiels comme l’agriculture, l’éducation, la santé et les infrastructures.

Ce recentrage exige une discipline budgétaire ferme, non pas dans le sens de coupes symboliques, mais dans l’orientation stratégique des dépenses vers ce qui peut vraiment transformer le quotidien des Congolais.

Sous n’importe quel ciel, la raison d’être d’un gouvernement est de protéger et de servir. Cela passe par l’écoute des cris silencieux d’un peuple désabusé, par des gestes de solidarité visibles et sincères, et par une volonté politique affirmée de bâtir un État qui fonctionne pour les siens, non pour une élite administrative.

La RDC n’a pas besoin de promesses : elle a besoin d’actes forts, portés par une vision de long terme, ancrée dans la dignité, la justice sociale et l’efficacité économique. Pour y parvenir, le gouvernement doit sortir des sentiers battus, oser des réformes structurelles audacieuses, et surtout, assumer une gouvernance de rupture : moins de privilèges, plus de résultats. Voilà la seule voie possible pour ne pas trahir l’espoir d’un peuple qui, malgré tout, continue de croire à un avenir meilleur.

Amédée Mwarabu

roi makoko

Recent Posts

Chine : Contrôle de l’approvisionnement en eau du Tibet

Alors que le 14e Dalaï-Lama célèbre son 90e anniversaire avec des milliers de bouddhistes tibétains,…

12 heures ago

Le retour de Chimamanda à Lagos n’était pas seulement un lancement de livre, c’était un moment culturel

L'annonce de la sortie du dernier roman de Chimamanda Adichie Ngozi , Dream Count ,…

12 heures ago

Israël : Netanyahou envisage des élections anticipées

Shas, l'un des partis juifs ultra-orthodoxes d'Israël, a annoncé son départ du gouvernement du Premier…

12 heures ago

L’IA fait baisser le prix du savoir

Pendant longtemps, les universités ont fonctionné selon un principe simple : le savoir était rare.…

1 jour ago

Nigéria : Muhammadu Buhari laisse un héritage mitigé

L'ancien président du Nigeria, Muhammadu Buhari, décédé à Londres le 13 juillet à l'âge de…

2 jours ago

Pourquoi Israël bombarde-t-il la Syrie ?

Le conflit en Syrie s’est intensifié avec les raids aériens d’Israël contre son voisin du…

2 jours ago