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Au cours d’un message adressé au peuple congolais, ce mardi 30 août, Mr. Martin Fayulu se dit « profondément indigné d’apprendre que la rémunération des députés nationaux s’élève depuis janvier 2022 à 21 000 dollars par mois, en violation flagrante de la loi budgétaire.» Selon lui, les députés de la RDC sont mieux rémunérés que ceux des pays riches comme la France et les USA, alors que où 70% de la population vit avec moins de 2 dollars par jour. Un député congolais serait donc rémunéré 15 fois plus qu’un professeur d’université, 30 fois plus qu’un médecin et 200 fois plus qu’un huissier de la Fonction publique.
Vrai ou faux, la question mérite réflexion.
Quant a-t-on réellement d’un politicien pour penser le rémunérer ?
Un politicien est quelqu’un qui normalement contribue à la façon dont le pays est géré. Les politiciens peuvent être élus par le vote, ce qui se produit dans les pays démocratiques ou ils peuvent être nommés par un autre dirigeant. Ils peuvent influencer l’opinion publique et la mise en œuvre des lois et des politiques. Habituellement, un politicien est issu d’un parti politique, qui est un groupe qui normalement partage des croyances et des objectifs communs.
Au nom de la communauté qu’ils représentent, les politiciens peuvent opérer au niveau local ou national, influençant de nombreux processus bureaucratiques et décisions gouvernementales. Dans les pays démocratiques, les gens peuvent avoir leur mot à dire sur la façon dont leur nation est gérée en votant pour leur député préféré. Les gens peuvent exprimer librement leurs opinions au gouvernement et influencer la politique par des manifestations publiques, en signant des pétitions, en faisant du lobbying, en écrivant des lettres ou en assistant à des réunions.
Bien sûr il est possible d’avoir un grand écart entre cette présentation plutôt théorique et la réalité sur le terrain.
La rémunération du député a-t-elle un impact sur sa performance ?
Selon une étude du professeur Emir Kamenica, avec des collègues de l’Université Columbia, de l’Université de Princeton et de DONG Energy, il est peu probable que l’augmentation des salaires des politiciens se traduise par une meilleure gouvernance. En fait, il peut accomplir le contraire. Peut-être qu’en théorie, et dans un marché rationnel, il serait logique de payer davantage les politiciens. Cela générerait une concurrence accrue entre les candidats, attirerait de meilleurs candidats et garantirait de meilleurs politiciens.
Mais les politiciens – et non les forces du marché – sont responsables de la fixation de leurs propres niveaux de salaire, l’une des raisons pour lesquelles le marché du travail politique vire à l’irrationalité. Ces chercheurs ont considéré les effets d’une augmentation de salaire sur certains membres du Parlement européen (MPE).
En 2009, le Parlement européen a mis en place un système de paiement forfaitaire des salaires, et tous les députés européens ont commencé à gagner des salaires annuels identiques de 90000 €, ce qui équivaut à 38,5% du salaire d’un juge à la Cour de justice de l’Union européenne. Cette nouvelle méthode de paiement a corrigé un déséquilibre frappant : sous l’ancien système, qui a débuté en 1979, lorsque le Parlement européen a tenu ses premières élections générales, le pays d’origine de chaque député lui versait le même salaire que celui versé aux membres de la chambre basse du parlement du pays d’origine. Par exemple, les représentants italiens recevaient 144 084 € par an, tandis que les représentants hongrois ne gagnaient que 10080 €.
Les chercheurs analysent le changement de composition et de comportement des députés européens qui ont reçu un salaire plus élevé en raison du nouveau système de paiement du parlement. Ils constatent qu’une augmentation de salaire a conduit à des politiciens moins instruits. Doubler le salaire d’un député européen a réduit de 15% les chances qu’un député ait fréquenté une université classée dans le top 500 mondial.
Les chercheurs assimilent les diplômés universitaires de rang inférieur à des législateurs de qualité inférieure.
Situation particulière de la RDC
Sur la liste des 32 pays repris au Tableau 1, la RDC est quatrième en termes de rémunérations annuelles accordées à un membre du parlement juste derrière le Singapour, Nigeria et le Japan. Elle dépasse la majorité des pays dits développés tels que les USA, la France, la Belgique et l’Allemagne. Ceci est évidemment surprenant lorsqu’on compare avec le PIB par habitant (colonne B) qui, dans ce contexte peut être considéré comme le résultat du système politique et institutionnel d’un pays. En effet, avec ces 523,7 USD de PIB par habitant, le pays vient en dernière position. Et comme le montre l’indice de rendement (le rapport entre le PIB par habitant et la rémunération d’un membre de parlement), la RDC est également en dernière position.
Si ceci est confirmé, c’est terriblement grave. Car, en d’autres termes, chaque dollar que le congolais moyen investi sur son député, il en retire 0.002$ chaque année ! C’est comme si les congolais, collectivement, ont décidé de « se cotiser » pour soutenir un certain standing de vie d’une minorité qui en retour ne produit absolument rien. Si un tel trend continue, c’est clair qu’un de deux groupes doit « socialement » disparaitre au profit de l’autre car un tel système est tout simplement intenable !
Ceci veut tout simplement dire que structurellement, le pays a un système complément inefficient de rémunérations dans la mesure ou ceux qui reçoivent les paiements les plus élevés ne sont pas nécessairement les meilleurs des congolais. Le pays, on le sait, a mis en place des conditions (quoique pas nécessairement suivies) assez strictes pour être médecins, enseignements, fonctionnaires, dans l’armée, services de sécurité, etc. pour s’assurer que le pays que seuls les mieux qualifiés des congolais occupent ces positions.
De ce point de vue, il est tout à fait acceptable que la société « se cotise » pour leur assurer une rémunération décente leur permettant d’assurer les meilleurs services possibles à la communauté. Malheureusement, ces exigences ne sont pas opposées aux députés. Certes, être un politicien ne nécessite pas un diplôme ou une formation spécifique. Cependant, c’est un travail difficile. Ils devraient être excellents en communication, en gestion, en leadership et en gouvernance. Les politiciens doivent être capables de penser de manière critique pour trouver une solution en cas de problème. Ils doivent également faire preuve de bonnes capacités d’analyse, de créativité et de communication. Ils doivent être ouvert d’esprit et être capable de faire face aux critiques parce que les gens peuvent avoir leur mot à dire sur la façon dont ils gèrent la chose publique.
En RDC, en plus du fait que le processus de leur sélection est d’une qualité plutôt douteuse, plusieurs de ces « honorables » ne sauraient pas tous être considérés comme des représentants « non-biaisés » des communautés qu’ils déclarent représenter. C’est donc sans surprise que la dernière enquête (2020) du Ministère du Plan sur l’observatoire des Objectifs du Développement Durable (ODDs) a révélé une perception plutôt négative des congolais par rapport au personnel politique (Figure 1).
A la question « Pensez-vous que les hommes politiques prennes en compte les préoccupations/attentes de la population ?», près de 88% de la population a répondu « non » ! Comme le montre la Figure 1, cette perception négative varie entre 71,2% (Kwango) et 93,8% (Nord Kivu). Il est donc évident que si l’avis de la population était requis sur la question de la rémunération des politiciens en RDC, il serait largement non favorable. Ceci peut donc confirmer qu’en RDC, les politiciens se servent eux-mêmes sans demander l’avis de ceux dont ils détiennent le mandat. Ceci n’est possible que parce que le politicien congolais, par la manière dont les élections sont organisées, n’a jamais eu à craindre la sanction politique d’un comportement qui frise le holdup social !
Peut-être qu’il faut considérer le principe « Iacocca ».
Lido Anthony Iacocca (connu sous le nom de Lee Iacocca) était un dirigeant central de l’industrie automobile américaine. Il avait introduit les tristement célèbres Mustang et Pinto de Ford Motor Company avant de faire revivre Chrysler de l’abime dans les années 1980. Iacocca est devenu le PDG et le vendeur de voitures le plus célèbre d’Amérique lorsqu’il a sauvé l’entreprise de Chrysler. Mais la clé pour sauver Chrysler était de négocier un plan de sauvetage. Il a travaillé avec le Congrès et l’administration Carter pour approuver des garanties de prêts fédéraux allant jusqu’à 1,5 milliard de dollars. Bien que controversé, Iacocca a réduit les salaires des cadres (y compris son propre salaire, qu’il a fixé à 1 $ / an pour préparer le terrain).
Au moment où il a pris sa retraite en 1992, Iacocca était une célébrité nationale autant que n’importe quelle marque de voiture lancée sous sa direction. À la retraite, il a continué à siéger au conseil d’administration de plusieurs sociétés et est resté impliqué dans de multiples causes. Il a été considéré comme un candidat potentiel à la présidence à un moment donné et a écrit plusieurs livres. En termes simples, le principe « Iacocca » aimerait que la rémunération de tout dirigeant soit proportionnelle à ce qu’il fait gagner à l’entité qu’il dirige.
Dans le cas de la RDC, un pays semble-t-il en faillite, aucun dirigeant politique de devrait avoir une rémunération sans contrepartie avec les résultats des services qu’il rend à la nation. En d’autres termes, son revenu devrait varier en fonction du revenu du congolais moyen ! En clair, au-delà des ressources nécessaires publiques à l’exercice de leurs fonctions, la rémunération des dirigeants politiques devrait être alignée à celle de tous les autres services de l’état !
Réflexions finales
Le débat sur la pertinence des rémunérations accordées au personnel politique congolais rappelle péniblement le fait que la RDC soit souvent citée comme l’exemple typique d’un pays doté d’immenses ressources naturelles mais incapable d’assurer à sa population un niveau acceptable de bien-être social.
Plusieurs raisons ont été avancées pour expliquer ce paradoxe, mais je pense qu’en tant que peuple, nous nous sommes collectivement éloignés des valeurs qui ont permis à d’autres nations de forger le parcours de leur développement souvent dans des conditions beaucoup moins favorables que les nôtres. En effet, lorsqu’on analyse le parcours de développement des pays occidentaux ou des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), il y a une constance autour de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie.
Ces valeurs constituent le socle qui garantit la formation des institutions capables d’utiliser de manière efficiente les ressources disponibles en vue de produire un niveau acceptable de bien-être pour la majorité de citoyens. En RDC, il semble que collectivement nous ayons choisi de nous détourner de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Certes, il y a eu ici et là quelques individus qui se sont illustrés, des fois au péril de leurs vies, dans la défense de ces valeurs. A cause de ce gap de valeurs, nous avons produit des institutions et un personnel politique qui sont incapables de transformer de manière continue les immenses ressources naturelles en opportunité de développement pour le plus grand nombre.
Nous nous sommes retranchés dans les valeurs d’appartenance aux « clubs » qui n’exigent aucun effort d’excellence : ressortissants de …, anciens de…, amis de…, etc. En conséquence, nous avons créé un système ou l’ensemble de la communauté est forcée de payer pour la jouissance personnelle d’un petit groupe d’individus. Ce n’est pas soutenable et ça ne mènera nulle part sinon a une détérioration continue des conditions de vie de la majorité.
Dr. John M. Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
Ses domaines de recherche incluent la dynamique de la pauvreté, la croissance économique et le développement rural.
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C'est vraiment une analyse de "Maître"!!!
A la fois profonde et réaliste.
Respect et chapeau bas à l'auteur.