La République Démocratique du Congo (RDC) se trouve à une étape critique de son histoire, où les ambitions politiques, notamment l’initiative du président Félix Tshisekedi pour modifier la Constitution, s’expriment dans un contexte des défis socio-économiques urgents. Près de 70 % de la population vit dans une pauvreté extrême, avec un accès limité à des services essentiels tels que la santé, l’éducation et l’eau potable. Les infrastructures en déclin et une gouvernance inefficace aggravent cette situation.
L’Enquête Démographique et de Santé (EDS-RDC III 2023–24) qui vient d’être publiée révèle des taux alarmants de mortalité maternelle et infantile, une malnutrition généralisée et un faible accès aux soins de santé, en particulier dans les zones rurales. L’éducation est marquée par de profondes disparités, notamment pour les femmes et les filles, tandis que les inégalités entre les zones urbaines et rurales persistent dans l’accès aux services de base. Avec une fécondité élevée (5,5 enfants par femme) et un faible taux de prévalence contraceptive, la pression démographique amplifie les défis.
Dans ce contexte, les réformes constitutionnelles, bien qu’importantes à long terme, semblent déconnectées des besoins immédiats de la population. Une approche d’un leader-serviteur est nécessaire, mettant l’accent sur la satisfaction des besoins fondamentaux avant les débats politiques. Cela inclut le renforcement des systèmes de santé, l’amélioration de l’accès à l’éducation, la modernisation des infrastructures et la lutte contre la corruption. Ce cadre pourrait non seulement améliorer la qualité de vie des Congolais, mais aussi établir une base solide pour des réformes institutionnelles légitimes.
En priorisant le développement socio-économique, le gouvernement pourrait restaurer la confiance de la population et poser les bases d’un avenir stable et équitable. Ce choix renforcerait également la légitimité des réformes politiques dans un climat de progrès et d’inclusion.
Résultats de l’EDS : Une radiographie des défis
L’EDS-RDC III offre un aperçu complet de la situation actuelle en RDC, révélant l’ampleur des défis socio-économiques auxquels le pays est confronté. Sur le plan de la santé publique, les taux de mortalité maternelle et infantile restent parmi les plus élevés de la région. Ces indicateurs sont exacerbés par un accès limité aux soins prénatals, à l’accouchement assisté par des professionnels qualifiés et aux services postnatals. Dans les zones rurales, la majorité des femmes accouchent à domicile, souvent dans des conditions dangereuses, ce qui augmente les risques pour les mères et les nouveau-nés. La malnutrition représente également un problème majeur, affectant près de la moitié des enfants de moins de cinq ans. Le retard de croissance et l’insuffisance pondérale témoignent de l’insécurité alimentaire chronique et de l’accès limité aux programmes nutritionnels.
Le paludisme, une maladie évitable, demeure une des principales causes de morbidité et de mortalité, en particulier chez les enfants. Bien que des moustiquaires imprégnées d’insecticide soient distribuées dans de nombreuses locations, leur utilisation reste insuffisante, notamment en raison d’un manque de sensibilisation et d’infrastructures de santé inadéquates pour gérer les cas diagnostiqués. Par ailleurs, l’éducation reflète des disparités importantes entre les sexes et les régions. Alors que 69 % des hommes terminent le niveau secondaire, seulement 55 % des femmes atteignent ce niveau, et moins de 7 % des femmes accèdent à l’enseignement supérieur. Ce fossé éducatif perpétue les inégalités de genre et limite l’autonomisation économique des femmes, en particulier en milieu rural, où les écoles manquent souvent de ressources et le taux d’abandon scolaire est élevé.
Les disparités entre zones urbaines et rurales sont particulièrement frappantes. Alors que les ménages urbains ont relativement plus accès à l’électricité et à l’eau potable, la majorité des ménages ruraux vivent sans ces services essentiels. Ces disparités illustrent un manque historique d’investissements publics dans les zones rurales, exacerbant les inégalités régionales. En outre, l’indice synthétique de fécondité de 5,5 enfants par femme met en évidence des défis démographiques majeurs. Avec des taux de prévalence contraceptive faibles et des besoins non satisfaits élevés en planification familiale, les pressions sur les ressources limitées du pays s’intensifient. Ces données révèlent une nécessité urgente de mettre en œuvre des politiques ciblées pour améliorer l’accès aux soins de santé reproductive.
Le concept du Leader-serviteur
Le concept de leadership serviteur, développé par Robert K. Greenleaf dans les années 1970, propose une vision radicalement différente du rôle du leader dans une organisation ou une société. Contrairement au modèle traditionnel de leadership, où le pouvoir et l’autorité sont concentrés entre les mains d’une figure dirigeante, le leader-serviteur met au premier plan les besoins de ceux qu’il sert. Cette philosophie repose sur l’idée fondamentale que le véritable leadership naît du désir sincère de servir les autres avant de poursuivre ses propres intérêts ou ambitions. Dans le contexte de la République Démocratique du Congo (RDC), où les attentes de la population sont dominées par des besoins pressants en matière de développement socio-économique, ce modèle offre une alternative crédible et transformatrice.
Un leader-serviteur est avant tout un auditeur attentif. Il cherche à comprendre les besoins, les attentes et les aspirations des personnes qu’il dirige. Cette capacité à écouter activement est au cœur de son efficacité, car elle lui permet d’adopter des politiques et des actions qui répondent véritablement aux préoccupations de sa communauté. Dans une société comme la RDC, marquée par une méfiance généralisée envers les institutions publiques et les élites dirigeantes, un leadership axé sur l’écoute et la consultation pourrait restaurer une partie de la confiance perdue. Un leader-serviteur ne s’impose pas comme une figure autoritaire ; il agit comme un guide empathique, en prenant en compte les réalités de ceux qu’il dirige.
Un autre pilier essentiel du leadership serviteur est la mise en avant des besoins des autres. Dans ce cadre, le rôle principal du leader n’est pas de renforcer sa propre position ou d’accroître son pouvoir, mais de s’assurer que les membres de la communauté qu’il dirige disposent des ressources nécessaires pour s’épanouir. Cela implique d’établir des priorités qui répondent aux besoins fondamentaux, comme l’accès à l’éducation, à la santé, à l’eau potable et à l’énergie. En RDC, où la pauvreté touche plus de 70 % de la population et où les services sociaux de base sont largement inaccessibles, cette approche pourrait transformer la gouvernance en un moteur de progrès tangible.
L’un des traits distinctifs du leader-serviteur est également sa capacité à autonomiser les autres. Plutôt que de centraliser les pouvoirs, ce type de leadership favorise le partage des responsabilités et l’encouragement des initiatives individuelles ou communautaires. Dans le contexte congolais, cela pourrait se traduire par une décentralisation accrue des décisions politiques et une délégation plus significative de ressources aux autorités locales. En donnant aux communautés locales les moyens de résoudre leurs propres problèmes, un leadership serviteur réduit la dépendance vis-à-vis de l’État central tout en renforçant les capacités locales.
Le leadership serviteur se distingue aussi par son ancrage dans l’humilité et l’empathie. Contrairement aux dirigeants traditionnels qui privilégient souvent leur image ou leur autorité, le leader-serviteur reconnaît qu’il n’est pas exempt d’erreurs et qu’il doit constamment s’améliorer pour répondre aux attentes de ceux qu’il sert. Cette humilité lui permet de rester proche des réalités quotidiennes de sa communauté. En RDC, où les populations rurales et marginalisées sont souvent oubliées par les politiques publiques, un tel engagement pourrait contribuer à une gouvernance plus équitable et inclusive. En agissant avec empathie, le leader-serviteur démontre une compréhension des défis sociaux, économiques et environnementaux qui affectent les populations les plus vulnérables.
Enfin, un tell leadership repose sur la promotion d’une vision collective. Cette vision ne se limite pas à la réalisation d’un programme politique ou économique, mais vise à rassembler tous les membres de la communauté autour d’objectifs communs qui transcendent les divisions sociales, politiques ou ethniques. En RDC, un pays marqué par des conflits internes et des clivages historiques, un leadership serviteur pourrait jouer un rôle crucial dans la promotion de l’unité nationale et de la réconciliation.
Dans un contexte politique, le leadership-serviteur est particulièrement pertinent car il met l’accent sur les résultats concrets et mesurables pour les populations, plutôt que sur des ambitions personnelles ou des luttes de pouvoir. Un leader-serviteur en RDC s’assurerait que les ressources nationales, telles que les revenus miniers, sont utilisées pour améliorer les infrastructures, renforcer les systèmes de santé et élargir l’accès à l’éducation. Par cette approche, il démontre que la gouvernance est un instrument au service du bien-être collectif, et non un moyen d’enrichissement personnel ou de consolidation du pouvoir.
Que ferait un leader-serviteur par rapport au débat en cours?
Les partisans des réformes constitutionnelles soutiennent qu’elles pourraient améliorer la gouvernance en renforçant les institutions démocratiques et en assurant une meilleure répartition des pouvoirs. Cependant, dans le contexte socio-économique actuel, ces réformes risquent de détourner l’attention des besoins immédiats de la population. Les débats sur la Constitution, souvent perçus comme des manœuvres politiques, peuvent accroître la méfiance envers les institutions publiques, surtout si les conditions de vie des citoyens ne s’améliorent pas en parallèle. Historiquement, les réformes politiques en RDC n’ont jamais eu un quelconque impact significatif sur la vie quotidienne des Congolais, alimentant un sentiment de désillusion.
La priorité donnée aux réformes constitutionnelles peut être perçue comme une déconnexion entre les ambitions politiques et les réalités des citoyens. Dans un pays où la gouvernance est déjà marquée par des inefficacités, concentrer les efforts sur des réformes institutionnelles risque d’amplifier les frustrations populaires. Les défis socio-économiques actuels exigent des solutions immédiates et tangibles. Investir dans les infrastructures, améliorer les systèmes de santé et renforcer l’accès à l’éducation apporterait des bénéfices concrets et améliorerait la confiance du public envers le gouvernement. En reportant ces réformes à une période plus stable, le gouvernement pourrait démontrer un engagement réel envers les besoins des citoyens.
Pour relever ces défis, une approche de leadership serviteur telle que décrite ci-dessus est essentielle. Ce modèle de gouvernance met l’accent sur la satisfaction des besoins de la population, la promotion de l’inclusivité et l’autonomisation des communautés. Un tel leadership donnerait la priorité au renforcement des systèmes de santé publique. Étendre l’accès aux soins prénatals et postnatals, notamment dans les zones rurales, pourrait réduire significativement la mortalité maternelle et infantile. De plus, une meilleure sensibilisation à l’utilisation des moustiquaires imprégnées et une distribution accrue des traitements antipaludiques contribueraient à réduire l’impact de cette maladie.
L’éducation devrait également figurer parmi les priorités principales. L’augmentation de l’accès à l’éducation primaire et secondaire, en particulier pour les filles, est essentielle pour briser le cycle de la pauvreté. En parallèle, la mise en place de programmes de formation professionnelle adaptés aux secteurs économiques stratégiques, tels que l’agriculture et l’exploitation minière, pourrait offrir des opportunités d’emploi durable. Sur le plan des infrastructures, la réhabilitation des routes, des voies ferrées et des voies navigables améliorerait l’accès aux marchés et stimulerait les échanges commerciaux, réduisant ainsi les disparités entre les zones rurales et urbaines. L’électrification rurale, notamment par le biais de solutions renouvelables, transformerait les économies locales et réduirait les inégalités.
La transparence et la lutte contre la corruption sont également des piliers essentiels d’un leadership serviteur. Le renforcement des institutions et la mise en œuvre de mécanismes de responsabilité garantiraient une utilisation efficace des ressources publiques. De plus, une décentralisation accrue des décisions politiques permettrait aux administrations locales de répondre plus rapidement et efficacement aux besoins des communautés.
Pour équilibrer la nécessité des réformes constitutionnelles avec les priorités de développement socio-économique, une approche progressive est nécessaire. À court terme, le gouvernement doit concentrer ses efforts sur des initiatives qui améliorent directement la qualité de vie des citoyens. La confiance et la stabilité générées par de telles améliorations créeraient un terrain favorable à des débats constitutionnels plus inclusifs et significatifs à l’avenir. Cette approche permettrait également de réconcilier les ambitions politiques avec les attentes populaires, renforçant ainsi la légitimité des institutions publiques.
De la crédibilité du leadership
La capacité du président Félix Tshisekedi à mener à bien les réformes constitutionnelles qu’il propose soulève des questions légitimes, notamment en raison de sa réputation mitigée dans la gestion des engagements politiques passés. Cette perception découle de plusieurs accords-clés qui, selon de nombreux observateurs, n’ont pas été respectés ou ont été reconfigurés dans une logique qui semble servir des intérêts politiques immédiats plutôt que l’intérêt général.
L’un des exemples les plus cités est l’accord avec Moïse Katumbi, autrefois allié potentiel dans la coalition qui devait soutenir la gouvernance de Tshisekedi, a vu leurs relations se détériorer, alimentées par un manque de clarté sur les termes de leur collaboration. Un autre accord notoire concerne la transition avec Joseph Kabila, l’ancien président. Lors de son accession au pouvoir, Tshisekedi s’était engagé dans une forme de partenariat avec Kabila, visant à assurer une continuité et une stabilité politiques. Cependant, les accusations de monopole du pouvoir par l’actuel président, ainsi que des tentatives pour éroder l’influence de Kabila et de son parti, ont alimenté les critiques. Ces incidents ont renforcé l’idée que Tshisekedi aurait une proclivité à restructurer ou à abandonner les engagements lorsqu’ils ne servent plus ses objectifs politiques.
Cette série de ruptures perçues ou avérées dans le respect des accords a entaché la crédibilité de Tshisekedi en tant que leader capable de rassembler les acteurs politiques nécessaires pour conduire des réformes constitutionnelles inclusives et légitimes. Les réformes proposées nécessitent un large consensus national pour garantir leur acceptabilité et leur mise en œuvre effective. Or, les précédents indiquent que le style de leadership de Tshisekedi, perçu comme opportuniste par certains, pourrait limiter sa capacité à construire la confiance requise pour un tel projet ambitieux.
La question de la transparence dans les négociations et de la cohérence dans les engagements politiques est cruciale pour restaurer la crédibilité du président et de son administration. Sans une volonté visible de collaborer de manière authentique avec l’ensemble des parties prenantes, y compris l’opposition et la société civile, les réformes risquent d’être perçues comme une tentative de centralisation du pouvoir plutôt qu’une véritable avancée démocratique. Cela pourrait exacerber les divisions politiques et compromettre la stabilité du pays.
En conclusion, bien que Félix Tshisekedi occupe une position stratégique pour initier des réformes importantes, son historique politique soulève des doutes sur sa capacité à respecter les engagements nécessaires pour mener ces réformes à bien. Pour relever ce défi, il devra démontrer un engagement renouvelé envers l’inclusion, la transparence et le respect des accords, tout en mettant en avant une gouvernance exemplaire qui inspire confiance.
La République Démocratique du Congo (RDC) se trouve à un tournant décisif de son histoire. Si les réformes constitutionnelles envisagées par le président Félix Tshisekedi peuvent présenter des avantages à long terme en renforçant les institutions démocratiques, elles ne doivent en aucun cas reléguer au second plan l’urgence de répondre aux besoins vitaux des millions de Congolais qui luttent quotidiennement pour survivre. L’adoption d’un leadership serviteur, fondé sur l’inclusion, la transparence et la responsabilité, est indispensable pour bâtir une société plus équitable et résiliente. Un tel leadership, orienté vers le développement socio-économique, permettrait de concentrer les efforts sur les priorités immédiates, telles que le renforcement des systèmes de santé, l’amélioration de l’accès à l’éducation et la modernisation des infrastructures.
En privilégiant ces secteurs fondamentaux, le gouvernement peut non seulement améliorer la qualité de vie des citoyens, mais aussi jeter les bases d’un avenir politique et économique stable, où la confiance du peuple envers ses dirigeants sera restaurée. Dans ce contexte critique, le président Tshisekedi a une opportunité unique de démontrer que son leadership est véritablement au service du peuple. En adoptant une approche audacieuse mais pragmatique, centrée sur les besoins urgents des populations, il pourrait transformer les défis actuels en un élan vers un avenir plus prospère, équitable et durable pour la RDC.
Dr. John M. Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
Références
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