Cette photo d'une fillette de 11 ans portant sa nièce de 3 ans alors qu'elle recherche ses parents dans le village de Kiwanja, dans l'est du Congo, a suscité des réactions à travers le monde, des personnes souhaitant leur venir en aide.AP
La guerre à l’Est de la RDC ne saurait plus être appréhendée comme un conflit au sens classique du terme. Elle s’est progressivement muée en un système à part entière. Un système routinisé, administré, financé, équipé et, surtout, rendu durablement rentable pour des acteurs qui n’en subissent jamais le coût humain. Tandis que le discours officiel invoque la souveraineté, la défense nationale et la menace extérieure, l’observation des faits matériels révèle une tout autre réalité. Celle d’une économie politique de la violence, où la guerre ne constitue plus une défaillance de l’ordre étatique, mais un mode de fonctionnement stabilisé.
Un examen comparatif, même sommaire, suffit à dévoiler l’absurdité centrale de ce dispositif. L’armée régulière congolaise et le M23-AFC présentent aujourd’hui des similitudes saisissantes qui ne peuvent être attribuées ni au hasard ni à une quelconque capacité organisationnelle endogène. Véhicules blindés, armements appropriés, uniformes standardisés, drones de reconnaissance et parfois de combat composent un arsenal d’une homogénéité remarquable. Aucun de ces équipements n’est conçu, produit ou maintenu localement. Aucun ne procède d’une capacité industrielle nationale ou d’une ingénierie rebelle autonome. Cette convergence matérielle atteste que le théâtre réel de la guerre excède largement le périmètre du champ de bataille congolais.
Cette homogénéité révèle l’existence d’un marché d’approvisionnement commun, structuré par des chaînes logistiques transnationales, des intermédiaires privés et des bailleurs indirects opérant à distance du terrain mais au cœur même des décisions stratégiques. Ces acteurs ne misent pas sur la victoire d’un camp, mais sur la prolongation du conflit. La guerre cesse dès lors d’être un affrontement opposant l’État à une rébellion pour se transformer en un dispositif de gestion violente des rapports de pouvoir. Dans ce cadre, la souveraineté congolaise n’est pas frontalement anéantie, elle est progressivement neutralisée, tandis que la violence devient la condition de reproduction des rentes et des hiérarchies qui les soutiennent.
Cette guerre profite aux marchands de la guerre et, plus paradoxalement encore, aux entrepreneurs régionaux et internationaux de la paix. Chaque balle tirée légitime un contrat, chaque avancée militaire appelle une médiation, chaque cessez-le-feu avorté réactive un cycle de financements, de conférences et de missions diplomatiques. La guerre s’installe ainsi comme un mécanisme de reproduction permanente, tandis que la paix se trouve reléguée au rang de promesse différée, constamment invoquée, mais systématiquement ajournée.
Pourquoi et contre qui combattons-nous encore ?
La question n’est plus militaire. Elle est politique et idéologique. Contre qui la RDC combat-elle réellement, et au nom de quel objectif stratégique clairement assumé ? Le discours officiel oscille entre ennemis extérieurs, supplétifs régionaux, groupes armés internes et menaces diffuses jamais précisément nommées. Cette indétermination n’est pas une faiblesse. Elle est fonctionnelle. Un ennemi flou permet une guerre sans fin, et une guerre sans fin suspend durablement toute responsabilité politique.
Dans ce brouillard stratégique, l’État congolais agit par réflexes plus que par vision. Chaque offensive répond à une humiliation précédente, chaque déclaration vise davantage l’opinion que le terrain. Il n’existe ni doctrine de sortie de crise, ni projet liant sécurité, économie et transformation sociale. La guerre devient un automatisme institutionnel. Mais cette vacuité n’est pas l’apanage du pouvoir central. Le M23-AFC, malgré sa rhétorique de rupture, ne propose aucun projet socio-économique crédible. Là où il s’installe, il ne transforme pas l’administration, il la reproduit, administrant la pénurie plutôt que de la dépasser.
Cette absence de vision se manifeste jusque dans les gestes les plus ordinaires du pouvoir. On mobilise la population pour balayer les rues plutôt que d’investir dans des solutions modernes de gestion des déchets, des infrastructures productives ou des technologies urbaines. L’autorité se met en scène, elle ne se modernise pas. La domination s’exerce par la contrainte et la communication, non par la production de biens publics. La guerre cesse alors d’être un affrontement de projets pour devenir une compétition entre formes similaires de gouvernance appauvrie.
Cette vacuité est aggravée par une contradiction idéologique centrale. Le M23-AFC invoque l’unité nationale tout en fondant sa légitimation sur la protection des Tutsi, une minorité au sein d’une minorité. On ne peut prétendre à l’universalité nationale en s’appuyant sur une revendication communautaire étroite. Faute de projet universalisable, l’unité devient un slogan performatif, utile à la mobilisation armée, incapable de fonder une gouvernance.
Le conflit apparaît alors pour ce qu’il est devenu. Non pas une lutte entre un État et une rébellion porteuse d’une alternative, mais un affrontement entre coalitions d’intérêts qui instrumentalisent la guerre, les identités et la rhétorique sécuritaire. Tant que cette vérité n’est pas nommée, toute victoire militaire restera stérile. Le problème n’est ni territorial ni ethnique. Il est profondément économie politique.
Dialogue national et inclusif : pour quoi faire exactement ?
L’appel au dialogue national et inclusif revient régulièrement comme une incantation morale. L’Église, certaines figures de l’opposition et des acteurs se réclamant de la société civile le présentent comme une solution naturelle, sinon incontournable. Cette sacralisation du dialogue dispense toutefois trop souvent d’un examen rigoureux de ses conditions réelles d’efficacité, de ses finalités concrètes et des rapports de pouvoir qu’il est censé transformer.
Il est dès lors légitime de s’interroger non sur les intentions proclamées, mais sur les incitations structurelles qui sous-tendent la promotion répétée de ces processus. Il ne s’agit ni d’affirmer que leurs initiateurs seraient les véritables maîtres du M23-AFC, ni de mettre en doute leur conviction affichée de vouloir mettre un terme à la violence. Il s’agit plutôt de constater que l’histoire politique congolaise est jalonnée de dialogues dont la fonction effective fut moins la pacification durable que l’absorption d’élites contestataires au sein de l’appareil d’État, sans réforme substantielle des pratiques de gouvernance. Le mécanisme est désormais familier. La conflictualité ouvre la séquence de la négociation. La négociation débouche sur des arrangements politiques. Et ces arrangements se traduisent par une inflation de postes, de cabinets et d’institutions parallèles, générant des charges supplémentaires pour le Trésor public sans amélioration tangible des conditions de vie des populations. Un dialogue qui ne clarifie ni l’autorité capable d’imposer la paix, ni les garanties institutionnelles de sa mise en œuvre, cesse d’être un instrument politique pour devenir un dispositif de redistribution de rentes.
Les trajectoires individuelles issues de ces processus sont à cet égard révélatrices. Les cas d’Adolphe Muzito, auteur de propositions de loi de finances entachées de fautes manifestes, ou d’Éliézer Ntambwe, jadis véhément à l’Assemblée nationale mais aujourd’hui absorbé par les routines gouvernementales où dominent images protocolaires et déplacements officiels, illustrent cette dérive. L’accès au gouvernement y apparaît moins comme la reconnaissance d’une compétence ou d’une responsabilité assumée que comme l’aboutissement d’un parcours personnel.
Le pouvoir cesse alors d’être conçu comme une charge au service de l’intérêt général pour devenir une récompense politique. La fonction publique se transforme en finalité individuelle, financée collectivement, sans obligation claire de résultats ni mécanismes effectifs de reddition de comptes. Dans ces conditions, le dialogue perd sa vocation de résolution des conflits et se mue en transaction politique. La paix est invoquée comme horizon rhétorique, mais la facture est immédiate et bien réelle. Elle est acquittée par les citoyens, à travers l’impôt, l’endettement et la perpétuation d’un système où la crise devient une ressource, et le consensus, un bien négociable.
La guerre mondialisée, la facture locale
À mesure que la guerre en RDC s’étend, elle consolide des réseaux transnationaux financiers, sécuritaires, diplomatiques et extractifs, dont la prospérité repose sur la perpétuation calculée de l’instabilité. Dans ces circuits se croisent contrats d’armement, concessions minières et agendas diplomatiques. Pendant que l’économie nationale acquitte le coût, surtout en vies humaines, d’autres accumulent rentes et garanties internationales. Cette asymétrie n’est pas contingente. Elle est structurelle et constitue le cœur même du système.
L’histoire fournit pourtant des avertissements sans équivoque. Le Royaume-Uni est sorti vainqueur de la Seconde Guerre mondiale, mais ruiné. Non seulement en raison du coût du conflit, mais surtout parce que les États-Unis ont utilisé l’aide financière comme levier pour démanteler progressivement l’empire britannique. Lorsque Londres a sollicité un soutien supplémentaire, les conditions imposées ont achevé de redessiner l’ordre mondial à son détriment. La victoire militaire sans autonomie économique s’est révélée être une illusion dangereuse. Il faut aller plus loin encore. Même lorsque les États-Unis sont intervenus pour « sauver » les vaincus, comme l’Allemagne et le Japon, il ne s’agissait nullement d’un acte de charité. L’aide a servi d’instrument de contrôle stratégique. Elle a permis de restructurer leurs économies, d’orienter leurs politiques industrielles, de capter une partie de leur savoir-faire technologique et de les intégrer durablement dans une architecture géopolitique dominée par Washington. Ce sauvetage a consacré les États-Unis comme centre de gravité du nouvel ordre mondial. L’histoire montre ainsi que, vainqueurs ou vaincus, les États qui abandonnent leur autonomie économique finissent toujours sous tutelle.
C’est ce piège que reproduisent aujourd’hui, chacun à leur manière, le pouvoir en place et le M23-AFC. À chaque irruption ou déclaration d’un faiseur de guerre, tel que le Rwanda ou le Burundi, ou de paix, le Qatar ou Oncle Sam. les enchères montent. Plus de contrats, plus de concessions, plus de ressources hypothéquées. Et, invariablement, ce sont les Congolais qui règlent la note. La mise aux enchères du sous-sol national ne prépare pas la paix. Elle finance une victoire immédiate, fragile et illusoire, dont le coût réel est supporté par une population enfermée dans un conflit qu’elle ne contrôle pas.
Enfin, même si les États-Unis parvenaient à sécuriser l’accès à l’ensemble des minerais stratégiques situés hors de la Chine, cela ne réglerait pas leur vulnérabilité centrale. Le véritable point de blocage ne réside pas dans l’extraction, mais dans le raffinage. La puissance chinoise repose sur la maîtrise des capacités de transformation, du savoir-faire technologique et d’écosystèmes industriels intégrés, patiemment construits. Le Japon a tenté de s’émanciper de cette dépendance et, malgré des investissements colossaux, n’a réussi qu’à réduire sa dépendance à l’égard de la Chine d’environ 90 % à près de 50 %. Ce constat révèle le caractère profondément structurel du problème.
Dans ce jeu, la RDC n’est ni une solution ni un pivot stratégique. Elle n’est qu’un pion de chantage géo-économique, à durée limitée et sans maîtrise de son propre calendrier, riche de gisements dont la valeur stratégique peut s’évaporer, comme ce fut le cas du caoutchouc hier. Croire le contraire revient à confondre exposition géopolitique et pouvoir réel.
C’est assez ! Le temps d’être les adultes dans la pièce
La guerre actuelle entre l’État congolais et le M23-AFC s’éloigne d’une gouvernance responsable pour se rapprocher d’une confrontation de postures, où la logique de surenchère et l’affrontement d’ego prennent le pas sur toute vision stratégique. Bref, un combat de boucs. Coups de tête symboliques, surenchère verbale, rivalités d’ego et démonstrations de virilité ont progressivement remplacé toute réflexion stratégique structurée. Cette infantilisation du débat public n’est ni anodine ni gratuite. Elle est coûteuse. Elle détourne des ressources publiques rares, banalise la perte de vies humaines et affaiblit durablement la position de la République démocratique du Congo sur les scènes régionale et internationale.
Le bon sens impose dès lors une conclusion difficile, mais inévitable. À travers la prolifération des conflits, la succession de négociations-spectacles de Nairobi à Washington, les dénégations répétées et l’invocation ritualisée du dialogue national, une réalité s’impose avec une clarté croissante. L’état profondément archaïque des aspirations, des ambitions, des appétits, des motivations et des trajectoires d’enrichissement de l’élite congolaise constitue aujourd’hui l’un des principaux obstacles à l’émergence d’un État moderne, fonctionnel et responsable. Sous les oripeaux de la médiation, du tribalisme instrumentalisé, des spiritualités mobilisées à des fins politiques et de la justice sociale invoquée sans contenu, cette élite perpétue un système qui tire sa reproduction de l’instabilité plutôt que de toute transformation structurelle.
Il revient désormais au peuple congolais d’exiger la paix, non comme slogan émotionnel ou posture morale abstraite, mais comme exigence rationnelle, politique et économique. Continuer à servir d’alibi, de chair à canon ou de carburant fiscal à une guerre dont il assume seul le coût relève d’une erreur historique majeure. Une guerre qui détruit des vies, ruine l’économie et fragilise durablement la souveraineté nationale, tout en enrichissant des réseaux qui n’ont de comptes à rendre ni au peuple ni à l’État.
Dans cette perspective, le président Tshisekedi doit renoncer à une posture de chef de camp engagé dans une compétition permanente et assumer pleinement la fonction d’arbitre institutionnel que lui confère la magistrature suprême. Cela suppose une rupture nette avec une communication émotionnelle, qu’elle émane de lui-même ou de ses relais, faite de prises de parole souvent réactives, approximatives et insuffisamment arrimées aux exigences de gravité, de cohérence et de responsabilité qu’impose la situation nationale.
Il lui incombe, dès lors, d’initier une recomposition politique de grande ampleur. Cette démarche impose à la majorité parlementaire actuelle l’ouverture d’un dialogue politique avec le M23-AFC, non par faiblesse ni par capitulation, mais dans l’objectif explicite de refonder une nouvelle majorité parlementaire, tant au niveau national que provincial, orientée vers la stabilisation durable et la sortie effective du conflit. Une majorité fondée sur la responsabilité politique et la volonté de mettre un terme définitif à cette économie mortifère de la guerre et de la paix, par les Congolais pour les Congolais, tout en garantissant la tenue d’élections crédibles, inclusives et sécurisées en 2028. C’est à travers ce processus que le peuple congolais devra exercer pleinement sa souveraineté, en choisissant consciemment à qui déléguer son autorité, non plus par résignation ou par peur, mais au profit de âmes engagées dans la modernisation des institutions, le respect de l’État de droit et l’exigence démocratique.
Jo M. Sekimonyo, PhD
Économiste politique, théoricien, militant des droits humains et écrivain. Chancelier de l’Université Lumumba.
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