RDC : Les a-t-ils maîtrisés sans que tout le monde ne s’en rende compte

Au quotidien, on m’envoie des extraits de plateaux télé et des débats prétendument politiques qui relèvent, la plupart du temps, du pur spectacle. Des éclats de voix, des postures et des rivalités d’ego, mais rarement des idées. Pourtant, courant 2025, l’un de ces personnages catalogués trop vite comme des amuseurs a retenu mon attention, M. Maîtrisable. Non par gravité excessive, mais par la vivacité de son esprit, son ironie maîtrisée et surtout par le contraste saisissant entre sa finesse verbale et la pauvreté intellectuelle de certains porte-voix du régime, manifestement irrités par ce qu’ils ne parvenaient pas à contenir.

Je regardais cela avec amusement. Rien de plus. Jusqu’au moment où le ton a changé.

Il y a un peu plus d’une semaine, une alerte glaçante a surgi. Son épouse annonçait sa disparition. Enlevé. Volatilisé. Plus de nouvelles. Plus de traces. Un silence lourd, familier en RDC et rarement anodin. Puis, quelques jours plus tard, une vidéo apparaît. M. Maîtrisable réapparaît. Propre, rasé, sans ses lunettes. Calme, excessivement calme. Il présente des excuses au Président de la République. Le décor n’est ni son domicile ni une prison officiellement reconnue. Le lieu est impersonnel et inquiétant. Le message, lui, est parfaitement lisible.

Peu après, l’information tombe. Il a été transféré devant les juridictions. De l’inconnu vers le tribunal. Une séquence censée rassurer l’opinion, mais qui, en réalité, ne fait qu’approfondir le malaise.

Mettons un instant de côté les déclarations répétées de Félix Tshisekedi, affirmant vouloir mettre fin aux détentions dans des lieux secrets par les services de sécurité. Mettons également de côté l’évidence juridique. Cette vidéo constitue une violation manifeste de la Constitution congolaise, en particulier de son article 16, qui consacre le caractère sacré de la personne humaine et interdit tout traitement cruel, inhumain ou dégradant. En droit constitutionnel comme en droit international, l’humiliation publique est automatiquement qualifiée de traitement dégradant, surtout lorsqu’elle est imposée par une autorité étatique.

Auto-incrimination

En cherchant à humilier M. Maîtrisable, à le contraindre à une repentance filmée et à l’exposer dans un décor opaque, le régime s’est probablement infligé un dommage politique inutile. Car loin de l’affaiblir, cette mise en scène l’a protégé, identifié et transformé en preuve vivante. Elle a confirmé qu’il était détenu par l’État, révélé les motivations réelles de cette détention, et fourni au monde un élément matériel de persécution fondée non sur un crime, mais sur la parole. Les réactions publiques, faites de rires gênés et de condamnations timides, révèlent surtout une méconnaissance inquiétante du texte constitutionnel et des voies de recours qu’il prévoit, notamment devant la Cour constitutionnelle. À partir de cet instant précis, M. Maîtrisable cesse d’être un simple chroniqueur dérangeant. Il devient un problème politique à part entière, non parce qu’il menace le pouvoir, mais parce que le pouvoir s’est lui-même placé en faute en cherchant à l’humilier.

Cette séquence audiovisuelle, qu’elle ait été pensée ou improvisée, a produit un effet paradoxal. Loin de fragiliser M. Maîtrisable, elle lui a offert une garantie essentielle. Sa vie. En rendant ces images accessibles, ses détenteurs ont levé toute ambiguïté sur son sort et attesté, devant l’opinion nationale et internationale, qu’il était en vie. Le transfert ultérieur devant une juridiction a, quant à lui, dissipé toute zone d’ombre sur la nature de sa captivité en désignant clairement l’État comme responsable de sa détention. Mais l’élément le plus révélateur demeure l’exercice d’excuses filmées. Par cet acte, le pouvoir n’a pas démontré l’existence d’un crime, encore moins d’un projet de déstabilisation, mais a exposé la véritable cause de la poursuite. S’il avait existé la moindre preuve de complot ou de menace sérieuse contre la sûreté de l’État, le recours à une procédure judiciaire ordinaire aurait été suffisant et même nécessaire.

Cette mise en scène prouve l’inverse. Elle établit que M. Maîtrisable n’est pas poursuivi pour des actes, mais pour des paroles. Non pour une entreprise subversive, mais pour avoir franchi une limite informelle où la critique politique cesse d’être tolérée et commence à être sanctionnée. Autrement dit, ce qui est ici réprimé n’est pas une infraction pénale, mais l’exercice effectif de la liberté d’expression.

Désormais, où qu’il apparaisse, M. Maîtrisable portera une charge politique durable. Aux yeux d’une nation, mais aussi d’organisations internationales, de partenaires économiques et d’États tiers, il incarne un cas documenté de persécution politique assumée. Il n’est plus seulement un individu, mais un signal. Un signal envoyé aux investisseurs, aux bailleurs de fonds et aux institutions financières qui lisent toujours les atteintes aux libertés comme des indicateurs de risque.

En produisant et en diffusant cette séquence, le régime a involontairement offert à ceux qui l’accusent d’autoritarisme une preuve exploitable, concrète et immédiatement mobilisable. M. Maîtrisable peut ainsi devenir à la fois symbole, témoin et pièce à conviction vivante dans les discours, rapports et arbitrages politiques et économiques dirigés contre le pouvoir en place. À partir de là, la marge de manœuvre se rétrécit dangereusement. Neutraliser cette figure supposerait l’enfermer, l’isoler, ou la faire disparaître de l’espace public. Mais chaque jour de détention supplémentaire alourdit le coût politique, renchérit le risque économique et accroît la crédibilité de l’accusation même que le régime prétend combattre.

L’assurance refusée

J’observe cette séquence avec ce sentiment amer du « je vous l’avais prévenu », non par vanité rétrospective, mais parce que les mécanismes à l’œuvre étaient lisibles depuis longtemps. Elle révèle une erreur stratégique commise par certains acteurs politiques, notamment au sein du PPRD, formation à laquelle appartient M. Maîtrisable. Ils avaient été invités à rejoindre une pétition visant à corriger et à renforcer certaines dispositions constitutionnelles relatives à la liberté d’expression. La démarche ne relevait ni d’une posture militante ni d’une stratégie oppositionnelle. Elle procédait d’une lecture en économie politique cherchant à offrir aux partis, aux institutions et à leurs dirigeants une protection durable contre des dérives sécuritaires à forte externalité politique et économique.

Cette proposition, pensée comme un mécanisme d’assurance institutionnelle et de stabilisation du jeu politique, a été accueillie avec dérision. Le réflexe est comparable au traitement réservé à des journalistes tels que Christian Lusakweno, régulièrement rappelés à l’ordre dès que leur travail commence à produire des effets politiques tangibles. Ce rire n’était pas anodin. Il traduisait une incapacité à saisir que certaines réformes constitutionnelles ne visent pas à affaiblir le pouvoir en place, mais à le prémunir contre ses propres excès.

En rejetant cette initiative, les acteurs concernés ont renoncé à un garde-fou qui aurait précisément contenu l’escalade actuelle. Ils ont ainsi accru l’exposition du régime aux accusations d’autoritarisme et alourdi les coûts politiques, juridiques et économiques qui en découlent aujourd’hui.

La faute de lecture du pouvoir

Reste une interrogation fondamentale, sans doute la plus inconfortable pour ses adversaires. Cette vidéo constitue-t-elle réellement une défaite pour M. Maîtrisable. Ou révèle-t-elle, au contraire, une capacité stratégique largement sous-estimée. Loin d’être un simple provocateur ou un acteur du spectacle politique, il pourrait maîtriser avec précision l’usage de ce rôle, en en exploitant les limites et les effets pervers. Cette séquence, qu’elle ait été subie ou partiellement intégrée dans son propre calcul, met également en lumière l’amateurisme de certains acteurs du régime, ou à tout le moins leur incapacité à lire correctement le contexte politique, juridique, économique et médiatique du moment.

Dans une perspective d’économie politique, ce dérèglement ne peut être dissocié d’autres choix récents, notamment les tentatives d’interdire ou de suspendre les activités minières artisanales, en particulier dans la filière cuivre-cobalt. Ces décisions reposent sur l’hypothèse erronée d’une société durablement passive, capable d’absorber sans réaction la réduction simultanée des libertés symboliques et des moyens matériels de subsistance. Une lecture fondée sur la théorie de l’indifférence montre au contraire que l’accumulation de ces contraintes déplace progressivement les populations vers des seuils d’activation, au-delà desquels l’acceptation silencieuse cède la place à des formes de mobilisation imprévisibles.

En mobilisant des moyens manifestement disproportionnés pour neutraliser une critique essentiellement verbale, ils ont confondu démonstration de force et stratégie, produisant un effet inverse à celui recherché. Ce choix révèle une gestion du risque déconnectée du temps présent, où des instruments extrêmes sont déployés pour traiter un enjeu mineur, avec des conséquences dont ni les décideurs ni l’opinion immédiate ne mesurent encore pleinement la portée politique, juridique, économique et symbolique.

Coup de chapeau, M. Maîtrisable.

Jo M. Sekimonyo, PhD

Économiste politique, théoricien, militant des droits humains et écrivain. Chancelier de l’Université Lumumba.

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