RDC : le mariage des enfants reste courant

Malgré les efforts internationaux visant à éliminer le mariage des enfants, la RDC continue d’afficher des taux élevés de cette pratique néfaste. Le mariage d’enfants désigne une union, formelle ou informelle, où l’un des conjoints, voire les deux, a moins de 18 ans. Il est néfaste car il prive les filles de leurs droits à l’éducation, à la santé et à leur épanouissement personnel.

En RDC, environ 29 % des jeunes femmes âgées de 20 à 24 ans se sont mariées avant l’âge de 18 ans . Ce taux varie également selon le lieu de résidence : en milieu rural, il atteint 40,1 %, contre 19,4 % en milieu urbain.

Le taux de mariages d’enfants est encore plus élevé dans certains autres pays africains : 76 % au Niger , 67 % au Tchad, 68 % en République centrafricaine , 54 % au Mali, 48 % au Mozambique, 45 % en Somalie, 52 % au Soudan du Sud et 40 % en Éthiopie. En Afrique du Sud, ce taux est bien plus faible, à 4 %.

Chercheuse en santé publique et démographie sociale , j’ai consacré plus de 20 ans à l’étude des défis qui affectent la santé et le développement des populations en Afrique subsaharienne. Mon intérêt pour le mariage d’enfants est né du constat de ses conséquences néfastes sur la santé des filles, leur éducation et l’égalité des sexes, trois domaines essentiels au développement durable.

J’ai mené des recherches pour déterminer quels facteurs socio-économiques et démographiques rendaient plus probable le mariage des jeunes femmes en RDC avant l’âge de 18 ans. J’ai constaté que cette pratique est le fruit d’une interaction complexe entre la pauvreté, les inégalités entre les sexes, les pratiques traditionnelles, la faiblesse de l’application des lois et les conflits.

Bien que mes recherches aient été menées à partir de données de 2014 et publiées en 2017, leurs conclusions restent valides. Les quatre facteurs que mon étude avait identifiés comme étant les principaux facteurs contribuant au mariage d’enfants en RDC n’ont pas changé, et se sont même aggravés dans certains cas. Une étude ultérieure sur les mariages d’enfants dans la province de Kabinda, en RDC, a confirmé les conclusions de mes recherches de 2017.

Bien qu’il ne s’agisse pas d’une étude spécifique à la RDC, les recherches menées par l’un de mes chercheurs ont non seulement mis en lumière l’ampleur du mariage d’enfants en Afrique subsaharienne, mais ont également révélé les systèmes sociaux qui le perpétuent.

Je suggère, en me basant sur les résultats de recherches menées en RDC et sur l’expérience de pays ayant réussi à réduire le nombre de mariages d’enfants, que le changement est possible grâce à l’éducation, l’harmonisation et le respect des lois, l’amélioration des systèmes d’enregistrement de la population, le dialogue avec les communautés et le soutien aux filles sous diverses formes. Il est important que la mise en œuvre de ces stratégies dans les régions où le mariage d’enfants est très répandu contribue à une réduction significative de cette pratique.

L’ampleur et la répartition du problème

Le mariage d’enfants reste très fréquent en République démocratique du Congo. Un rapport de la Banque mondiale indique les taux de prévalence suivants : environ 37 filles sur 100 sont mariées avant l’âge de 18 ans, et 10 filles sur 100 avant l’âge de 15 ans.

Ce phénomène est encore plus fréquent dans les zones rurales et les régions touchées par la guerre, comme les provinces du Kasaï, du Nord-Kivu et du Sud-Kivu. Les provinces de l’est (Kivu) ont été particulièrement affectées par les conflits et l’instabilité.

Dans ces régions, en raison des conflits de longue durée et de la faiblesse des services publics, certaines familles considèrent le mariage comme un moyen de protéger les filles du danger et de la pauvreté.

Principaux facteurs à l’origine du mariage d’enfants en RDC

Notre étude de 2017 a mis en évidence quatre facteurs majeurs contribuant à l’élimination du mariage d’enfants en RDC :

  • pauvreté
  • croyances culturelles et religieuses
  • application de la loi défaillante
  • conflit armé.

Les implications politiques de l’étude de 2017 ont explicitement souligné la nécessité de mettre en œuvre des politiques robustes visant à éradiquer le mariage des enfants en République démocratique du Congo.

La pauvreté demeure le principal facteur prédictif du mariage d’enfants. Les familles les plus démunies perçoivent souvent le mariage comme une stratégie pour atténuer leurs difficultés économiques. Elles peuvent ainsi recevoir une dot ou réduire le nombre de personnes à nourrir. Les ménages pauvres sont également moins enclins à investir dans l’éducation des filles, un facteur reconnu de prévention des mariages précoces. La pauvreté reste très répandue en RDC, où la majorité de la population vit en dessous du seuil international de pauvreté. Les auteurs soulignent que la persistance des difficultés économiques, le manque d’accès à l’éducation et les inégalités sociales continuent d’exacerber les vulnérabilités telles que le mariage d’enfants, en particulier chez les filles issues de ménages à faibles revenus. Ceci confirme la validité des conclusions de l’étude de 2017.

Les filles peu ou pas scolarisées ont beaucoup plus de risques d’être mariées jeunes. Mes recherches ont montré que les filles sans instruction formelle avaient trois fois plus de risques d’être mariées avant l’âge de 18 ans que celles ayant fait des études secondaires ou supérieures. L’éducation ne se contente pas de retarder l’âge du mariage, elle permet aussi aux filles de prendre des décisions éclairées concernant leur avenir. Cette situation reste inchangée d’après une étude de 2022 : les filles peu ou pas scolarisées sont susceptibles d’être mariées jeunes.

Des croyances culturelles et religieuses profondément ancrées perpétuent souvent le mariage d’enfants comme norme sociale. Dans certaines communautés, le mariage précoce est lié à des notions d’honneur familial, d’obéissance féminine ou de préceptes religieux. Ces croyances sont difficiles à remettre en question, surtout lorsque les anciens et les chefs religieux sont perçus comme les gardiens de la tradition. La pauvreté demeure très répandue en République démocratique du Congo, la majeure partie de la population vivant en dessous du seuil international de pauvreté. Les difficultés économiques persistantes, l’accès limité à l’éducation et l’influence des anciens et des chefs religieux, considérés comme les gardiens de la tradition, continuent d’accroître le risque de mariage d’enfants , en particulier chez les filles issues des familles les plus pauvres.

Le système juridique de la RDC n’est pas unifié , ce qui confère une influence considérable aux lois coutumières et religieuses. Si les lois nationales interdisent le mariage des enfants, leur application reste très inégale. Les lois coutumières comportent souvent des lacunes ou des exemptions qui rendent difficile le respect de l’âge légal minimum. Dans les régions touchées par les conflits, ce sont souvent les lois coutumières locales qui prévalent.

Les conflits armés alimentent également les déplacements de population, l’instabilité économique et l’insécurité, ce qui accroît la vulnérabilité des filles. Nombre de parents pensent que le mariage protège contre les violences sexuelles dans ces contextes instables. La situation sécuritaire s’est considérablement détériorée depuis 2017 et le conflit armé est aujourd’hui encore plus grave .

Relever les défis

D’après mes recherches, quatre stratégies se révèlent particulièrement prometteuses.

Améliorer l’accès à une éducation de qualité est sans doute le moyen le plus efficace de retarder le mariage. Les programmes visant à réduire le coût de la scolarité et à octroyer des bourses aux filles ont fait leurs preuves dans d’autres pays africains et devraient être étendus en RDC.

Le projet « Valoriser l’éducation formelle des filles » , par exemple, a amélioré la scolarisation et le maintien des filles à l’école grâce à des bourses et à l’implication de la communauté. Debout Fille autonomise les filles en leur offrant une éducation à la santé et au leadership par le biais de clubs d’apprentissage numérique et de parlements de filles . Inspire Action Africa propose des bourses et un mentorat aux filles vulnérables. ChildBride Solidarity fournit des bourses et un soutien financier pour maintenir les filles à l’école.

Le déploiement à plus grande échelle de ces initiatives peut réduire le mariage des enfants en RDC. La scolarisation permet non seulement d’éviter le mariage des filles, mais aussi d’améliorer leur santé et leur situation économique à long terme.

La RDC doit harmoniser son droit coutumier et son droit statutaire afin de combler les lacunes juridiques qui permettent la persistance des mariages d’enfants. Les forces de l’ordre, les responsables communautaires et les ressources disponibles doivent également veiller au respect du droit national.

Des systèmes d’enregistrement des naissances et des mariages plus performants peuvent également contribuer à vérifier les âges et à prévenir les unions illégales.

Les dialogues communautaires impliquant parents, aînés et chefs religieux peuvent faire évoluer les mentalités. Il est également essentiel d’associer les hommes et les garçons à ces conversations pour briser les stéréotypes de genre.

Les programmes devraient offrir un soutien psychosocial, une formation professionnelle et des services de santé reproductive aux filles à risque de mariage d’enfants ou déjà touchées par ce phénomène.

Créer des espaces sûrs où les filles peuvent s’exprimer, apprendre et s’épanouir peut réduire leur isolement et leur donner les moyens de défendre leurs droits.

Sathiya Susuman Appunni

Professeur titulaire de démographie, Université du Cap-Occidental

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