Les violences perpétrées par le groupe rebelle M23 , soutenu par le Rwanda, sont souvent présentées comme visant à contrôler les sites miniers riches en ressources de l’est de la République démocratique du Congo. Le groupe rebelle a lancé sa dernière offensive en 2021 et contrôle actuellement de vastes territoires dans le sud-est de la province du Nord-Kivu, encerclant et isolant la principale ville de Goma.
Les mines de l’est de la RDC produisent des matières premières essentielles comme l’étain, le tantale et le tungstène, ainsi que d’abondantes quantités d’or. Il semble donc logique de réduire les explications du conflit à l’ambition du M23, et du Rwanda derrière lui, de contrôler directement les mines.
L’analyse des conflits ignore souvent les dimensions historiques et locales. Notre enquête auprès de l’Association pour le Développement des Initiatives Paysannes, une organisation de la société civile basée à Goma, a donc exploré les enjeux et les impacts locaux de la crise du M23. Nous avons interrogé plus de 55 personnes au Nord-Kivu (RDC), dont des membres du M23, ainsi que des soldats et des groupes armés qui les combattent, des chefs locaux, des agents de l’État, des enseignants, des taximen, des commerçants et des agriculteurs qui vivent en première ligne du conflit.
Nos recherches révèlent que le M23 emploie une stratégie plus profonde pour renforcer sa position et sa puissance militaire (grâce au soutien du Rwanda) dans les luttes locales pour la terre, l’autorité et les loyers. La stratégie perturbatrice du M23 vise à remplacer les autorités congolaises et à remanier la gouvernance locale dans les zones qu’il contrôle dans l’est de la RDC. La clé de cette stratégie est la suivante :
affaiblir et remplacer les autorités locales (coutumières)
s’emparer des routes commerciales stratégiques
la mise en place d’un régime fiscal élaboré.
Ces stratégies permettent également au M23 – et au Rwanda – de générer des revenus à partir de l’économie locale, notamment des rentes provenant des richesses minérales de la RDC, sans nécessairement contrôler directement les mines.
Luttes historiques pour la terre
Les personnes interrogées ont accordé une grande importance au contexte historique du conflit du M23, expliquant que les luttes pour la terre remontent à l’indépendance en 1960. Dans les années 1930 et 1940, les administrateurs coloniaux belges organisaient déjà de vastes mouvements de travailleurs migrants du Rwanda vers les plantations de la RDC. Les migrants rwandophones et leurs descendants se sont installés au Nord-Kivu, devenant partie intégrante de la population locale.
Après l’indépendance, les communautés hutu et tutsi (rwandophones) ont commencé à se disputer le contrôle des terres agricoles fertiles du Nord-Kivu avec les communautés hunde et nyanga de cette région. À mesure que les revendications relatives à l’accès à la terre et aux droits de propriété se sont accrues, les communautés rwandophones ont été stigmatisées comme « non autochtones » et leurs revendications foncières considérées comme illégitimes.
Lorsque les guerres du Congo ont éclaté dans les années 1990, les populations ont commencé à recourir aux groupes armés pour régler les conflits fonciers. Avant la montée du M23 en 2012, deux autres groupes (le Rassemblement congolais pour la démocratie puis le Congrès national pour la défense du peuple) se sont constitués pour protéger la population rwandophone de l’est de la RDC. Ils ont également accaparé et vendu de vastes concessions de terres – détenues par l’État ou d’autres communautés – à des agriculteurs et des hommes d’affaires alliés, généralement issus de la communauté tutsie.
Compte tenu de la complexité et de l’inapplication des lois foncières du pays, les revendications foncières sont devenues extrêmement difficiles à vérifier ou à prouver. Cette situation a renforcé la conviction que le seul moyen d’ obtenir l’accès à la terre est de recourir aux groupes armés . Le M23 est ainsi perçu comme le gardien de l’accès de la communauté tutsie à la terre.
Cette perception est bien illustrée par le témoignage d’un leader local du territoire de Masisi :
Les guerres des trois dernières décennies ont été motivées par une lutte pour le contrôle des terres… Les populations autochtones sont chassées, dépossédées de leurs terres au profit d’autres qui sont considérés comme des étrangers et des réfugiés. … le M23 est composé de pasteurs (tutsis) … et il y a des champs que leurs rivaux s’étaient emparés … c’était l’une de leurs premières préoccupations (M23) de commencer à les exploiter.
La plupart des Tutsis congolais n’ont pas demandé cette « protection » du M23. Mais les griefs et les tensions ethniques qui en découlent hanteront les relations entre les communautés pendant des années.
Luttes autour de l’autorité coutumière
En RDC, les chefs coutumiers jouent un rôle important dans la gouvernance foncière locale. Ils règlent également les conflits, lient les populations par des rituels et représentent la revendication symbolique d’une communauté spécifique sur un lieu donné.
De nombreux Congolais avec lesquels nous avons discuté estiment que le principal objectif du M23 est de contrôler le pouvoir au niveau local, en affaiblissant les autorités existantes. Le groupe a en effet cherché à remplacer les autorités coutumières par des autorités nommées par le M23, assassinant parfois des chefs congolais. Des sources locales ont déclaré que le M23 avait même brûlé les archives des chefferies, détruisant ainsi les preuves de revendications d’autorité coutumière.
L’emprise économique du M23
Partout où le M23 a une présence, il met en place un système fiscal élaboré : péages aux postes de contrôle, impôts sur les ménages, cotisations sur les entreprises, taxes sur les récoltes et travail forcé. Ce faisant, le groupe génère les revenus nécessaires pour entretenir le conflit. Mais cela renforce également son emprise politico-administrative sur la population, l’impôt étant une interface symbolique de l’autorité publique.
Les groupes armés locaux qui se sont joints à l’armée congolaise pour combattre le M23 aggravent le problème. Appelés wazalendo (« patriotes »), ils ne sont souvent pas rémunérés et dépendent donc des paiements de la population pour soutenir leur contre-offensive. En conséquence, la fiscalité dans l’est du Congo est devenue fortement « militarisée ». Taxés par les forces gouvernementales, les wazalendo et le M23, les civils paient un lourd tribut.
La nature militaire de la gouvernance locale pourrait compromettre les efforts futurs visant à ramener la paix dans l’est de la RDC.
Qu’en est-il des minéraux ?
Le M23 a un impact sur tous les aspects de la gouvernance locale dans l’est de la RDC. Il a trouvé des moyens de contrôler et de tirer profit de l’économie locale du Nord-Kivu, notamment des chaînes d’approvisionnement en minerais. Il gère des postes de contrôle le long des artères et taxe les minerais introduits en contrebande au Rwanda, ainsi que d’autres flux commerciaux.
Le fait que le M23 contrôle les routes commerciales stratégiques en RDC, y compris celles qui traversent l’Ouganda, constitue un avantage pour le Rwanda. Du point de vue de Kigali, la résurgence du M23 en 2021 est arrivée au moment idéal pour bloquer les efforts de l’Ouganda visant à améliorer le réseau routier de l’est de la RDC vers son propre territoire. Le Rwanda et l’Ouganda sont engagés dans une concurrence intense pour le commerce informel congolais, réexportant son bois et ses minéraux comme s’ils étaient les leurs, gagnant des impôts et des revenus étrangers qui devraient profiter au Trésor et à la population congolaise.
Que faut-il faire ?
Les ressources de la RDC jouent un rôle important dans le conflit du M23, mais notre étude souligne les racines historiques du conflit et ses profondes répercussions locales. Ces résultats devraient éclairer des stratégies de résolution de conflit durables et significatives au niveau local.
Depuis la renaissance du M23, l’accès à la terre, le commerce et la sécurité sont de plus en plus souvent régis par des acteurs armés. Même après une éventuelle défaite du M23, il faudra des années de dialogue et de médiation au niveau local pour mettre fin à cette implication des milices dans la gouvernance locale, résoudre les problèmes fonciers, rétablir les relations intercommunautaires et rétablir l’autorité coutumière. Mais c’est la seule façon de parvenir à une paix durable au Nord-Kivu.
Peer Schouten
Chercheur principal, Institut danois d’études internationales
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