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Aujourd’hui, certaines âmes de l’est du pays crient plus fort que jamais leur désir de paix, à n’importe quel prix. Il ne s’agit pas de minimiser leur douleur, car leur détresse est indéniable et leur souffrance bien réelle, mais leur appel ressemble à une demande d’abdication nationale. Or, une telle concession ne serait pas sans conséquences sur toute la république. Ce dilemme ne peut être traité à la légère. Il est donc nécessaire une dissection, exposée à tous, pour que chacun en saisisse les enjeux réels et les implications profondes.
Au-delà des implications politiques et sécuritaires, certains compatriotes semblent négliger le coût économique d’un tel choix. Nul n’ignore que céder aux exigences de forces extérieures ou internes est sans garantie de stabilité qui non seulement de fragilise davantage la souveraineté nationale, mais aussi ouvre une nouvelle la porte à un ralentissement économique, où l’exploitation des ressources et des infrastructures servirait avant tout des intérêts étrangers ou privés, reléguant le développement local et le bien-être des populations au second plan.
Faisons grand saut en arrière ! En 1885, sous le prétexte d’accords de protection, Léopold II de Belgique obtint la reconnaissance de son contrôle sur le territoire congolais lors de la Conférence de Berlin, malgré l’absence de consentement véritable des populations locales. Des chefs indigènes, cherchant à éviter la guerre, à renforcer leur position face à des rivaux ou à tirer parti de nouvelles alliances, signèrent des traités dont le sens fut détourné par les colons pour justifier l’annexion et l’exploitation brutale du pays. Ces accords, souvent conclus dans des conditions opaques ou sous la contrainte, furent ensuite invoqués pour légitimer le régime du Congo Free State, marqué par l’esclavage, la violence et le pillage des ressources. La quête de paix, ce qui aurait pu être des pactes de coexistence se transforma en instruments d’asservissement, ouvrant la voie à une colonisation prédatrice qui marqua durablement l’histoire et le destin du Congo.
On ne peut pas non plus ignorer que certains Congolais ont applaudi l’assassinat de Patrice Lumumba, tout comme certains continuent encore aujourd’hui à suggérer que la colonisation fut une bonne chose car il y avait la paix. À l’époque de Joseph Kabila, un ministre avait même proposé de réinstaller la statue équestre de Léopold II sur le boulevard du 30 Juin, illustrant ainsi une certaine amnésie historique, voire une forme de complaisance envers le passé colonial.
Joseph Kabila, en son temps, avait concédé l’impensable sur le plan politico-économique, espérant acheter une stabilité tribale et régionale. Pourtant, le problème a persisté, ou du moins, pour ceux qui refusent de voir la réalité en face, il a resurgi avec une brutalité implacable. Aujourd’hui, Félix Tshisekedi après avoir tiré la queue du diable tout au début de son mandat pour des raisons que l’on ne sait logiquement justifier, se retrouve poussé vers la même impasse, alors qu’il approche inexorablement de la fin de son dernier mandat. Sous prétexte de restaurer et garantir la paix nationale et régionale, il est sommé de répéter ces concessions mortifères, encouragé par son armée d’opportunistes qui s’accolent aux vautours de la soi-disant opposition, ensemble, sous couvert de nationalisme ou de querelles tribales, ne cherchent qu’à maximiser leurs gains financiers et continuer à piller le trésor public. Peu leur importe que les nations étrangères nous saignent à blanc.
En acceptant cette logique, Felix Tshisekedi prépare le terrain pour que le prochain président, issu des élections de 2028, se retrouve pris dans le même piège, forcé de céder au même chantage, simplement sous un nouveau camouflage.
Non seulement on pouvait prévenir, mais aussi guérir
Dès le début de 2019, au commencement du premier mandat de Félix Tshisekedi, je n’ai cessé de répéter que le problème de l’Est du pays était avant tout socio-économique, bien plus qu’un simple enjeu sécuritaire. Tandis que le président Tshisekedi martelait qu’il fallait neutraliser les groupes armés, j’ai toujours soutenu que la véritable solution passait par une approche centrée sur le développement économique. Il ne s’agit pas uniquement de traquer les milices, mais de transformer structurellement la région en y injectant des investissements massifs dans des programmes de développement.
Une telle démarche rendrait l’Est plus attractif, stimulerait la création d’emplois et favoriserait l’émergence d’une nouvelle dynamique socio-économique, éloignant ainsi progressivement les populations et les jeunes désœuvrés de l’engrenage de la guerre.
Depuis des décennies, on fait la guerre jour après jour, et pourtant, la situation reste inchangée. Il est temps d’admettre qu’on ne peut pas imposer la paix par la force, mais qu’un développement économique structuré peut être un catalyseur puissant pour sa restauration durable. C’est exactement ce que proposait le « Plan Jo Sekimonyo » : une armada économique visant à asphyxier l’écosystème qui nourrit et alimente les groupes armés, sourtout en terme de ressource humaine. Mais le régime Tshisekedi a totalement ignoré cet appel. Et où en sommes-nous aujourd’hui ?
Ironie du sort : Tshisekedi ne fait que valider les revendications des mécènes et des pions de bourreaux
La récente sortie médiatique de Joseph Kabila, aussi piteuse sur la forme que faible sur le fond, a laissé perplexes bon nombre d’observateurs. Son exposé, qui semblait converger vers la même ligne que celle du M23, a provoqué un profond dégoût chez la population congolaise. Voir un ancien chef d’État adopter une posture qui, de près ou de loin, semble légitimer les exactions du M23-RDF et leur agenda destructeur est une insulte à la mémoire des victimes.
Mais ce qui est encore plus troublant, c’est que Félix Tshisekedi, par ses propres actions, ne fait que confirmer implicitement qu’ils n’avaient pas complètement tort. En d’autres termes, sa gestion chaotique de la crise, le sabotage des opportunités économiques du pays et son incapacité à protéger les Congolais donnent l’impression que les revendications de Nangaa et consorts reposent sur une certaine logique. Ce paradoxe tragique renforce l’idée que les crimes du M23 seraient, d’une manière ou d’une autre, justifiés ou légitimes, une perception qui alimente un dangereux sentiment d’impunité.
La libération de figures comme Kabund, Kikuni et d’autres, avant même qu’ils n’aient purgé leur peine, ne fait que confirmer une vérité évidente : ces opposants étaient des prisonniers politiques, enfermés non pas pour des délits avérés, mais parce qu’ils représentaient une menace pour le pouvoir en place. Il est certain que personne ne doit être injustement maintenu en détention, mais le contexte autour de laquelle ces libérations se sont produites souligne à quel point leur incarcération relevait davantage de la répression politique que de la justice.
Ajoutons à cela l’appel précipité de Tshisekedi à un gouvernement d’« union nationale », une offre immédiatement rejetée par l’opposition. Cette maladresse démontre qu’il a fait cette annonce sans s’assurer au préalable de son acceptation, ce qui traduit une fébrilité politique inquiétante. Plus grave encore, cette initiative purement politique renforce l’idée qu’il reconnait implicitement ne pas obtenu réellement le mandat populaire, que sa majorité parlementaire est artificielle, et, pire encore, que les élections récentes ont bel et bien été truquées.
Enfin, ce qui rend cette situation encore plus cynique, c’est que, bien que le M23-RDF n’ait pris que quelques parties du Nord-Kivu et du Sud-Kivu sans contrôler l’ensemble des provinces, aussi bien ses partisans que ses adversaires en viennent à suggérer que Tshisekedi devrait s’agenouiller devant eux. Or, à travers ses décisions et prises de position, il donne l’impression non seulement de se voir en position de faiblesse, mais aussi d’être résigné, comme s’il considérait cette capitulation comme inévitable. En d’autres termes, son attitude conforte cette vision humiliante d’une RDC dirigée non par un chef d’État pleinement maître de son autorité, mais par un président acculé, entrain de paniqué, enfermé dans une posture défensive permanente, oscillant entre les contradictions de son propre régime et la pression implacable des intrigues politiques. A-t-il vraiment un cabinet de conseillers ?
Tabula Rasa : repenser l’échiquier
La RDC est une nation prise dans un enchevêtrement perpétuel d’intrigues internationales et de drames nationaux, où beaucoup perçoivent des opportunités d’enrichissement et de pouvoir. Mais cette quête effrénée aboutit souvent à une illusion d’opulence, un mirage qui disparaît aussitôt que celui qui en profite est éjecté du cercle du pouvoir. Cette précarité du privilège alimente un système toxique où certains, par peur de perdre leurs avantages, s’acharnent à maintenir un environnement économique délétère, juste pour se donner une nouvelle chance de remonter en selle.
Ceci c’est pour dire que le problème fondamental auquel la nation congolaise est confrontée depuis peu après son indépendance, souvent sous la forme de conflits armés violents et sanglants, résulte directement d’une approche ratée de l’économie politique du développement. Cette défaillance a permis aux opportunistes et imposteurs de toutes sortes de privilégier la force brute et l’usage des armes au détriment de la réflexion stratégique et la démocratie.
Malheureusement, comme je l’ai souvent souligné, dès qu’il y a pénurie, par exemple lorsqu’on introduit un petit sac de riz dans un camp de réfugiés surpeuplé, les instincts de survie les plus primitifs se réveillent. Dans un tel contexte, les opportunistes et manipulateurs en profitent pour pousser les gens à se regrouper en factions hiérarchisées, ou, pour utiliser une autre métaphore, les « loups » forcent les « agneaux » à s’aligner derrière eux. Dans le cas de la RDC, cette dynamique se traduit par le tribalisme.
En d’autres termes, la crise sociale et sécuritaire actuelle n’est qu’un symptôme d’une économie politique défaillante et non la maladie elle-même. Continuer à cibler uniquement ces symptômes, comme on le fait souvent, ne fait que prolonger la crise, voire l’aggraver, tout en profitant aux acteurs parasites parmi nous : ces « entrepreneurs politiques primitifs » que l’on appelle « notables » ou « leaders ».
Heureusement, malgré l’enlisement du conflit à l’Est, une prise de conscience grandit parmi les économistes politiques et les penseurs congolais modernes : la véritable paix ne viendra que par une transformation économique profonde et durable de la nation. C’est un pas dans la bonne direction, mais un obstacle majeur demeure : la RDC a besoin d’un régime qui place le développement au cœur de son action, et non d’un pouvoir obsédé par sa seule survie et la conservation de ses privilèges.
Or, le régime Tshisekedi n’a montré aucun appétit pour poser les bases d’un tel changement. De son côté, Nangaa ne possède aucun levier réel pour impulser un tel changement ; sa seule préoccupation, à ce stade, est de savoir si ses alliés rwandais lui permettront d’atteindre Kinshasa vivant, que ce soit en conquérant ou en perdant. Quant à Joseph Kabila, son récent retour sur la scène médiatique révèle une chose claire : il n’a ni mûri dans la compréhension des enjeux économiques du pays, ni développé la lucidité nécessaire pour décrypter les véritables causes du déclin congolais.
Il revient donc au peuple congolais de trier le bon grain de l’ivraie et d’extirper les mauvaises herbes du paysage politique. Le véritable enjeu ne se limite pas à un simple changement de figure à la tête de l’État, mais exige une refonte profonde des règles du jeu politique. Idéalement, cela devrait passer par une nouvelle Constitution ; à défaut, une réforme électorale ambitieuse est un minimum indispensable.
Dans cette perspective, il est impératif d’abolir le système des cautions financières, qui réserve l’accès aux élections à une élite fortunée et exclut de facto les candidats issus du peuple. À la place, il faut instaurer un système de parrainage citoyen, basé sur un nombre significatif de signatures, garantissant ainsi une représentation plus démocratique et inclusive. De plus, il est essentiel de bannir le vote indirect et les listes fermées, des mécanismes qui ne servent qu’à perpétuer l’oligarchie en place et à verrouiller l’alternance. Sans ces réformes, toute ambition de changement restera une illusion, une simple variation sur le même thème de la confiscation du pouvoir.
Enfin, à ceux qui rêvent d’un retour à la dictature, qu’ils comprennent que la véritable démocratie est, en essence, une dictature : celle de la majorité. Une dictature du grand nombre, non pas pour imposer un homme providentiel, mais pour instaurer une vision collective de l’avenir, un cadre structuré où l’amélioration des conditions de vie et l’essor économique de la nation deviennent des impératifs inévitables. Toute autre approche ne serait qu’une énième mascarade, un recyclage des mêmes élites prédatrices, perpétuant un système où seuls quelques-uns prospèrent pendant que la majorité continue de survivre dans la misère.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits des humains et écrivain
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