Alors que Félix Tshisekedi, à court de temps pour inscrire au moins un succès à son palmarès, commence enfin à pimenter ses phantasmes de développement économique pour la RDC dans la bonne direction avec des mesures affichant, ironie du sort, une étonnante ressemblance avec les 6 points énoncées dans mon menu économique de 2023, l’annonce de la présence de Joseph Kabila à Goma a soudainement fait exploser le décor. Son discours l’expo béton, bien que préparé pour résister aux critiques, a été enseveli sous un véritable feu d’artifice de spéculations. Les membres du gouvernement autrefois plébiscités comme porte‑étendards du renouveau sont réduits à de simples tireurs à gages engagés dans un véritable « tir à volonté » politico‑judiciaire contre son prédécesseur.
Or, chaque boomerang politique influe directement sur la croissance, la stabilité et les espoirs des Congolais. Il ne devrait pas s’agir de débattre des épithètes flatteuses ou injurieuses que mérite Joseph Kabila, quantifier l’énergie libérée par la riposte de l’équipe Tshisekedi, mais plutôt d’évaluer ce que la magnitude de ce clash déstabilisant pour la nation. Et le fait que le choc de la présence même de Kabila à Goma produit des spéculations sur ses intentions réelles enflamme le trauma que la nation continue d’endurer, d’une forme à la fois sociale, politique et surtout économique, révèle surtout le vide stratégique de tous les camps politiques congolais, incapables de proposer une feuille de route économique cohérente pour sortir la RDC de l’impasse.
Toutefois, par sa récente interview explosive accordée à un média sud-africain, Joseph Kabila avait réussi à reprendre une position dominante, allant au-delà du simple statut honorifique qui lui était jusqu’ici attribué. Mais le réflexe quasi-paniqué du camp « Béton », l’a élevé comme l’architecte des grandes manœuvres politiques du pays. En somme, Kabila retrouve son statut de véritable chef d’orchestre de la vie politique congolaise, avec plein pouvoir de redéfinir le jeu des alliances et des conflits de pouvoir. Cela n’aurait pas dû être le cas.
Bouba le petit ourson
Dès le début, en 2019 déjà, j’avais critiqué ouvertement le pacte FCC-CACH, dénonçant ce mariage politique comme une machine antidémocratique, qui allait étouffer l’élan économique de la RDC sous un vernis de légitimité factice. À l’époque, j’avais même conseillé aux partisans de Kabila de rompre en premier cette alliance de circonstance avec le duo improvisé Tshisekedi‑Kamerhe. Mon argument se voulait apolitique et fondée sur des considérations purement économiques politiques, qu’un affrontement ouvert entre un président obsédé de prouver la sincérité du slogan « le peuple d’abord » et une coalition parlementaire désireuse de faire valoir son influence aurait contraint chacun à placer l’intérêt national au cœur de ses manœuvres.
Au lieu de tenir compte de cet avertissement, les kabilistes, persuadés de leur ont sombré dans une arrogance démesurée. Ils ont rapidement découvert avec stupeur que Félix Tshisekedi, qu’ils pensaient incapable de monter un seul tour de passe‑passe politique, savait en réalité les rouler et enrouler. Démontrant son appétit du pouvoir plus loin, Félix Tshisekedi a même réussi à placer Vital Kamerhe, qui se proclamait cogestionnaire de la nation, dans une posture de totale faiblesse.
A son tour, la plus grande erreur de Tshisekedi a été de traiter Kabila comme une bête sauvage à traquer et éliminer plutôt qu’un fauve à domestiquer. Quand le M23‑RDF a rouvert les hostilités, soi-disant furieux du non‑respect des accords secrets entre eux et le camp Tshisekedi, et que Nangaa a choisi de les joindre pour sauver sa peau, l’occasion était idéale pour designer publiquement Kabila comme négociateur en chef. Le placer à la table des discussions, c’eût été de le transformer en esclave de la nation et abuser son influence en gage de paix et de stabilité régionale.
Au lieu de cela, en le campant en porte‑étendard de la « barbarie » M23-AFC, ils ont purement et simplement transféré tout le risque politique sur ses épaules, piégeant la RDC dans une guerre de clans impitoyable.
Échec et mat ?
Qu’importe que Joseph Kabila n’ait jamais vraiment posé le pied à Goma ou que son apparition ait été un simple coup de théâtre improvisé, il en ressort avec un avantage décisif sur tous les autres protagonistes. En s’immisçant au cœur de cette crise, il a transformé un instant d’incertitude en opportunité d’amplifier son influence politique, non seulement à l’échelle nationale, mais aussi régionale, et même sur l’échiquier international. A ce point, la question n’est plus de savoir s’il agira, mais de deviner quelle pièce il jouera pour consolider, voire accroître, cet avantage, ou celle qui, mal jouée, pourrait lui faire perdre tout son avantage.
Tous les acteurs de cette nouvelle péripétie, de la présidence aux bancs du Parlement, des chefs militaires aux dirigeants des groupes armés, sans oublier les régimes de Kigali et de Kampala ainsi que les multinationales implantées dans la région, se retrouvent, de près ou de loin, pris dans les filets tissés par Kabila. N’oublions pas que son long règne lui a non seulement permis d’amasser une immense fortune, mais aussi de forger un solide réseau d’alliances et de clientèles, qui continue d’influencer, formellement ou informellement, chaque décision du pays. Même ceux qui se déclarent ouvertement contre lui restent marqués par des liens tissés jadis.
Sur un plan purement tactique, le sénateur à vie pourrait aisément s’imposer comme médiateur entre le régime Tshisekedi et le trio M23-AFC-Rwanda, transformant son influence en légitimité formelle. Il pourrait également nouer des accords de circonstance avec des frondeurs ou des barons provinciaux, intensifiant la pression sur Felix Tshisekedi pour obtenir d’importantes concessions de tous parts. Chacune de ces manœuvres lui permettrait de valoriser son capital politique résiduel et de reconquérir les leviers du pouvoir.
Ce qui rend ses scenarios redoutables, c’est leur caractère souterrain pour projeter son influence sans jamais remettre officiellement les rênes entre ses mains. Dans cette partie d’échecs à haut risque, l’« échec et mat » tant redouté ne se traduira pas par la chute spectaculaire d’un roi sur l’échiquier ou la mort du parti au pouvoir, l’UDPS, mais par des réalignements discrets, des tractations en coulisses et des silences stratégiques.
Rompre l’impasse stratégique
Pour sortir de ce piège politico-stratégique, Félix Tshisekedi pourrait envisager un « reset » démocratique par la dissolution de l’Assemblée nationale et la convocation d’élections anticipées, obligeant ainsi tous les acteurs à négocier un nouvel équilibre politique, plus en phase avec les réalités socio-économiques actuelles.
Parallèlement, le président pourrait emprunter mon projet de révision de la Constitution pour remodeler la répartition des compétences entre le pouvoir central et les provinces. Il enverrait un signal fort de renouvellement institutionnel. Ce procédé ne serait pas qu’un geste symbolique, il conditionnerait la redistribution des rentes politiques, rééquilibrerait les réseaux de patronage et créerait un nouvel équilibre de forces en sa faveur.
Si ces manœuvres semblent trop spectaculaires ou risquées, une troisième voie moins brutale consisterait à transformer Joseph Kabila en partenaire stratégique plutôt qu’en adversaire. En lui confiant le rôle de « négociateur en chef » pour piloter les discussions avec le M23‑RDF‑AFC, Tshisekedi ferait de celui qui est aujourd’hui son principal rival un « agent » de ses propres politiques. Cette cooptation libère le gouvernement de la menace d’une opposition frontale et transforme le capital relationnel de Kabila en un levier pour accélérer la mise en œuvre des réformes.
Dans chacun de ces scénarios, il ne s’agit pas de jouer une partie à somme nulle où quelqu’un perd pour que l’autre gagne, mais bien d’opérer une reconfiguration du pouvoir politique. Ainsi, Tshisekedi peut briser l’étau qui le maintien captif de son clan familial et politique, alliés comme adversaires.
Verdict ?
Le débat n’est pas tant de juger la personne de Kabila que de questionner l’impact concret de son retour potentiel sur la politique économique de la RDC et sur la qualité de vie des Congolais. Héros ou vilain, ce sont avant tout ses choix et leurs retombées qui décideront de son rôle dans l’histoire du pays À Joseph Kabila désormais de décider de nous surprendre en s’élevant enfin au rang d’homme d’État visionnaire, ou nous décevoir une fois de plus en se contentant d’un rôle d’acteur périssable d’une époque en déclin.
Quelle que soit l’issue, les Congolais sont les grands perdants, comme toujours. Enlisés dans la tourmente de ces jeux d’alliances, ils continuent à verser une rançon économique et sociale inimaginable, balayée par le vent d’un espoir de prospérité collective pendant qu’un petit nombre des cliques jouissent de l’illusion d’opulence. Pire encore, sans la moindre consultation populaire, Felix Tshisekedi cherche sceller un pacte avec l’administration Trump qui poserait les jalons d’une mise en gage du patrimoine national et hypothèque l’avenir de la nation sous couvert de « sécurité » dont une assurance profiterait davantage sans doute aucun doute au régime, briser son l’humiliation, qu’au peuple.
Jusqu’à ce que les Congolais affranchissent les règles et les systèmes de sélection dans l’architecture de nos institutions politiques de ses motives initiales primitives, même auréolé d’un vernis démocratique, les joutes politiques ne seront qu’une danse d’intérêts particuliers, de stratégies tribales et de calculs politiques, reléguant les véritables urgences du développement au rang de mirage. Dans ce théâtre de l’absurde, la RDC continuera d’assister, impuissante, à l’écriture de son destin où la population, elle, n’aura jamais la main gagnante.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits des humains et écrivain