Ce qui se passe à l’Est est humainement et moralement inacceptable. Au-delà des condamnations et des appels à la mobilisation générale pour défendre l’intégrité territoriale du pays, ceci doit aussi être une occasion pour réfléchir sans passion sur la responsabilité de chaque congolais vis-à-vis de la question de la sécurité nationale du pays. Comme je l’ai dit dans une autre tribune, nous congolais devons savoir qu’il n’y a aucun scénario où nous allons accéder au développement par la médiocrité là où les autres l’ont obtenu par l’excellence.
Les américains disent « Garbage in, garbage out » : si vous faites entrer des ordures en amont, il n’en sortira que des ordures en aval ! Sans minimiser le caractère belliqueux de certains de nos voisins, nous devons aussi reconnaitre que ce qui se passe à l’Est du pays est le résultat d’une accumulation continue des mauvaises décisions et d’incompétences à tous les niveaux sur une longue période.
Une vision holistique de sécurité nationale
En pratique, la sécurité nationale est principalement associée à la gestion des menaces physiques et aux capacités militaires utilisées à cette fin. C’est-à-dire que la sécurité nationale est souvent comprise comme la capacité d’une nation à mobiliser des forces militaires pour garantir ses frontières et pour dissuader ou se défendre avec succès contre les menaces physiques, y compris l’agression militaire et les attaques d’acteurs non étatiques, tels que le terrorisme.
La plupart des États, comme l’Afrique du Sud et la Suède, configurent leurs forces militaires principalement pour la défense territoriale ; d’autres, comme la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis, investissent dans des capacités expéditionnaires plus coûteuses, qui permettent à leurs forces armées de projeter leur puissance et de soutenir des opérations militaires à l’étranger. Mais le concept de sécurité nationale touche plusieurs domaines de la vie d’une nation et ne se limite pas à la seule réforme de l’armée ou l’acquisition des équipements militaires. Elle englobe les secteurs tels que :
La sécurité nationale d’un pays doit première reposer sur des valeurs d’excellence.
Comme signale plus haut, la sécurité nationale comprend plusieurs domaines. Il s’en suit donc que les congolais doivent savoir que la première ligne de défense du pays ce sont les valeurs que nous adoptons en tant que nation, en tant que peuple. Du chef coutumier jusqu’au Président de la République, nous devons désormais nous demander si notre comportement aussi bien individuel que collectif participe à la sécurité nationale. Lorsqu’on nomme une personne qui n’est pas qualifiée à une position d’autorité, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on organise la tricherie dans le système éducatif, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on triche aux élections, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on vole l’argent de l’état, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on se comporte de manière immorale alors qu’on occupe une position d’autorité, on met le pays en insécurité. Etc.
Les experts sont unanimes, la stratégie de sécurité nationale doit tenir compte des valeurs d’une nation et les renforcer afin de hiérarchiser adéquatement les menaces et les intérêts. Souvent, ce reflet des valeurs se fait implicitement ou indirectement par la formulation d’objectifs, puisque le but du document n’est pas de publier une liste complète et explicite des valeurs nationales, mais plutôt d’articuler un plan d’action à l’appui de ces valeurs.
Les valeurs nationales sont généralement conceptuelles au sens large et ne changent pas substantiellement, sauf à long terme; Ils sont l’essence qui évolue lentement du caractère d’une nation. Une stratégie de sécurité nationale qui n’est pas suffisamment liée aux valeurs nationales sera difficile à mettre en œuvre parce que 1) elle ne sera probablement pas facilement comprise par les éléments du gouvernement chargés de la mettre en œuvre; 2) la nation n’aura probablement pas de ressources ou structures gouvernementales adéquates pour la soutenir; et 3) les priorités qu’elle contient ne refléteront pas fidèlement ce qui est réellement nécessaire pour sauvegarder la nation.
En RDC, plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer le niveau plutôt faible de notre sécurité à tous les niveaux, mais je pense qu’en tant que peuple, nous nous sommes collectivement éloignés des valeurs qui ont permis à d’autres nations de forger le parcours de leur développement souvent dans des conditions beaucoup moins favorables que les nôtres. En effet, lorsqu’on analyse le parcours de développement des pays occidentaux ou des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), il y a une constance autour de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Ces valeurs constituent le socle qui garantit la formation des institutions capables d’utiliser de manière efficiente les ressources disponibles en vue de produire un niveau acceptable de bien-être pour la majorité de citoyens et surtout de protéger leurs nations.
En RDC, il semble que collectivement nous ayons choisi de nous détourner de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Certes, il y a eu ici et là quelques individus qui se sont illustrés, des fois au péril de leurs vies, dans la défense de ces valeurs. A cause de ce gap de valeurs, nous avons produit des institutions qui sont incapables non seulement de protéger la nation, mais aussi de transformer de manière continue les immenses ressources naturelles en opportunité de développement pour le plus grand nombre. Nous nous sommes retranchés dans les valeurs d’appartenance aux « clubs » qui n’exigent aucun effort d’excellence : ressortissants de …, anciens de…, amis de…, etc.
Il y a certainement beaucoup à dire sur chacune de ces valeurs. Considérons par exemple l’expertise, particulièrement le cas du secteur de l’enseignement, comment est-ce que nous pouvons prétendre à l’excellence si le processus de recrutement de nos enseignants ainsi que leur promotion, de l’école maternelle à l’université, n’est pas compétitif ?
En réalité, il n’y a aucune garantie que ceux qui enseignent nos enfants aujourd’hui sont les plus qualifiés dans leurs domaines car le système actuel n’incite pas à la performance. Pour s’en rendre compte, il suffit de demander la liste des professeurs d’université avec des publications (pendant les 5 dernières années) dans les revues reconnues mondialement dans leurs domaines respectifs.
Il en est de même de la sphère politique ; combien de nos partis politiques disposent des experts qui suivent régulièrement les domaines importants de la vie nationale (santé, éducation, énergie, eau, agriculture, etc.) ? La conséquence est que très peu de nos « excellences » peuvent prétendre à une carrière dans une institution internationale ou même dans une entreprise privée de renommée internationale. De même, les opposants s’opposent plus aux personnes qu’aux idées ou stratégies de développement. J’essaies de comprendre pourquoi nous (congolais) avons choisi une option de service public qui exclut systématiquement la discipline, l’excellence et la bonne gouvernance ? Qu’est-ce que nous gagnons en tant que pays à promouvoir des hommes et des femmes sans aucune histoire de performance ?
Beaucoup de questions que nous devons avoir le courage de répondre avant de prétendre à une quelconque grandeur. Et les faits a l’Est du pays prouvent combien nos comportements individuels et collectif mettent le pays dans une situation ou nous devons supplier la communauté internationale pour intervenir dans un conflit que nous devrions être en mesure de régler nous-mêmes si nous avions des institutions à la hauteur.
La sécurité nationale comme le développement ne « s’espère pas », elle se construit. Mais elle ne se construit qu’à partir des institutions et normes fondées sur l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Il est donc de la responsabilité de l’élite congolaise de montrer le chemin. L’histoire des nations nous enseigne que la cohésion nationale autour des leaders politiques est par nature éphémère et son « bénéfice » se limite souvent à un groupe d’individus, mais c’est la cohésion nationale autour des valeurs qui forge le chemin d’un développement durable et par conséquent de la sécurité nationale.
Dr. John M. Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
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