RDC : il est temps de bâtir la sécurité nationale sur les valeurs d’excellence (Tribune de Dr. John M. Ulimwengu)

Ce qui se passe à l’Est est humainement et moralement inacceptable. Au-delà des condamnations et des appels à la mobilisation générale pour défendre l’intégrité territoriale du pays, ceci doit aussi être une occasion pour réfléchir sans passion sur la responsabilité de chaque congolais vis-à-vis de la question de la sécurité nationale du pays. Comme je l’ai dit dans une autre tribune, nous congolais devons savoir qu’il n’y a aucun scénario où nous allons accéder au développement par la médiocrité là où les autres l’ont obtenu par l’excellence.

Les américains disent « Garbage in, garbage out » : si vous faites entrer des ordures en amont, il n’en sortira que des ordures en aval ! Sans minimiser le caractère belliqueux de certains de nos voisins, nous devons aussi reconnaitre que ce qui se passe à l’Est du pays est le résultat d’une accumulation continue des mauvaises décisions et d’incompétences à tous les niveaux sur une longue période.

Une vision holistique de sécurité nationale

En pratique, la sécurité nationale est principalement associée à la gestion des menaces physiques et aux capacités militaires utilisées à cette fin.  C’est-à-dire que la sécurité nationale est souvent comprise comme la capacité d’une nation à mobiliser des forces militaires pour garantir ses frontières et pour dissuader ou se défendre avec succès contre les menaces physiques, y compris l’agression militaire et les attaques d’acteurs non étatiques, tels que le terrorisme.

La plupart des États, comme l’Afrique du Sud et la Suède, configurent leurs forces militaires principalement pour  la défense territoriale ; d’autres, comme la France, la Russie, le Royaume-Uni et les États-Unis, investissent dans des capacités expéditionnaires plus coûteuses, qui permettent à leurs forces armées de projeter leur puissance et de soutenir des opérations militaires à l’étranger. Mais le concept de sécurité nationale touche plusieurs domaines de la vie d’une nation et ne se limite pas à la seule réforme de l’armée ou l’acquisition des équipements militaires. Elle englobe les secteurs tels que :

  1. Sécurité de l’infrastructure. La sécurité des infrastructures est la sécurité pour protéger les infrastructures, en particulier les infrastructures critiques, telles que les aéroports, les autoroutes, le transport ferroviaire, les hôpitaux, les ponts, les centres de transport, les communications réseau, les médias, le réseau électrique, les barrages, les centrales électriques, les ports maritimes, les raffineries de pétrole et les systèmes d’eau. La sécurité des infrastructures vise à limiter la vulnérabilité de ces structures et systèmes au sabotage, au terrorisme et à la contamination.  De nombreux pays ont créé des agences gouvernementales chargées de gérer directement la sécurité des infrastructures critiques,  car l’infrastructure critique est vitale pour le fonctionnement essentiel d’un pays. Les dommages accidentels ou délibérés peuvent avoir de graves répercussions sur l’économie et les services essentiels.
  2. Sécurité informatique. La sécurité informatique, également connue sous le nom de cybersécurité ou sécurité informatique, fait référence à la sécurité des appareils informatiques tels que les ordinateurs et les smartphones, ainsi que des réseaux informatiques tels que les réseaux privés et publics et Internet. Il concerne la protection du matériel, des logiciels, des données, des personnes, ainsi que les procédures d’accès aux systèmes, et le domaine a une importance croissante en raison de la dépendance croissante à l’égard des systèmes informatiques dans la plupart des sociétés.  Étant donné que l’accès non autorisé aux infrastructures civiles et militaires essentielles est désormais considéré comme une menace majeure, le cyberespace est désormais reconnu comme un domaine de guerre. Un exemple en est l’utilisation de Stuxnet par les États-Unis et Israël contre le programme nucléaire iranien.
  3. Sécurité économique. La sécurité économique, dans le contexte des relations internationales, est la capacité d’un État-nation à maintenir et à développer l’économie nationale, sans laquelle d’autres dimensions de la sécurité nationale ne peuvent être gérées. La capacité économique détermine en grande partie la capacité  de défense d’une nation  , et donc une économique saine influence directement la sécurité nationale d’une nation. C’est pourquoi nous voyons des pays dotés d’une économie saine, sont  également dotés d’une configuration de sécurité solide, tels que les États-Unis, la Chine, l’Inde, entre autres. Dans les grands pays, les stratégies de sécurité économique s’attendent à accéder aux ressources et aux marchés d’autres pays et à protéger leurs propres marchés nationaux.
  4. Sécurité écologique. La sécurité écologique, également connue sous le nom de sécurité environnementale, fait référence à l’intégrité des écosystèmes et de la biosphère, en particulier en ce qui concerne leur capacité à soutenir une diversité de formes de vie (y compris la vie humaine). La sécurité des écosystèmes a attiré davantage l’attention à mesure que l’impact des dommages écologiques causés par l’homme s’est accru.  La dégradation des écosystèmes, y compris l’érosion de la couche arable, la déforestation, la perte de biodiversité et le changement climatique, affecte la sécurité économique et peut précipiter des mouvements migratoires, entraînant une pression accrue sur les ressources ailleurs. La sécurité écologique est également importante puisque la plupart des pays du monde sont en développement et dépendent de l’agriculture et que l’agriculture est largement affectée par le changement climatique. Cet effet affecte l’économie de la nation, qui à son tour affecte la sécurité nationale.
  5. Sécurité de l’énergie et des ressources naturelles. Les ressources comprennent l’eau, les sources d’énergie, la terre et les minéraux. La disponibilité de ressources naturelles adéquates est importante pour qu’une nation puisse développer son industrie et sa puissance économique. Par exemple, lors de la guerre du golfe Persique de 1991, l’Irak s’est emparé du Koweït en partie pour sécuriser l’accès à ses puits de pétrole, et l’une des raisons de la contre-invasion américaine était la valeur des mêmes puits pour sa propre économie. Les ressources en eau font l’objet de différends entre de nombreux pays, dont l’Inde et le Pakistan, et au Moyen-Orient.  Les interrelations entre la sécurité, l’énergie, les ressources naturelles et leur durabilité sont de plus en plus reconnues dans les stratégies de sécurité nationale et la sécurité des ressources fait désormais partie des objectifs de développement durable des Nations Unies. Aux États-Unis, par exemple, l’armée a installé des micro-réseaux solaires photovoltaïques sur leurs bases en cas de panne de courant.

La sécurité nationale d’un pays doit première reposer sur des valeurs d’excellence.

Comme signale plus haut, la sécurité nationale comprend plusieurs domaines. Il s’en suit donc que les congolais doivent savoir que la première ligne de défense du pays ce sont les valeurs que nous adoptons en tant que nation, en tant que peuple. Du chef coutumier jusqu’au Président de la République, nous devons désormais nous demander si notre comportement aussi bien individuel que collectif participe à la sécurité nationale. Lorsqu’on nomme une personne qui n’est pas qualifiée à une position d’autorité, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on organise la tricherie dans le système éducatif, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on triche aux élections, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on vole l’argent de l’état, on met le pays en insécurité. Lorsqu’on se comporte de manière immorale alors qu’on occupe une position d’autorité, on met le pays en insécurité. Etc.

Les experts sont unanimes, la stratégie de sécurité nationale doit tenir compte des valeurs d’une nation et les renforcer afin de hiérarchiser adéquatement les menaces et les intérêts. Souvent, ce reflet des valeurs se fait implicitement ou indirectement par la formulation d’objectifs, puisque le but du document n’est pas de publier une liste complète et explicite des valeurs nationales, mais plutôt d’articuler un plan d’action à l’appui de ces valeurs.

Les valeurs nationales sont généralement conceptuelles au sens large et ne changent pas substantiellement, sauf à long terme; Ils sont l’essence qui évolue lentement du caractère d’une nation. Une stratégie de sécurité nationale qui n’est pas suffisamment liée aux valeurs nationales sera difficile à mettre en œuvre parce que 1) elle ne sera probablement pas facilement comprise par les éléments du gouvernement chargés de la mettre en œuvre; 2) la nation n’aura probablement pas de ressources ou structures gouvernementales adéquates pour la soutenir; et 3) les priorités qu’elle contient ne refléteront pas fidèlement ce qui est réellement nécessaire pour sauvegarder la nation.

En RDC, plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer le niveau plutôt faible de notre sécurité à tous les niveaux, mais je pense qu’en tant que peuple, nous nous sommes collectivement éloignés des valeurs qui ont permis à d’autres nations de forger le parcours de leur développement souvent dans des conditions beaucoup moins favorables que les nôtres.  En effet, lorsqu’on analyse le parcours de développement des pays occidentaux ou des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud), il y a une constance autour de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Ces valeurs constituent le socle qui garantit la formation des institutions capables d’utiliser de manière efficiente les ressources disponibles en vue de produire un niveau acceptable de bien-être pour la majorité de citoyens et surtout de protéger leurs nations.

En RDC, il semble que collectivement nous ayons choisi de nous détourner de l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Certes, il y a eu ici et là quelques individus qui se sont illustrés, des fois au péril de leurs vies, dans la défense de ces valeurs. A cause de ce gap de valeurs, nous avons produit des institutions qui sont incapables non seulement de protéger la nation, mais aussi de transformer de manière continue les immenses ressources naturelles en opportunité de développement pour le plus grand nombre. Nous nous sommes retranchés dans les valeurs d’appartenance aux « clubs » qui n’exigent aucun effort d’excellence : ressortissants de …, anciens de…, amis de…, etc.

Il y a certainement beaucoup à dire sur chacune de ces valeurs. Considérons par exemple l’expertise, particulièrement le cas du secteur de l’enseignement, comment est-ce que nous pouvons prétendre à l’excellence si le processus de recrutement de nos enseignants ainsi que leur promotion, de l’école maternelle à l’université, n’est pas compétitif ?

En réalité, il n’y a aucune garantie que ceux qui enseignent nos enfants aujourd’hui sont les plus qualifiés dans leurs domaines car le système actuel n’incite pas à la performance. Pour s’en rendre compte, il suffit de demander la liste des professeurs d’université avec des publications (pendant les 5 dernières années) dans les revues reconnues mondialement dans leurs domaines respectifs.

Il en est de même de la sphère politique ; combien de nos partis politiques disposent des experts qui suivent régulièrement les domaines importants de la vie nationale (santé, éducation, énergie, eau, agriculture, etc.) ? La conséquence est que très peu de nos « excellences » peuvent prétendre à une carrière dans une institution internationale ou même dans une entreprise privée de renommée internationale. De même, les opposants s’opposent plus aux personnes qu’aux idées ou stratégies de développement.  J’essaies de comprendre pourquoi nous (congolais) avons choisi une option de service public qui exclut systématiquement la discipline, l’excellence et la bonne gouvernance ? Qu’est-ce que nous gagnons en tant que pays à promouvoir des hommes et des femmes sans aucune histoire de performance ?

Beaucoup de questions que nous devons avoir le courage de répondre avant de prétendre à une quelconque grandeur. Et les faits a l’Est du pays prouvent combien nos comportements individuels et collectif mettent le pays dans une situation ou nous devons supplier la communauté internationale pour intervenir dans un conflit que nous devrions être en mesure de régler nous-mêmes si nous avions des institutions à la hauteur.

La sécurité nationale comme le développement ne « s’espère pas », elle se construit. Mais elle ne se construit qu’à partir des institutions et normes fondées sur l’expertise, l’intégrité et l’amour de la patrie. Il est donc de la responsabilité de l’élite congolaise de montrer le chemin. L’histoire des nations nous enseigne que la cohésion nationale autour des leaders politiques est par nature éphémère et son « bénéfice » se limite souvent à un groupe d’individus, mais c’est la cohésion nationale autour des valeurs qui forge le chemin d’un développement durable et par conséquent de la sécurité nationale.

Dr. John M. Ulimwengu

Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)

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