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Pris dans son ensemble, l’accord institue une stratégie de croissance résolument structurée autour des minerais critiques. Les infrastructures, l’énergie, certaines réformes de gouvernance et des initiatives circonscrites de renforcement des capacités y sont mobilisées avant tout pour sécuriser, rationaliser et optimiser des chaînes de valeur extractives alignées sur des objectifs d’approvisionnement, commerciaux et de sécurité nationale des États-Unis. Le développement y apparaît moins comme un projet national autonome que comme une variable dérivée de la sécurisation de l’extraction.
Cette orientation se confirme dans la formulation même des objectifs. L’ensemble du dispositif ancre systématiquement le développement économique autour du secteur minier, tandis que les secteurs dits complémentaires, énergie, infrastructures, transport, technologie ou industrialisation, ne sont envisagés que dans la mesure où ils soutiennent l’extraction, la transformation ou la sécurisation des chaînes d’approvisionnement minières. Même lorsque les notions de développement économique, de prospérité ou d’industrialisation sont mobilisées, elles ne sont jamais définies indépendamment du secteur extractif. D’un point de vue d’économie politique, cette configuration n’est ni neutre ni accidentelle.
À cela s’ajoute un élément institutionnel particulièrement préoccupant. Indépendamment même du contenu de l’accord, la manière dont il est présenté et défendu pose une question démocratique majeure. Aucune délibération sérieuse n’a été engagée sur sa constitutionnalité, sur la portée de ses engagements au regard de la souveraineté économique et juridique de l’État, ni sur les implications de long terme qu’il fait peser sur l’ordre institutionnel congolais. L’exécutif semble ainsi attendre des Congolais qu’ils acceptent ses déclarations comme un acte de foi, substituant l’affirmation politique à l’examen juridique et la communication stratégique à la délibération publique. Dans un État de droit, plus un accord se revendique stratégique et structurant, plus il exige transparence, contradiction et débat. L’absence de ces garde-fous ne renforce pas la crédibilité du texte, elle en accentue le caractère problématique.
Un discours sans ossature
Bien que l’accord fasse référence à une coopération scientifique, technologique et éducative, incluant des échanges, des formations, des partenariats universitaires et des dispositifs de stage, ces éléments demeurent profondément indéterminés quant à leur finalité réelle. En l’absence d’engagements contraignants, de financements identifiés et de périmètres sectoriels clairement définis, ils ne constituent ni une stratégie de transformation, ni une politique souveraine de développement du capital humain congolais.
Ces dispositions relèvent davantage d’un accompagnement fonctionnel, laissant entendre que la formation, la recherche et la coopération académique sont conçues principalement comme des instruments d’appui aux exigences du modèle extractif dominant, plutôt que comme des leviers autonomes de montée en compétences, de mobilité sociale et de développement national. L’accord demeure ainsi silencieux sur des piliers essentiels d’un développement endogène, notamment l’agriculture et l’agro-industrie, l’industrie manufacturière au-delà de la transformation minière, les PME et l’entrepreneuriat national, les services essentiels tels que la santé, l’éducation, la logistique ou l’économie numérique, ainsi que les politiques d’emploi, de développement des compétences et toute politique industrielle indépendante du secteur extractif.
Sur le plan sécuritaire, l’accord s’inscrit dans une logique de stabilisation fonctionnelle plutôt que de construction souveraine des capacités nationales. La sécurité y apparaît principalement comme une condition opérationnelle destinée à protéger les infrastructures critiques, sécuriser les zones d’extraction et garantir la fiabilité des chaînes d’approvisionnement, davantage que comme un projet de refondation durable de l’appareil sécuritaire congolais.
Cette approche privilégie des réponses de court terme, souvent externalisées ou coordonnées avec des partenaires étrangers, au détriment d’un investissement structurel dans les forces nationales, la gouvernance du secteur de la sécurité et la redevabilité démocratique. Elle tend à produire une stabilité apparente sans consolider durablement l’autorité de l’État ni créer les conditions institutionnelles d’un développement endogène soutenable.
Stratégique de nom, subordonné de fait
Certes, l’accord prévoit la désignation de Projets Stratégiques de la RDC, présentés comme des initiatives capables de porter l’industrialisation, la création d’emplois, la diversification économique et un développement dit inclusif. Toutefois, ces projets ne sont ni définis en dehors de l’architecture générale de l’accord, ni dotés d’une autonomie stratégique réelle. Ils ne constituent pas l’expression d’une politique industrielle souveraine, mais s’inscrivent d’emblée dans un cadre préconfiguré dont les finalités, les priorités et les garde-fous sont déjà déterminés.
Leur sélection, leur financement et leur mise en œuvre demeurent explicitement arrimés aux objectifs globaux du partenariat, soumis à la consultation du Comité Directeur Conjoint et assortis de mécanismes de participation préférentielle au bénéfice des personnes américaines et dites alignées, y compris à travers des droits de première offre. Dans ces conditions, le vocabulaire de la transformation et de la diversification fonctionne davantage comme un habillage discursif que comme un changement de paradigme. Les Projets Stratégiques apparaissent moins comme les piliers d’une politique industrielle autonome que comme des extensions territoriales, infrastructurelles ou industrielles du modèle extractif dominant, destinées à en améliorer l’efficacité, la sécurité et la durabilité, plutôt qu’à en dépasser les limites structurelles.
La paix qui ne nourrit pas, l’État qui transforme
Cette configuration renvoie à des trajectoires déjà observées en Afghanistan et en Irak, où des partenariats stratégiques fortement structurés autour de la sécurité, des ressources et des intérêts géopolitiques du partenaire dominant ont produit une stabilisation institutionnelle partielle, sans pour autant générer une prospérité populaire durable ni des capacités productives endogènes solides.
Dans ces contextes, l’absence d’un investissement prioritaire et soutenu dans le capital humain, l’industrialisation nationale et la consolidation institutionnelle a enfermé les économies dans une dépendance structurelle à l’appui extérieur, incapable de convertir la sécurité en développement partagé. La gestion prolongée de l’urgence sécuritaire y a traité les symptômes de l’instabilité sans s’attaquer à ses causes profondes.
À l’opposé, l’expérience sud-coréenne met en lumière une trajectoire fondée sur la primauté du projet national. La Corée du Sud a su définir avec clarté ses priorités et les moyens de les atteindre. Son partenariat stratégique avec les États-Unis n’a jamais constitué une fin en soi, mais un instrument subordonné à une stratégie explicite de modernisation économique, reposant sur l’éducation de masse, la formation technique, l’industrialisation et la montée en compétence de l’État.
Cette trajectoire a été rendue possible par le rôle structurant du droit interne. Les réformes nécessaires ont exigé des modifications législatives substantielles, contraignant l’exécutif à passer par le Parlement, à justifier ses choix et à inscrire les orientations stratégiques dans un débat public formalisé. Cette centralité de la délibération législative a permis de construire un consensus national autour du développement et de limiter la captation des politiques publiques par des intérêts externes ou sectoriels.
Guérir la nation avant de sécuriser la frontière
L’expérience sud-coréenne rappelle que la réussite d’un partenariat stratégique dépend moins de l’intensité de l’appui extérieur que de la hiérarchisation lucide des priorités nationales. Là où l’Irak et l’Afghanistan ont consacré l’essentiel de leurs ressources à la gestion prolongée de l’urgence sécuritaire, souvent externalisée et financée de l’extérieur, la Corée du Sud a fait un choix radicalement différent. Elle a investi dans la guérison structurelle de son économie et de son État, en plaçant le capital humain, l’industrialisation et la capacité institutionnelle au cœur de sa stratégie nationale.
C’est précisément cette base économique endogène qui a permis à la Corée du Sud de construire, dans un second temps, une armée nationale forte, technologiquement avancée et financièrement soutenable. La dissuasion sud-coréenne face à la Corée du Nord, et plus largement face aux risques de confrontation dans un environnement régional dominé par des puissances majeures comme la Chine, n’est pas le produit d’une militarisation précoce, mais l’aboutissement d’un développement économique maîtrisé. Autrement dit, la sécurité n’a pas précédé le développement, elle en a été la conséquence.
Même dans un contexte de conflit, comme celui que traverse la République démocratique du Congo, la stabilisation durable ne procède pas de l’administration indéfinie des symptômes, ni de la délégation permanente de la sécurité à des acteurs extérieurs. Elle suppose un traitement de fond fondé sur l’investissement massif dans le capital humain, la construction de capacités productives nationales et le renforcement d’institutions capables de convertir la croissance en puissance étatique réelle. La RDC ne pourra engager une trajectoire de transformation durable tant qu’elle laissera, consciemment ou inconsciemment, les tambourinements de Kigali ou les aboiements du fils Museveni dicter son raisonnement stratégique, au détriment d’une vision souveraine de long terme.
Le moment législatif comme point de bascule
Toutefois, le fait que l’accord impose explicitement à la République démocratique du Congo de modifier son cadre juridique interne, notamment la loi n°13/005 du 11 février 2014 relative au régime fiscal et aux projets de coopération, et qu’il exige la transmission d’une liste initiale des Projets Stratégiques désignés par la RDC, introduit une rupture institutionnelle majeure. En subordonnant la mise en œuvre du partenariat à une réforme législative formelle, l’accord ouvre un espace politique qui ne relève plus du seul exécutif, mais engage directement la souveraineté parlementaire.
Cette configuration contraint l’exécutif à se présenter devant les législateurs, à expliciter ses choix et à inscrire les orientations stratégiques dans un espace de délibération publique formalisé. La réécriture de la loi devient ainsi un moment de vérité non seulement politique, mais historique. Elle place les élites congolaises face à une responsabilité qu’aucun accord international ne peut déléguer ni masquer. Il s’agit de savoir si, une fois encore, le droit sera mobilisé pour reconduire une logique postcoloniale d’alignement et de dépendance, habillée du langage de la coopération et de la stabilité, ou s’il servira enfin à ancrer juridiquement des exigences substantielles en matière d’investissement dans le capital humain, de création d’emplois, de développement de capacités productives nationales et de maîtrise institutionnelle du destin collectif.
Ce n’est qu’à cette condition que le partenariat cessera d’être un mécanisme de reproduction des asymétries héritées de l’histoire, où les intérêts externes structurent les priorités internes avec la complicité silencieuse ou active des élites locales. Il pourra alors devenir un acte fondateur de transformation souveraine, assumé non seulement devant les partenaires internationaux, mais devant le peuple congolais et devant l’histoire.
Jo M. Sekimonyo, PhD
Économiste politique, théoricien, militant des droits humains et écrivain
Chancelier de l’Université Lumumba
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