L'utilisation croissante de l'intelligence artificielle et de l'apprentissage automatique dans la prise de décision publique soulève des questions cruciales concernant l'équité et les droits de l'homme. Getty Images
En tant que nation, qu’aurait-on pu faire de mieux, concrètement, avec les milliards de dollars régulièrement engloutis chaque année par la présidence et son doublon institutionnel, la primature ?
Ces ressources auraient pu constituer un levier historique pour l’avenir du pays en finançant une stratégie nationale orientée vers l’éducation et l’innovation. L’État aurait pu initier une compétition ouverte et transparente, mobilisant les entrepreneurs locaux, les entreprises privées nationales et les universités congolaises, afin de concevoir des tablettes éducatives et des applications adaptées aux réalités linguistiques, culturelles et pédagogiques du pays. Dans cette configuration, la puissance publique n’aurait pas eu vocation à produire directement, mais à jouer un rôle de catalyseur, en finançant, en coordonnant et en garantissant un cadre propice à l’ingéniosité nationale.
Ces ressources auraient également permis de soutenir l’assemblage et la fabrication progressive de ces outils dans différentes régions du pays, en s’appuyant sur des partenariats entre le secteur privé local, les institutions universitaires et les centres de formation technique. Une telle dynamique aurait favorisé la création d’emplois qualifiés, le développement de compétences locales et l’émergence de pôles industriels régionaux. En subventionnant largement ces technologies, voire en les mettant gratuitement à disposition de chaque enfant en âge scolaire, tout en finançant des cantines scolaires administrées localement, l’État aurait contribué à bâtir un écosystème éducatif et socioéconomique durable. Un tel investissement n’aurait pas seulement renforcé le système éducatif, il aurait offert à la nation des perspectives d’avenir plus claires et plus solides.
Cette projection n’a rien d’utopique. Elle met surtout en évidence l’écart entre ce qui aurait pu être méthodiquement construit par une stratégie cohérente et ce qui alimente aujourd’hui le débat public sur l’éducation. C’est précisément dans cet écart que s’inscrit la frustration persistante exprimée depuis des années par les Congolais, qui n’ont cessé d’alerter, de marteler, parfois de hausser le ton sur l’état du système éducatif national. Ils ont critiqué, dénoncé, insisté, non par posture, mais par refus de l’indifférence. Pourtant, la plupart de ces colères collectives recherchent des solutions rapides, des remèdes instantanés, comme s’il existait une pilule magique capable de réparer un effondrement structurel. On tente de corriger les résultats sans examiner les mécanismes, de réformer la surface sans disséquer les causes profondes. En sautant les étapes essentielles de l’analyse, on condamne toute réforme à l’échec, car un système que l’on ne comprend pas en profondeur est un système que l’on ne peut ni réparer ni transformer durablement.
Malgré l’intensité des critiques adressées à la mauvaise orientation politique, le blocage fondamental se situe d’abord à l’intérieur même du système éducatif, de l’école primaire jusqu’au niveau universitaire. Avant toute question de direction ou de leadership, se pose celle de la capacité réelle de l’école, à tous les niveaux, à donner accès au savoir moderne et à en permettre l’absorption effective, c’est-à-dire à créer un écosystème cognitif et socioéconomique cohérent dans lequel l’apprentissage peut effectivement prendre forme. L’éducation ne se réduit pas à la transmission de contenus ; elle repose sur la formation progressive de structures cognitives capables de comprendre, d’analyser et d’intégrer des connaissances de plus en plus complexes. Lorsque cette continuité est rompue, du primaire à l’université, le système produit une pensée fragmentée, insuffisamment outillée pour soutenir une gouvernance éclairée ou une transformation durable.
Cette défaillance éducative est indissociable de l’insécurité économique et sociale généralisée. Les enseignants, de l’école de base à l’université, à l’image des parents, évoluent dans un environnement marqué par le chômage massif, le sous-emploi chronique, l’instabilité des revenus et l’absence de protection sociale. Même lorsqu’ils sont en fonction, beaucoup demeurent contraints à des stratégies de survie qui compromettent la formation continue, l’innovation pédagogique et l’appropriation des technologies éducatives contemporaines. Dans ces conditions, l’institution éducative ne transmet plus un savoir en évolution ; elle reproduit un capital cognitif appauvri et déconnecté des exigences du monde moderne.
Au niveau des familles, cette insécurité économique détruit les conditions matérielles de l’apprentissage sur toute la trajectoire scolaire. Des revenus faibles et irréguliers empêchent les parents de garantir une alimentation adéquate, un environnement stable et l’accès aux outils nécessaires à l’éducation, y compris au secondaire et à l’université. Un élève ou un étudiant confronté à la faim, à la précarité ou à l’angoisse financière ne peut ni se concentrer ni absorber durablement les connaissances. La malnutrition prolongée affecte le développement neurologique, ralentit la maturation cognitive et réduit la vitesse de traitement de l’information. Il ne s’agit pas d’un déficit intellectuel, mais d’un ralentissement imposé par des contraintes biologiques et sociales structurelles.
Il en résulte des générations au potentiel intact mais systématiquement entravé, depuis l’enfance jusqu’à l’enseignement supérieur. Les individus ne sont ni incapables ni déficients ; ils sont contraints de fonctionner dans un environnement qui prive la cognition de stabilité, d’énergie et de continuité. On attend des enseignants qu’ils produisent de l’excellence académique sans sécurité professionnelle, et des apprenants qu’ils réussissent sans sécurité alimentaire ni horizon économique stable. Toute stratégie de redressement doit donc dépasser les réformes éducatives isolées et s’attaquer aux fondements économiques de la production du savoir. Élever la qualité de vie, réduire le chômage et le sous-emploi, et garantir une sécurité économique et sociale minimale constituent des conditions indispensables à l’émergence d’une intelligence collective capable de penser, d’innover et de gouverner durablement.
Au fond, il faut se demander ce que l’on peut réellement attendre d’une nation enfermée dans une pauvreté extrême et prolongée. Le système éducatif n’est ni une anomalie ni une exception. Il est un révélateur fidèle de l’état de l’économie et de la solidité du contrat social. Lorsqu’une société ne garantit ni sécurité économique, ni emploi décent, ni conditions minimales de vie à la majorité de ses citoyens, l’école ne peut qu’en porter les traces. La médiocrité qui s’y installe n’est pas accidentelle ; elle est produite et entretenue par un contrat social défaillant qui normalise la précarité et empêche toute accumulation durable de savoir. Aussi longtemps qu’une reconstruction profonde de ce socle économique et social ne sera pas engagée, l’éducation restera condamnée à refléter, plutôt qu’à dépasser, l’état réel de la société et la persistance d’un contrat social d’inspiration coloniale qui continue de la structurer.
Jo M. Sekimonyo
Économiste politique, théoricien, militant des droits humains et écrivain. Chancelier de l’Université Lumumba
À la veille du Nouvel An, le président chinois Xi Jinping a transmis son message…
Pris dans son ensemble, l’accord institue une stratégie de croissance résolument structurée autour des minerais…
La mort de Brigitte Bardot, à l'âge de 91 ans , met un terme à…
Le Mali , le Burkina Faso , le Niger , la Guinée et le Gabon…
L’Asie du Sud-Est est devenue l’épicentre de l’escroquerie en ligne mondiale, selon l’ONU, coûtant chaque…
Face à la persistance de l’insécurité à l’Est de la République démocratique du Congo, l’État…