RDC : Développement économique – Un sac plein de queues, mais sans têtes (Tribune de Jo M. Sekimonyo)

La nature regorge de créatures qui défient la logique. Prenons, par exemple, les animaux sans pattes : les serpents peuvent vous distancer sur terre comme dans l’eau, et les poissons, oui, ces mêmes poissons à nageoires peuvent grimper aux arbres. Puis, il y a ceux avec bien trop de pattes, comme les mille-pattes, qui figurent pourtant parmi les créatures les plus lentes de la planète. Et pourtant, malgré leurs différences, ces êtres partagent deux caractéristiques essentielles : des queues et, surtout, des têtes.

Un animal sans tête ? Ça, c’est du domaine du mythe, une invention de l’imagination humaine qui reste bien ancrée dans le monde de la fantaisie. Ce qui nous amène aux plans de développement de la RDC : tout queue, aucune tête. Un sac débordant des initiatives qui sont voués à l’échec, non par manque d’ambition, mais par absence de bon sens. Sans une tête pour coordonner les queues, c’est une danse chaotique de grands rêves qui ne se traduisent jamais en réalité.

Ainsi, les plans de développement congolais ressemblent souvent à un saut audacieux dans des eaux inconnues, mais laissent toujours une question en suspens : où est la tête ? Parce que, peu importe combien de queues vous avez, sans tête, vous n’êtes qu’un mythe en attente de se réaliser.

Peu sérieux face à nos ambitions agricoles

L’agriculture est le plus vieux tour dans le manuel du développement économique. C’est trop primitif pour être notre sauveur moderne. Mais même si on décide de s’y mettre, soyons clairs : les gens cultivent déjà de la nourriture partout en RDC depuis toujours. Le vrai problème, ce n’est pas de planter, c’est de passer à l’échelle et de moderniser.

En parlant de passer à l’échelle, parlons de notre cher président et de sa vision particulière pour stimuler la productivité. Que fait-il ? Il offre des SUV aux membres du Parlement. Ils applaudissent ! Bien sûr, pourquoi pas ? et personne ne remarque l’ironie, encore moins l’incohérence.

D’abord, le Parlement est l’autorité budgétaire, ceux qui gèrent les finances nationales. Donc, en gros, ils se sont offerts ces beaux SUV eux-mêmes. Imaginez un caissier qui offre une voiture neuve à son patron de la banque, et le patron qui ne se demande même pas : « Mais comment a-t-il pu se payer ça ? » C’est surréaliste.

Ensuite, si on était ne serait-ce qu’un peu sérieux sur l’agriculture, ces SUV auraient été des tracteurs. Imaginez : chaque député reçoit un tracteur à livrer dans sa circonscription. Ils pourraient le louer aux agriculteurs locaux ou le vendre à quelqu’un qui l’utiliserait réellement sur le terrain. Quoi qu’il en soit, cela aurait stimulé la production et la productivité. Au lieu de ça, on aide juste les politiciens à rouler en confort au-dessus des nids-de-poule, ou bien climatisés, tout en restant coincés dans les embouteillages de Kinshasa.

L’illusion du « bon sens » : le ministre Julien Paluku

L’illogisme des ambitions agricoles a été plus abusé en ce début de 2025. Voici venir le ministre du Commerce Extérieur avec son idée lumineuse : « Passons des mines à l’agriculture ! » Pour appuyer son argument, il compare le prix d’une tonne de cuivre (8 000 $) à celui d’une tonne de cacao (11 000 $). Ce qu’il oublie ? Ces prix sont spéculatifs, soumis aux caprices des marchés mondiaux. Que se passe-t-il si les prix s’inversent ? On abandonne les champs pour retourner aux mines, puis on refait le chemin inverse à chaque fluctuation du marché ? La RDC devrait-elle vraiment jouer au ping-pong économique ?

Pendant que notre ministre joue aux mathématiques simplistes, il oublie l’essentiel : la vraie richesse aujourd’hui réside dans les idées. Bezos n’a pas construit Amazon avec des tonnes de cacao, mais avec une vision. Jack Ma n’a pas fait fortune avec des minerais, mais avec une plateforme numérique. Leurs petits « grains » de grandes idées se sont transformés en milliards. Imaginez ce que vaudrait une tonne d’idées !

Les Congolais doivent se concentrer sur la création de valeur, et non simplement sur la valeur ajoutée, à partir d’idées innovantes, pas sur des comparaisons de chiffres arbitraires. Mais bon, vu le parcours et l’expérience du ministre, attendre une telle vision, c’est comme attendre la pluie dans le désert : inutile, mais il faut saluer l’optimisme.

Au final, la modernisation, c’est une question de la qualité d’état d’esprit.

Des mots sur une jambe : Le projet du Port de Banana

On nous promet que la RDC s’apprête à franchir un grand pas en matière de commerce et de logistique avec la construction de son tout premier port en eaux profondes à Banana. Ce projet, qualifié de « jalon historique » pour le développement économique du pays, est vanté comme une révolution. Mais derrière les annonces grandiloquentes, il semble qu’il manque quelques syllabes, voire des mots entiers, pour que le discours tienne debout.

Dans les brochures promotionnelles, on nous assure que ce port transformera les aspirations économiques de millions de Congolais en rendant les vêtements de seconde main défraîchis, des poissons douteusement conservés, des médicaments périmés, et des voitures brinquebalantes plus accessibles et abordables pour tous. Sérieusement ? Quelqu’un croit vraiment que les habitants de Katakokombe ou de n’importe quelle autre région enclavée ressentiront un quelconque effet de ce projet ?

Pour qu’un Congolais ordinaire profite de ce port, encore faudrait-il qu’il existe une route ou une voie ferrée reliant sa ville ou village à Banana. Or, la RDC reste enfermée dans un puzzle d’infrastructures où les pièces ne s’emboîtent jamais. C’est un peu comme offrir un yacht de luxe à quelqu’un qui vit au milieu d’un désert. Sur le papier, ça brille, ça impressionne. Mais dans la réalité ? Totalement inutile.

Alors, à qui profite réellement ce projet ? Ce port vise avant tout à servir les compagnies minières, majoritairement étrangères, en facilitant l’exportation des précieuses ressources naturelles du pays. L’État, certes, pourra encaisser quelques recettes supplémentaires, mais ces miettes auront-elles un quelconque impact sur le quotidien des citoyens ? Peu probable.

L’Île de Banana elle-même a une histoire bien sombre. Sous la colonisation, elle servait de point stratégique pour le commerce, l’administration et – bien sûr – les prisons. Ce lieu détentionnaire hébergeait ceux qui osaient défier l’ordre colonial ou enfreindre des lois injustes. Alors, ce fameux port va-t-il lui aussi enfermer les rêves et aspirations des Congolais ?

La charrue devant un maigre bœuf : Le projet Grand Inga

Le barrage Inga, présenté comme une panacée énergétique, suit la même logique. Ce projet colossal est censé électrifier la RDC et poser les bases de son industrialisation. Mais combien d’industries lourdes appartiennent réellement à des Congolais ? Très peu. Combien d’entre elles ont le capital nécessaire pour transformer cette énergie en opportunités économiques ? Encore moins. Le bœuf maigre d’aujourd’hui ne peut pas tirer la charrue d’Inga.

En fait, le Grand Inga n’est pas conçu pour les Congolais. Tout comme Le projet du Port de Banana Ce barrage profitera avant tout aux compagnies minières étrangères, grandes consommatrices d’énergie pour extraire nos richesses naturelles à moindre coût. Pire encore, une grande partie de l’électricité produite est destinée à l’exportation, laissant les Congolais payer la facture non seulement en termes financiers, mais aussi en opportunités sacrifiées pour des projets réellement inclusifs.

Avant de tirer des plans sur la comète, il faut nourrir le bœuf. C’est-à-dire renforcer les bases économiques et institutionnelles. La modernisation des politiques commerciales et des infrastructures existantes, et surtout une politique industrielle cohérente et aux ambitions moderne, qui soutient les petites et moyennes entreprises, véritables moteurs d’un développement inclusif.

L’objectif ne devrait pas être simplement d’éclairer les pauvres. La production d’énergie n’étant pas gratuite, elle reste un luxe.

Nation TDAH

La RDC ressemble parfois à une nation atteinte d’un sévère TDAH, incapable de se concentrer, de rester en place ou de contrôler ses impulsions. Ce manque de cohérence et de discipline sabote nos perspectives de développement économique.

Prenons le gouvernement. Chaque membre lance ses propres initiatives, comme une meute de chiens errants courant après chaque voiture qui passe. Et celui qui est censé tenir la laisse ? Il semble plus amusé par le chaos que préoccupé. Par « celui », je ne parle pas du président de la république ou la cheffe du gouvernement, mais des citoyens et du Parlement, les véritables garants de la responsabilité.

Au lieu de gaspiller de l’argent dans un bâtiment flambant neuf pour l’Inspection Générale des Finances (IGF), pourquoi ces fonds n’étaient pas à la place allouer aux soldats sur la ligne de front ? ou donner de la dignité aux déplacés ?

Et ce n’est pas juste le gouvernement, d’autres institutions ont leur part de responsabilité. L’Église catholique semble plus préoccupée par l’union de l’opposition pour bloquer les ambitions de Tshisekedi que par la pression sur des groupes comme le M23 pour mettre fin à leur folie destructrice.

Bonana ?

Alors que des millions de personnes souffrent dans des camps de déplacés à l’Est, le reste de la nation a célébré Noël et le Nouvel An comme si de rien n’était. Imaginez que Gaza ou l’Ukraine fassent campagne pour le tourisme ou attirer des investissements étrangers pendant que les bombes tombent encore. C’est exactement ce que nous faisons ici en fermant les yeux sur la tragédie de l’Est tout en vantant de nouveaux projets clinquants ailleurs. Sommes-nous tous si primitifs, si détachés de la valeur de la vie ?  Les autres qui nous regardent ne le sont pas.

Si nous accordions autant d’attention et de sens critique à la composition du gouvernement et à ses actions qu’à notre équipe nationale de football, où chaque défaite déclenche des appels à la démission du coach et les joueurs, eux, n’ont droit à aucune indulgence, pas même pour un mauvais jour, le paysage politique serait méconnaissable. Et pourtant, nos dirigeants accumulent les défaites, des promesses non tenues, des projets incohérents, des priorités mal orientées.

Et donc, le véritable développement économique, tout comme la victoire contre la guerre à l’Est, exige bien plus qu’un simple sursaut. Cela demande un focus soutenu, une détermination collective, et surtout, une élévation de notre sens critique et de nos attentes. Pas seulement envers les législateurs et l’exécutif, mais aussi envers l’opposition.

Tant que nous resterons distraits par chaque promesse creuse ou projet tape-à-l’œil, nous continuerons de tourner en rond, incapables de bâtir la nation que nous méritons. Il est grand temps d’attacher des têtes à toutes ces queues, et pas n’importe lesquelles, les bonnes.

Jo M. Sekimonyo

Économiste politique, théoricien, militant des droits de l’homme et écrivain

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