Tribunes Économiques

RDC : Ce que l’Histoire pourrait retenir du mandat présidentiel de Tshisekedi sur le plan de l’économie politique (Tribune de Jo M. Sekimonyo)

La RDC ne dispose pas officiellement d’historiens présidentiels pour consigner avec rigueur les faits marquants d’un mandat, et encore moins d’une tradition de mémoire politique permettant d’établir un bilan objectif des dirigeants dans la sphère de développement économique et transformations sociales de la nation. C’est pourquoi il est nécessaire de poser des repères, notamment en comparant Félix Tshisekedi à son prédécesseur direct, Joseph Kabila.

Entre ces deux présidents, la rivalité politique n’a pas suivi une ligne droite. On est passé des chatouilles habiles, ces petites flèches lancées lors des discours, aux tacles plus appuyés, aux gifles politiques, puis carrément aux balles réelles. Et chaque fois que la cible est manquée, des millions de vies sont perdues, des perspectives économiques et sociales effacées, et une nation enfermée dans un cycle répété d’occasions manquées. Aujourd’hui, les loupes et les jumelles doivent être braquées plus que jamais sur Tshisekedi. En tant que président en exercice, il détient encore, pour les deux années à venir, une marge de manœuvre qui lui permet de contrôler l’issue de ce duel politique et d’infléchir son héritage.

Mais il y a bien plus, et cela relève de ses propres choix. Une partie de son espace dans la conscience de la nation dépendra de sa capacité ou de son courage à rompre avec les motivations et les méthodes qu’il a soit héritées, soit lui-même instaurées, et qui entretiennent la stagnation. S’il échoue ou s’il choisit de ne pas agir, il rejoindra la catégorie des « erreurs et curiosités politiques », quelque part entre la rubrique des faits divers et l’album des maladresses démocratiques.

La politicaille défigure la justice

Alors que la RDC commémorait le Génocost, moment solennel de mémoire pour des millions de vies brisées par des guerres répétées, les gouvernements congolais et rwandais se réunissaient, bavettes au cou, pour s’accorder sur les ingrédients d’un « menu économique ». Or, aucun plat de paix n’a encore été servi au peuple congolais. Voilà ce qui se produit lorsque le mot paix est érigé en mantra creux, scandé à tout prix, y compris par les voix épuisées de ceux qui vivent sous occupation, les victimes directes. Ces hurlements amplifiés par une presse complaisante et repris par des acteurs politiques de tous bords, a finis par se transformer en chèque en blanc pour un pouvoir qui ne rend plus de comptes. Ce discours a offert au gouvernement l’occasion de bafouer ses prérogatives et à l’agresseur le privilège de choisir le plat, d’en fixer le prix et d’en dicter les conditions, c’est-à-dire de garantir, voire de commencer, à recevoir son pain quotidien à nos frais avant même de déposer les armes, de cesser de nous poignarder, de nous humilier et même d’arrêter d’y songer.

Le contraste avec le passé est frappant. En 1999, le gouvernement Kabila avait saisi la Cour internationale de justice avec un dossier solide contre l’Ouganda, le Rwanda et le Burundi pour agression armée, occupation illégale et pillage systématique. En 2005, la CIJ condamnait l’Ouganda pour violation du droit international, occupation de l’Est congolais et soutien à des groupes rebelles. Ce succès diplomatique, indéniable, reste au crédit de Kabila. En 2022, le verdict se traduisait enfin en chiffres. Trois cent vingt-cinq millions de dollars devaient être versés à la RDC. La répartition était claire, avec deux cent vingt-cinq millions destinés aux victimes, quarante millions aux biens détruits et soixante millions aux ressources pillées. Un nouveau stade ou une nouvelle prison ne figurait pas sur cette liste.

Pourtant, malgré la clarté de cette répartition et la liste connue des bénéficiaires, les deux premiers versements font polémiques. Aujourd’hui, un ministre de la Justice comparaît pour avoir tenté d’empocher la deuxième tranche, tout en accusant son prédécesseur d’avoir fait disparaître la première. L’Ouganda pourrait conclure qu’il aurait mieux valu continuer à tuer et à semer le chaos plutôt que de se plier au jugement, puisque l’argent est détourné et que le Rwanda s’en tire aujourd’hui avec des crimes pires en continuant de tuer. Là réside toute la différence : Kabila avait poursuivi les criminels et obtenu leur condamnation ; Tshisekedi, lui, semble s’orienter vers l’indemnisation du bourreau.

Cela ne saurait toutefois valoir éloge à Kabila qui, même après que les Congolais lui ont pardonné d’avoir amassé une fortune en bradant les poumons et les jambes de l’économie nationale et en portant des coups à la démocratie, a choisi de s’allier à l’AFC-M23. Peu importe ses raisons, il a fini par dégrader les lignes honorables de son CV historique. Tshisekedi pourrait commettre un péché plus grave encore s’il se laissait séduire par ceux qui le poussent à se maintenir au pouvoir au-delà de 2028 et renonçait à organiser les élections. Attendons de voir.

En économie politique, la justice n’est pas seulement un instrument moral, elle constitue un levier stratégique pour restaurer la confiance, rééquilibrer le rapport de force et réaffirmer la souveraineté nationale. Le mandat de Tshisekedi a été marqué par une succession de détournements, au point que la population semble désormais atteinte d’une fatigue résignée face à ces scandales à répétition. Pire encore, il semble que plus personne ne craigne la loi, comme si l’impunité était devenue la norme et la justice un simple décor dans le théâtre politique congolais.

La patience est une vertu, la tergiversation un poison

L’ancien président Olusegun Obasanjo m’a un jour expliqué comment il avait neutralisé l’un des foyers de pouvoir les plus susceptibles de remettre en cause la démocratie au Nigeria lors de son second retour à la tête de l’État. À cette époque, tous les gouverneurs de province étaient des vieux généraux, donc autant de potentiels instigateurs de coups d’État. Sa méthode ? les mettre tous à la retraite, en une seule décision, préparée dans le plus grand secret. Seul un capitaine, son secrétaire personnel, était dans la confidence. L’annonce tomba un week-end, et dès le lundi, toutes les cérémonies de passation étaient achevées. Aucun espace-temps pour comploter, aucun terrain pour organiser une mutinerie. La surprise n’était pas un détail tactique, c’était l’arme stratégique. Dans un environnement où le rapport de force compte autant que la maîtrise des ressources, la discrétion n’est pas de la prudence frileuse ; elle est une composante du capital politique.

À l’opposé de cet art de la gestion du tempo, Félix Tshisekedi semble souffrir d’un réflexe inverse, annoncer prématurément ses appétits, qu’il s’agisse d’une offensive militaire, d’un soi-disant miracle économique ou d’un remaniement gouvernemental. Ce penchant ne relève pas seulement du tâtonnement stratégique, il traduit une méconnaissance de la valeur économique et politique de l’effet de surprise.

Chaque annonce prématurée agit comme une injection de volatilité dans le système. Elle déclenche un cycle de rumeurs, de spéculations et de calculs tactiques qui fragilisent la crédibilité de l’exécutif. Les alliés s’impatientent, les adversaires affûtent leurs stratégies, et la base populaire se lasse de promesses qui tardent à se matérialiser. Pendant ce temps, ses collaborateurs occupent l’espace médiatique, multipliant les messages contradictoires, produisant un vacarme qui ressemble moins à un orchestre qu’à une fanfare désaccordée.

Si Obasanjo avait agi comme Tshisekedi, en annonçant à l’avance son intention de « réorganiser » le corps des gouverneurs, il aurait probablement été renversé avant même d’exécuter son plan. Cette différence illustre la frontière étroite entre patience stratégique et tergiversation paralysante. Dans un pays où la stabilité politique est directement liée à la performance économique et à la confiance des acteurs internes comme externes, mal gérer le tempo revient à transformer un actif stratégique, le timing, en passif politique, hypothéquant à la fois son capital et l’avenir de la nation.

La banalisation des hautes fonctions publiques

Il fut un temps où accéder à un poste ministériel, diriger une grande institution publique ou occuper une fonction stratégique au sein de l’État exigeait un parcours cohérent, une expertise éprouvée et une conscience aiguë de la responsabilité. Aujourd’hui, on assiste à l’inverse : tout un chacun s’autoproclame ou fait campagne pour se faire nommer à des responsabilités qui devraient inspirer humilité et rigueur. Le phénomène atteint son paroxysme lorsque le président annonce avec fracas un remaniement gouvernemental. Les débats publics se concentrent alors moins sur la vision ou les résultats attendus que sur la loyauté politique, l’affichage d’un titre académique, les alliances de coulisses et la capacité de « tenir sa place » dans un jeu de pouvoir où la stratégie s’efface derrière l’allégeance.

Cette dérive se retrouve jusque dans la gestion des entreprises publiques. Être membre d’un conseil d’administration est devenu un minimum, souvent cumulé avec d’autres fonctions déjà lucratives. Parfois, cela ressemble plus à une promotion déguisée qu’à une mission exigeante pour servir l’intérêt général. Les forces armées ? Nous avons vu un chef d’état-major sans diplôme d’une école militaire supérieure, nommé pour un passé pastoral que l’on rappelle volontiers pour souligner l’incongruité de sa désignation. Politique monétaire ? En comparant le CV du gouverneur de la Banque centrale d’Haïti à celui du nouveau gouverneur congolais, la différence frôle la caricature.

La faute n’incombe pas seulement au président. Le peuple congolais réclame des personnes compétentes, et le chef de l’État croit y répondre en nommant des profils qu’il juge tels. Mais il confond compétence et expertise. La compétence permet d’exécuter une fonction dans le cadre établi ; l’expertise apporte la capacité d’anticiper, d’innover et de transformer. Dans un pays en crise comme la RDC, rompre le cycle de l’humiliation sociale et économique nécessite des experts dont l’expérience correspond précisément à la mission de l’institution qu’ils dirigent. Et par le fait que la compétence s’acquiert par l’apprentissage et la pratique et peut être attestée par un diplôme, un brevet ou un titre académique prestigieux ; l’expertise se forge par un affûtage constant, une remise en question permanente et l’épreuve de situations inédites, un « prof » peut bien être compètent mais pas nécessairement un expert. Aujourd’hui, il est d’autant plus facile de vérifier cette expertise que des outils comme Google permettent un accès rapide aux preuves concrètes.

L’illustration est parlante. Patrick Muyaya, journaliste de formation, maîtrise l’art oratoire et un français congolais soigné, mais qu’a-t-il écrit ou dit, avant et depuis son entrée au gouvernement, sur la modernisation du secteur de l’information ? Thérèse Kayikwamba Wagner, actuelle ministre des Affaires étrangères, a montré sa compétence en gestion de projet, faire des bonnes grimaces mais ne maîtrise pas les règles du jeu d’échecs géopolitique. Un grand nombre autour du chef de l’état, a voir les scandales finances qui surfacent, semble plus adaptés à jouer dans une série de cambriolages, et souvent, ils s’en vantent. Ce sont de bons acteurs, pas des scénaristes. Et puis Tshisekedi ramène un Mende, un Bahati. Le pays ressemble alors à une troupe de théâtre jouant depuis des décennies la même pièce tragique, avec des décors qui s’effritent, des dialogues usés et un public qui s’endort ou quitte la salle. Le casting présidentiel, dans son ensemble, trahit une incapacité persistante à distinguer entre occuper un poste et concevoir une stratégie. Tant que cette erreur persiste, la RDC restera enfermée dans la même pièce, avec les mêmes acteurs, devant un public de plus en plus désabusé.

Cette faiblesse pèse lourdement sur l’avenir de la nation, autant dans la résolution de la crise chronique au Nord-Est que dans la gestion de Kinshasa, aujourd’hui une poubelle dangereuse, le symptôme d’une économie politique nationale défaillante, certes, cet héritage n’est pas de son fait, mais il n’a pas su opérer le changement de cap nécessaire.

RDC : Zone crépusculaire

Tout semble aller dans la mauvaise direction et pour les mauvaises raisons. Même mes amis les plus proches, qui passent leur temps à se plaindre que rien ne fonctionne, me supplient de cesser de pointer les problèmes et de proposer des solutions dès qu’apparaît une chance, même illusoire, de s’agripper à tout diable à la mangeoire ou qui aurait été promis d’y accéder. L’appétit pour l’illusion d’opulence est aussi grand que surprenant.

Kabila a laissé le cirque politique se dérouler tant que cela renforçait son image d’homme habile, trop arrogant pour comprendre que lorsqu’il se plaignait de ne pas trouver quinze Congolais compétents sur cent millions pour réaliser un miracle économique, le véritable problème, c’était lui. En plus, il n’a jamais su voir que l’enjeu n’était pas seulement la compétence, mais l’expertise, moderne. Un président n’a pas besoin d’être compétent dans tous les domaines ni d’être expert en tout. Dans un pays en développement comme la RDC, disposer d’une solide formation ou d’une expérience significative, avec au minimum une compréhension moderne de l’économie politique, constitue un atout stratégique majeur. Par-dessus tout, il doit posséder un véritable sens du casting, non pas pour simplement placer l’homme qu’il faut à la place qu’il faut, mais pour confier la responsabilité à la personne dont les capacités sont réellement adaptées à la mission. Ce sens du casting influence directement la performance économique et politique d’un État. Même après avoir suivi des formations de haut niveau, son sens du jugement semblait s’être plus tacheté.

À en juger par le dernier spectacle de l’Union sacrée, Tshisekedi semble avoir compris le mécanisme ainsi que les motivations de ces zéros élevés au rang de héros, souvent par pure complaisance tribale, et a choisi d’en tirer profit en maintenant ce système. Qu’on ne s’y trompe pas : il n’existe aucune différence, dans leur état d’esprit ou leur idéologie, entre Tshisekedi, Kabila, Fayulu, Katumbi, Naanga et les institutions religieuses. Ce sont tous des conservateurs. Ils partagent la même conception de ce que signifie être Congolais, de la valeur réelle de cette identité, de ce que représente notre union et de la place que l’État doit occuper.

Au vu de la trajectoire actuelle, l’Histoire pourrait retenir de Félix Tshisekedi un bilan affreux, peut-être pire encore que celui de son prédécesseur, sur le plan de l’économie politique. Ce que le pays devra retenir aujourd’hui pour 2028, c’est qu’il ne doit pas s’agir de changer simplement de visage, mais d’opérer une véritable rupture avec l’alternance stérile entre des conservateurs incapables de mettre fin à une humiliation nationale qui ne cesse de s’amplifier. Il est temps de donner la place à des libéraux congolais capables de briser ce cycle et de reconstruire une vision politique et économique moderne, à la hauteur des aspirations et gourmandises nationales.

Jo M. Sekimonyo

Économiste politique, théoricien, militant des droits des humains et écrivain

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