Tribunes Économiques

RDC Budget 2026 : un autre cycle de débat sur le quoi au lieu du pourquoi

Le premier nœud du problème apparaît dès lors que les Finances sont confiées à Doudou Roussel Fwamba Likunde, un ancien collecteur d’impôts dont la formation réduit l’État à une caisse qu’il faudrait d’abord remplir avant d’agir, comme si gouverner un pays relevait du registre comptable d’une commune. Cette vision de percepteur confond l’impôt avec un financement alors que, dans toute économie moderne, l’État dépense d’abord la monnaie créée par la Banque centrale et ne la récupère qu’ensuite par les taxes. Le déficit n’est pas un gouffre mais un signal d’injection économique qui, lorsqu’elle trouve un tissu productif capable d’absorber cette dépense, crée activité, emplois et croissance. Routes, salaires, infrastructures et services publics naissent de la souveraineté monétaire, pas de la collecte fiscale. Ramener l’impôt au rang de moteur de l’action publique condamne la RDC à être gérée comme un cahier de recettes plutôt que pilotée comme une économie en construction.

La confusion congolaise ne tient donc pas à l’absence d’un ministère du Trésor, mais à une conception erronée du rôle des Finances, traitées comme un guichet de recouvrement plutôt qu’un laboratoire de stratégie économique. On attend du ministre qu’il surveille les dépenses comme un contrôleur, alors qu’il devrait orienter la production, élargir la base économique et transformer le budget en moteur de croissance. En réduisant ce ministère à une fonction d’encaissement, l’État se prive de l’institution censée impulser la dynamique économique. Un pays ne se développe pas en obsédant sur ce qu’il prélève mais en organisant ce qu’il produit. Tant que cette confusion perdure, la RDC continuera d’administrer sa pauvreté au lieu de la dépasser.

Chaque année, la preuve de cette défaillance s’expose dans un débat budgétaire transformé en spectacle. Les interventions parlementaires s’attardent sur les virgules, les répétitions, les fautes de forme, les pages mal paginées, comme si corriger la syntaxe suffisait à transformer un budget en instrument de développement. Le gouvernement participe à cette mise en scène : corrections superficielles, renvois en commission, déclarations de bonne foi, mais jamais un débat sur l’usage stratégique de la dépense publique. Ce théâtre institutionnel occulte l’essentiel et tout le monde sait que, quelles que soient les éclats de voix, le budget sera adopté.

L’autorité budgétaire devrait être le cœur du pouvoir parlementaire, l’outil par lequel une nation oriente sa croissance, active ses territoires et soutient ses secteurs productifs. Pourtant, les représentants d’hier comme d’aujourd’hui ignorent que le budget est un levier macroéconomique et non une feuille Excel à remplir. Ils examinent combien sans demander pourquoi, scrutent des tableaux sans interroger leur finalité, débattent de chiffres sans stratégie. Cette incapacité, à la fois du côté de l’exécutif et du Parlement, à comprendre la souveraineté monétaire et la fonction économique du budget produit un débat stérile et laisse en place une architecture budgétaire incapable d’impulser la croissance ou de répondre aux besoins essentiels de la population.

Ce que le COFOG révèle et que la RDC refuse de regarder

La grille COFOG mise en place par les Nations unies et le FMI offre une manière fonctionnelle d’analyser un budget public. Elle permet de classer les dépenses selon leur finalité plutôt que selon l’organisme qui les dépense. À travers elle, un budget se lit comme une photographie de la vision d’un État, répartie entre services généraux du gouvernement, défense, éducation, santé, affaires économiques, infrastructures, protection sociale et développement communautaire. Utiliser la COFOG pour décortiquer le budget congolais permet de dépasser la comptabilité classique et de révéler ce que l’État décide réellement de financer, de négliger ou de sacrifier.

La première anomalie apparaît dans la structure institutionnelle du budget de la RDC telle que révélée par les COFOG 1 à 5, qui forment le cœur du dénominateur dans toute lecture du financement public. Les services généraux (COFOG 1) absorbent une part disproportionnée des ressources, mobilisant des montants sans rapport avec les capacités de l’économie réelle. Cabinets politiques, protocoles, fonctionnement administratif et dépenses de prestige composent un appareil d’État dont la priorité budgétaire est sa propre reproduction. La défense (COFOG 2) et l’ordre public (COFOG 3) prolongent cette logique, concentrant des ressources importantes sans produire la stabilité qui pourrait en justifier l’ampleur. Même la COFOG 4, qui concerne les affaires économiques, se transforme en dépense contre-productive. Au lieu d’encourager l’investissement privé, elle renforce un État qui s’interpose, capture les opportunités, évince les entrepreneurs et maintient l’économie dans une dépendance stérile. Les dépenses environnementales (COFOG 5), qui devraient préparer la transition écologique et la résilience territoriale, restent elles aussi conçues avant tout comme des programmes administratifs, non comme des moteurs d’innovation.

À l’opposé, les COFOG 6 à 10, qui représentent les dépenses dirigées vers les citoyens, sont maintenues à un niveau insuffisant pour soutenir une société de cent millions d’habitants. La santé (COFOG 7), l’éducation (COFOG 9), le logement et les services communautaires (COFOG 6), reçoivent des allocations incompatibles avec les besoins nationaux les plus élémentaires. La situation est encore plus criante dans la COFOG 10, la protection sociale, qui devrait constituer un amortisseur essentiel dans un pays marqué par l’extrême pauvreté. Au lieu de protéger les ménages contre les chocs économiques, cette fonction reçoit des miettes qui révèlent l’absence d’une vision orientée vers la dignité collective.

C’est en calculant le Social Contract Ratio, l’indice que j’ai conçu et que d’autres analystes et institutions commencent à adopter, que la vérité apparaît sans filtre. Lorsque l’on compare les dépenses réellement orientées vers la population, regroupées dans les COFOG 6 à 10, avec celles destinées au fonctionnement et à l’autoprotection des institutions, les COFOG 1 à 5, la RDC affiche un ratio structurellement inférieur à 0.60. Un tel niveau signifie que l’État dépense davantage pour se gouverner, se protéger et se contrôler que pour stimuler l’énergie productive de sa société. La comparaison internationale confirme que la RDC fait partie des nations au SCR le plus lamentablement bas, et par ce fait rampent, non parce qu’ils manquent de ressources, mais parce qu’elles refusent de transformer leur souveraineté budgétaire en élévation sociale, en mobilité collective et en dignité commune.

Dépenser 30 % pour la défense tout en abandonnant la guerre sociale

Dédier près de 30 pour cent du budget national à la défense dans un pays où la majorité de la population vit dans l’extrême pauvreté relève d’un contresens stratégique. Une armée restée à un stade rudimentaire, comme en RDC, ne génère ni stabilité durable ni dynamique économique. Siphonner ainsi les ressources destinées à l’école, à la recherche scientifique, aux bourses d’étude, à la santé ou aux infrastructures revient à scier la branche même sur laquelle devrait reposer la sécurité nationale. Croire qu’un surfinancement militaire compense l’absence de développement est un piège narratif, d’autant plus dangereux qu’il s’appuie sur un ennemi extérieur commode. Si l’objectif était réellement de « tabasser le Rwanda », les chiffres suffisent à dissiper ce fantasme.

Le Rwanda compte environ 33 000 soldats et un budget inférieur à 200 millions de dollars. La RDC aligne plus de 134 000 militaires et engloutit entre 700 et 900 millions par an, soit quatre à cinq fois plus, sans jamais convertir cet effort financier en puissance opérationnelle. Dans les classements africains, Kigali apparaît comme une armée disciplinée et efficace, tandis que la RDC demeure classée très en dessous de ce que ses ressources devraient permettre. Autrement dit, la RDC surconsomme militairement pour un rendement stratégique inférieur, preuve qu’aucune somme ne remplace le professionnalisme, la doctrine ou la vision. Les faiblesses structurelles, le manque de formation, l’absence de coordination et les pratiques de prédation absorbent tout effort, au point que chaque augmentation budgétaire devient une rente pour ceux qui vivent de la guerre.

Les tonnes d’équipements abandonnés à Goma, Bukavu ou Rutshuru montrent que ce ne sont pas les finances qui manquent, mais la chaîne de commandement et la discipline. Le M23-AFC se renforce matériellement grâce à ce que l’armée congolaise laisse derrière elle. Pendant ce temps, le Rwanda, malgré ses provocations répétées, n’a jamais osé se risquer en territoire ougandais ou tanzanien comme il le fait en RDC. Kampala et Dodoma disposent de leviers économiques capables d’étouffer Kigali sans tirer un seul coup de feu, savent s’en servir, et ce qui explique cette prudence. Même le Burundi, pourtant très pauvre, illustre qu’une dissuasion géopolitique et économique bien calibrée peut être plus redoutable qu’un arsenal. C’est cette dimension que craint Kagame. Depuis la nuit des temps, toutes les guerres sont économiques, même lorsqu’elles se déguisent en conflits religieux ou sécuritaires. Et c’est précisément cette dimension que la RDC ignore encore, convaincue que la sécurité se gagne en gonflant les budgets militaires, alors que la véritable puissance se construit ailleurs, dans les leviers économiques et l’intelligence géopolitique que le pays n’a jamais appris à mobiliser.

Le budget 2026 prétend répondre à la menace militaire en gonflant les crédits de défense, mais il passe complètement à côté de la nature réelle du conflit et de l’insécurité qui traverse tout le pays. La guerre que vit la RDC est avant tout sociale, nourrie par une pauvreté écrasante, l’effondrement des services publics, l’état archaïque de son économie et l’absence totale d’opportunités. Ce terreau alimente les groupes armés et donne même aux kulunas leur raison d’être. Une paix durable exige une approche scientifique, une doctrine modernisée et des investissements stratégiques dans les zones fragiles afin d’assécher le vivier humain sur lequel prospèrent milices rurales et délinquances urbaines.

Croire que la sécurité s’achète à coups de dépenses militaires et de fouet, c’est se tromper d’ennemi et de terrain. Aucun pays portant le fardeau de la plus forte extrême pauvreté au monde ne peut espérer la stabilité sans s’attaquer d’abord à cette pauvreté qui nourrit l’insécurité, fragilise les institutions et annule toute progression militaire.

Le système qui étouffe la RDC

Alors que la RDC porte l’humiliation d’être le pays le plus touché par l’extrême pauvreté, ses dirigeants politiques et même certaines institutions religieuses refusent d’en affronter la réalité. Au lieu d’organiser des colloques sérieux ou des forums scientifiques pour comprendre comment se défaire de cette couronne honteuse, ils réclament de nouveaux dialogues politiques, coûteux, destinés à se partager le gâteau avant même la tenue des élections. Le plus inquiétant est que ces appels reçoivent encore des applaudissements, comme si l’extrême pauvreté était une abstraction, un mot prononcé à la télévision, plutôt qu’un fait social brutal qui broie des millions de vies.

Ce qui bloque réellement le pays plonge ses racines dans un système électoral qui détruit le contrat social. Le vote par liste efface la responsabilité individuelle, brise le lien entre élus et électeurs et produit des parlementaires redevables à leurs appareils plutôt qu’au peuple. De tels élus ne peuvent élaborer qu’un budget sans vision, puisque leur mandat lui-même est sans ancrage. À cela s’ajoute une CENI devenue une machine à opacité, clientélisme et impunité, privant la démocratie du moindre contrôle réel. Dans cet environnement, gouverner ne signifie plus servir la société mais capturer et conserver l’État. La Constitution actuelle verrouille ce cycle en dupliquant les pouvoirs exécutifs, en gonflant démesurément les coûts institutionnels et en installant une ethnocratie fragmentée où la survie politique l’emporte systématiquement sur l’efficacité administrative.

La réforme qui peut la libérer

C’est pour briser cette architecture du blocage que j’ai soumis au Président et au Parlement la Constitution corrigée, une refondation que les autorités ont choisi d’ignorer. Plutôt que d’en débattre, certains proches de Corneille Nangaa ont recouru aux menaces tandis que d’autres agitent le mot “fédéralisme” sans comprendre qu’ils refusent précisément la seule décentralisation cohérente possible. Je ne suis pas le “royaliste” qu’on tente de décrire ; la réforme que je propose impose au contraire une limitation stricte des mandats, renouvelables ou réexercés une seule fois dans toute une vie, ce qui mettrait fin aux recyclages politiques de Tshisekedi, Kabila, Bahati, Muyaya, Bitwakwera et de toute une classe qui vit de la rente du pouvoir. Le peuple retrouverait un réel contrôle grâce au retrait de mandat par pétition de dix pour cent des électeurs, et la fin des candidatures multiples mettrait un terme à la spéculation électorale.

Au cœur de cette réforme se trouve la transformation du budget public. La Constitution corrigée plafonne les dépenses de fonctionnement de l’État à 50 pour cent du budget et impose que l’autre moitié soit répartie entre dépenses sociales, infrastructures et investissements. 25 pour cent doit être allouée avec l’avis formel de la société civile, recentrant l’action publique sur la population plutôt que sur l’appareil politique.

La réforme fiscalo-territoriale clarifie enfin qui fait quoi et donne à chaque niveau de pouvoir les moyens d’agir. Le pouvoir central se limite à ses fonctions régaliennes et vit uniquement de l’impôt sur le revenu, ce qui l’oblige à se concentrer sur l’emploi, les salaires et la croissance réelle plutôt que sur la prédation budgétaire. Les provinces financent leur action en prélevant les impôts sur les transactions économiques et sur les services, ce qui leur permet d’assumer l’enseignement supérieur, les droits fonciers, la police provinciale, les infrastructures et les industries. Les entités territoriales décentralisées disposent des impôts sur la production économique, calculés sur la valeur des ventes, ainsi que des impôts fonciers, ressources qui leur donnent la capacité d’assurer l’eau, l’électricité, la santé, les écoles de la maternelle au secondaire, les transports publics et l’ensemble des services locaux. Elles gèrent aussi les permis miniers et pétroliers et peuvent créer des sociétés mixtes. En transférant ainsi compétences, recettes et pouvoir décisionnel vers la base, la réforme libère des énergies longtemps étouffées dans la capitale et permet enfin à la nation de se reconstruire par ses territoires au lieu de subir un centralisme qui stérilise tout.

Enfin, la réforme introduit une véritable démocratie économique à travers la congolisation du système financier. L’article 16 exige que l’État ne traite qu’avec des entreprises enregistrées en RDC et détenues majoritairement par des Congolais, ce qui redirige des milliards vers les banques locales, stimule la création de coopératives de crédit et déclenche une explosion de financements productifs. Il ne s’agit pas de fédéralisme mais de dévolution, un transfert structuré du pouvoir économique et décisionnel vers la base, rompant avec le modèle paternaliste et centralisé qui étouffe le pays depuis soixante ans.

Nous laissons pourtant le gouvernement réclamer toujours plus d’argent sans lui demander pourquoi. Il se félicite ensuite d’annoncer qu’il a trouvé ces fonds, sans que nous nous préoccupions de l’impact sur notre vie, et nous regardons presque fascinés l’illusion d’opulence qu’il met en scène, alors que le pays réel s’enfonce dans la pauvreté. Le budget 2026 en est une preuve éclatante. En finançant l’État plutôt que la nation, en glorifiant la défense tout en ignorant la guerre sociale, en tolérant des institutions obèses et en négligeant la pauvreté extrême qui nourrit l’insécurité, la RDC s’enferme dans une impasse stratégique. Elle ne sortira de la stagnation qu’en réorientant son budget, sa Constitution et sa vision vers un contrat social réel, où la sécurité découle du développement et non de la peur, et où l’État cesse enfin d’être son propre premier bénéficiaire.

Jo M. Sekimonyo, PhD

Économiste politique, théoricien, militant des droits humains et écrivain. Chancelier de l’Université Lumumba.

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