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La colonisation européenne de l’Afrique ne s’est pas limitée à des conquêtes armées, à des massacres et à l’exploitation des ressources. Elle a aussi été une appropriation de symboles spirituels et politiques. Elle a conduit à l’effacement d’un monde social, culturel et symbolique.
Un livre paru en 2024, Quinze vols coloniaux : un guide sur le patrimoine africain pillé dans les musées , s’ajoute à la littérature croissante sur l’histoire du pillage colonial de l’art et du patrimoine africains et sur la question de la restitution, de la réappropriation et du retour. Publié par Pluto, le livre est édité par l’artiste multidisciplinaire d’origine ghanéenne Sela K. Adjei et le chercheur postdoctoral basé à Berlin Yann Le Gall.
L’ouvrage s’ouvre sur une préface puissante de Peju Layiwola, historienne de l’art, artiste plasticienne et professeure d’art et d’histoire de l’art à l’Université de Lagos. Suivent ensuite 33 auteurs africains et afro-diasporiques – historiens, conservateurs, artistes et activistes. Ils décrivent en détail la signification politique, symbolique et culturelle de ce qu’ils refusent d’appeler des « objets ». Ils relatent les conditions de leur pillage, leur sort dans les institutions occidentales ou dans les collections privées, les efforts nécessaires pour les exhumer de l’effacement et de l’oblitération, et les questions que soulève le rapatriement de chaque cas.
Lire chaque chapitre, c’est pénétrer dans le monde pervers de la collection coloniale. C’est prendre conscience des mensonges, de l’ignorance arrogante, de la certitude imbécile de l’officier colonial, du collectionneur, de l’explorateur. Chacun démontre que la colonisation a été synonyme d’humiliation et de dégradation de l’esprit humain.
Le pillage des œuvres d’art en temps de guerre n’était pas une nouveauté. Ce qui rendait le pillage colonial européen particulier, c’était que le butin remplissait une institution spécifique, le musée.
Les pillages coloniaux ont envahi les musées européens. A tel point que leurs collaborateurs sont toujours incapables de décrire précisément ce que renferment leurs collections. La diversité et l’ampleur des pillages témoignent de la cupidité des colons européens qui ne se sont pas contentés de voler dix tambours sacrés ou cent arcs, mais des milliers. Ils ont tout dérobé : chemises porte-bonheur, armes, bijoux, statues, flèches, symboles de pouvoir.
C’est pourquoi, affirment tous les auteurs, il faut du temps pour décortiquer ce que le colonialisme a occulté et ce que l’eurocentrisme a ignoré.
Quinze vols coloniaux devrait être une lecture obligatoire pour quiconque souhaite participer à une discussion sur le pillage du continent africain. C’est un argument puissant en faveur de l’inclusion des experts et des communautés africaines dans le processus de réappropriation. Il est rigoureusement documenté et ne se concentre pas sur des cas exemplaires comme celui des bronzes du Bénin . Plus important encore, il transmet les points de vue des descendants des dépossédés.
L’idée de demander à des artistes africains d’illustrer le livre plutôt que d’utiliser l’imagerie coloniale est brillante. L’intégration de codes QR à travers les textes permet au lecteur d’en apprendre davantage sur une personnalité ou un événement. Cela ouvre un espace de conversation entre différentes sources de connaissances.
Ce livre constitue un exemple de publication sur la violence systémique, le pillage, le silence et la réparation.
Pillage et collecte
Le livre est divisé en trois parties : Le champ de bataille, Le palais royal et Le sacré. Ces parties sont à leur tour divisées en chapitres. Les 15 chapitres présentent une grande variété de cas pour faire valoir que le patrimoine africain pillé ne se résume pas seulement à des masques ou à des portes sculptées arrachées aux palais. Il s’agit également, par exemple :
Les auteurs restituent toutes les dimensions des 15 spoliations coloniales, reconnaissant que le terme « objet » dépouille les collections de leur humanité et de leur essence spirituelle.
Les éditeurs citent Heinrich Umlauff, directeur du Musée ethnographique de Berlin et du marchand d’art allemand JFG Umlauff, qui écrivait en 1914 que « les Africains sont très attachés à leurs biens et en particulier aux vieux objets familiaux hérités… Ce n’est qu’en temps de guerre ou dans le cas de grandes expéditions que les conditions sont plus favorables, lorsque le pouvoir exerce une certaine pression ». Cela démontre une fois de plus que prendre des « biens » aux Africains exigeait non seulement la violence, mais aussi que les Africains, contrairement à l’idéologie coloniale, accordaient une grande valeur à leur héritage
En volant et en s’appropriant des symboles spirituels et politiques, en brûlant des palais, des bibliothèques et des temples et en organisant des cérémonies publiques de reddition honteuses, les puissances colonisatrices européennes ont cherché à effacer tout signe de vie culturelle, sociale et spirituelle.
Les cosmologies et les savoirs africains ont été ignorés.
Rapatriement, retours, réappropriation
Ce guide est un apport précieux au débat sur le rapatriement de l’art et du patrimoine africains qui dure depuis des décennies. Son urgence a été réaffirmée par le rapport de 2018 commandé par Emmanuel Macron, président de la République française, qui détaille le pillage systémique de l’art africain, les premières demandes de restitution et le réflexe défensif des musées européens. Ses auteurs appellent à une « nouvelle éthique relationnelle ».
Le rapatriement n’est plus un sujet marginalisé, mais il n’apporte encore que peu de résultats. Les obstacles sont nombreux : la réticence des musées ; la difficulté des Africains à obtenir des visas pour se rendre en Europe ; le coût des recherches ; les barrières juridiques (le patrimoine africain est devenu propriété des musées) ; les conditions imposées au retour.
Pour les auteurs de Quinze vols coloniaux, le rapatriement va au-delà de la remise en cause des récits eurocentristes et de la réécriture de l’histoire africaine. Il s’agit d’un long processus qui doit être mené avec les communautés qui réclament la restitution de leur patrimoine.
Françoise Vergès
Chercheur honoraire principal, Centre Sarah Parker Remond, Institut d’études avancées, UCL
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