Tribunes Économiques

L’économie congolaise ne peut pas être qualifiée d’extravertie, malgré ce que beaucoup se plaisent à croire et à déplorer (Tribune de Jo M. Sekimonyo)

L’économie congolaise, qualifiée de manière flatteuse et trop exagérée d’« extravertie », peine à se hisser au niveau des économies réellement intégrées à l’échelle mondiale. La raison ? Elle n’est tout simplement pas industrialisée, un détail insignifiant pour ceux qui confondent l’exportation de minerais bruts avec une réelle intégration dans les chaînes de valeur globales.

En RDC, les matières premières tout comme les autres secteurs à faible valeur ajoutée sont la norme, bien loin des produits finis emblématiques d’une économie véritablement extravertie. Et tant que l’industrialisation reste un « détail » manquant, l’économie congolaise continuera de danser au rythme imprévisible des marchés mondiaux, transformant l’idée même d’une « extraversion » en douce ironie.

Et pourtant, on se plaît à rappeler que l’extraversion économique n’est pas un péché ; c’est même une recette de modernisation bien rodée pour des pays comme le Japon, la Corée du Sud, Taïwan, le Vietnam, et la Chine. Ces nations ont d’abord joué la carte de la « manufacture du monde » avant de se lancer dans des secteurs comme l’électronique et l’automobile. La Corée du Sud, par exemple, est passée de 32 millions USD d’exportations en 1960 à 604 milliards en 2022. La Chine, quant à elle, a gonflé son PIB de 200 milliards USD en 1980 à 17 000 milliards en 2022 en produisant à la chaîne. Alors, si l’extraversion économique est un péché, c’est peut-être celui qui rapporte le plus.

La Diversification ? Trop Vintage !

Les Congolais crient haut et fort le besoin de « diversification économique ». Une belle idée, mais soyons réalistes, c’est du vintage, une idée « préhistorique », bonne pour les musées ! Le monde moderne, lui, parle de de-risking. Les puissances comme les États-Unis, l’UE, et la Chine l’ont bien compris : : ils recadrent leurs économies et fuient les zones « à risques » ou sous l’influence des concurrents, histoire d’éviter les mauvaises surprises et de ne pas se retrouver pris au piège.

L’administration Biden, par exemple, incite les entreprises américaines à ramener leurs usines à la maison et à injecter des milliards dans les semi-conducteurs pour rattraper la Chine. L’Europe, elle, s’accroche à son Pacte de stabilité pour ne pas se prendre les pieds dans le tapis des crises. Et la Chine, elle, place ses investissements dans les infrastructures de ses alliés préférés, en évitant soigneusement tout ce qui pourrait troubler la tranquillité nationale de leurs chaines d’apprivoisement en matières premières et de déversement de leurs produits.

La diversification, sérieusement ? C’est tellement 1980 ! Mais pour avoir le luxe de faire du de-risking, il faudrait d’abord moderniser notre économie… un petit détail qu’on a tendance à oublier.

Le mythe qu’on se raconte nous berce d’illusions

Imaginez Zaïre, 64 ans, toujours chez ses parents. Il a un diplôme en génie minier, mais il se contente d’un petit boulot à temps partiel, gagnant à peine 600 $ par an. Et pourtant, sur la place du quartier, il clame fièrement qu’il pourrait gagner 24 000 $ par an grâce à ses qualifications. Il se considère même comme le deuxième homme le plus riche du coin, juste derrière George, qui fait 35 000 $, mais bien au-dessus de Ching et ses 20 000 $ dans la tech, et Geneviève, qui se débat avec ses 12 000 $.

Ce qui rend l’histoire de Zaïre hilarante, c’est que tout le monde l’écoute et acquiesce, sans même réaliser que George, avec un doctorat en finance, pourrait toucher 250 000 $ par an, que Ching, docteur en physique, pourrait en gagner 231 000 $, et que Geneviève, avec un doctorat en business, pourrait atteindre les 200 000 $. La richesse potentielle de Zaïre semble alors un peu moins impressionnante, n’est-ce pas ?

Zaïre, c’est la RDC. On aime se comparer à la Chine en mettant en avant nos ressources naturelles de 24 000 milliards de dollars, contre le PIB chinois de 17 000 milliards. Un détail qu’on oublie souvent : la Chine a aussi des ressources naturelles, estimées à 23 000 milliards. Bref, comme Zaïre avec ses rêves de grandeur, la RDC a parfois du mal à voir sa propre réalité.

Je ne conseillerais pas à Zaïre de se mettre à cultiver des tomates pour se nourrir, tout comme je ne dirais pas à la RDC de faire de l’agriculture sa priorité. C’est la technologie qui conduira à l’intégration des Congolais dans les chaînes de valeur mondiales qui pourraient rendre notre économie vraiment extravertie.

Une nouvelle boussole pour les générations à venir

Deux générations ont pavé la route qui nous a conduits ici. Parlons d’abord de la génération silencieuse, celle de nos grands-parents, que je qualifie en RDC de génération des brutes (1923-1940), pleine des illettrés et forgée par l ’ignorance imposée par la colonisation, et de celle des baby-boomers, ou plutôt, devrions-nous dire, de la génération des bébé-gaffeurs (1941-1965) qui, malgré les diplômes des grandes études et des PhD, a dilapidé les ressources du pays. Pendant que la Chine et la Corée du Sud faisaient des grands bonds en avant, ou devrions-nous dire, leur miracle économique, nos bébé-gaffeurs jouaient aux évolués, obsédés par l’approbation de Mobutu et occidentale plutôt que par le développement national. Ils ont signé et accepté les folies d’un dictateur et toutes les réformes des institutions internationales sans jamais mesurer l’impact sur la population.

Mais ce poison continue de circuler dans la société congolaise, car ces bébé-gaffeurs se sont vu confier par la génération des brutes les institutions académiques et du système judiciaire, façonnant la morale publique et la vision de l’État sur une voie complètement erronée. Avec leur myopie économique et leur obsession du prestige, ils ont transmis cet état d’esprit à la Génération X, qu’on pourrait surnommer pour la RDC la Génération MPR (1966-1979), dont beaucoup sans scrupule s’appliquent à verrouiller le statu quo.

Le défi majeur aujourd’hui n’est pas seulement de couper le cordon générationnel. La Génération MPR a la lourde tâche de rediriger les Millennials, ou en RDC, la Génération Mobutu (1980-1996), sur une toute nouvelle quête que nos grands-pères, la génération brute, et nos parents, la génération des bébé-gaffeurs, ont échoué à mener. C’est la modernisation des capacités des citoyens. Cette priorité n’est pas seulement d’ordre économique, mais profondément stratégique. La clé dans ce sens et de l’influence mondiale réside dans la technologie, véritable moteur aujourd’hui qui redéfinit les relations géopolitiques, les échanges commerciaux et l’avenir global. Elle impacte tout, de la production manufacturière et agricole à la santé, la finance, et l’éducation, devenant ainsi le pilier essentiel de demain.

Jo M. Sekimonyo

Économiste politique, théoricien, militant des droits de l’homme et écrivain

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