Analyses

La principale alternative au PIB est en proie à un désaccord technique

De nombreux observateurs estiment que le monde devrait cesser de mesurer la réussite économique en termes de croissance du PIB. Certes, la croissance a apporté la prospérité et des richesses incalculables, mais elle a eu des effets secondaires négatifs importants pour la planète, notamment le changement climatique, la pollution et l’extinction des espèces. Aucun de ces effets n’est pris en compte dans les données du PIB.

Au cours des dernières décennies, un mouvement « au-delà du PIB » a émergé, qui prône l’adoption d’une nouvelle façon de mesurer la richesse des nations. Le débat sur la meilleure alternative est en cours et de nombreux indicateurs ont leurs partisans, comme le bonheur national brut et l’ indicateur de progrès réel .

Il y a pourtant une notion qui se démarque et qui bénéficie de loin du plus grand soutien des grandes institutions internationales. Connue sous le nom de « richesse inclusive », elle élargit ce que nous entendons par richesse pour inclure des éléments tels que l’environnement naturel et les capacités de la population. Mais elle pose un problème majeur. Il n’existe pas de consensus sur la manière dont elle doit être mesurée, de sorte que les différentes institutions publient des chiffres très différents. À notre avis, cela constitue un obstacle majeur à son adoption massive.

Richesse inclusive

La richesse inclusive attribue une valeur aux actifs qu’une nation a produits et qui génèrent du bien-être, et mesure leur évolution au fil du temps. Ces actifs sont :

  • Capital humain : les connaissances et les compétences de la population.
  • Capital produit : biens et services produits par l’effort humain.
  • Capital naturel : la somme de tous les actifs naturels dont les humains tirent leur bien-être, aujourd’hui et dans le futur.
  • Capital social : les réseaux sociaux qui existent au sein d’une société.

Il existe un solide argument théorique en faveur de l’idée selon laquelle cette approche constitue un bon moyen de mesurer la durabilité du développement économique . L’idée essentielle est que lorsque la richesse inclusive par habitant augmente, le bien-être futur de la population augmente également, ce qui est une condition nécessaire au développement durable.

Les textes fondateurs en faveur de la richesse inclusive comprennent le livre de 2001 de l’économiste de Cambridge Partha Dasgupta, Human Well-Being and the Environment, et le livre de 2003 de son homologue de Harvard Martin Weitzman , Income, Wealth and the Maximum Principle.

En 2021, Dasgupta a mené pour le gouvernement britannique une étude sur l’économie de la biodiversité, qui préconise également de mesurer la richesse nationale inclusive plutôt que le revenu national. Des universitaires dans ce domaine ont également appelé récemment à utiliser la richesse inclusive pour contribuer au cadre mondial de la biodiversité , une initiative menée par l’ONU visant à « vivre en harmonie avec la nature » d’ici 2050.

La richesse inclusive est mesurée à la fois par la Banque mondiale et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) . La Banque mondiale la mesure depuis la fin des années 1990 et a publié pour la première fois des estimations mondiales dans un rapport de 2006 intitulé Where is the wealth of nations : Measuring capital for the 21st century. Elle a depuis publié trois mises à jour majeures de ce rapport, dont une révision majeure de la méthodologie, et une autre est en cours. Quant au PNUE, il a commencé à mesurer la richesse inclusive en 2012 .

Mais il reste encore quelques points à régler avant que cet indicateur puisse être utile. Dans un nouvel article publié dans Ecological Economics , nous comparons les approches de la Banque mondiale et du PNUE et constatons une divergence importante dans leurs calculs.

Cela peut expliquer pourquoi la richesse inclusive n’a pas encore été adoptée de manière sérieuse par les grandes économies (tout ce que nous avons vu jusqu’à présent, ce sont quelques mentions dans des documents politiques, comme celui-ci de la Nouvelle-Zélande, et une récente décision de l’ administration Biden-Harris de commencer à suivre la valeur des ressources naturelles américaines au niveau fédéral en utilisant la comptabilité du capital naturel).

Les divergences concernent principalement le capital naturel. Le PNUE et la Banque mondiale utilisent des données similaires, voire identiques, sur les mêmes éléments : les ressources non renouvelables, comme les combustibles fossiles et les minéraux, et les ressources renouvelables, comme les ressources halieutiques et forestières. Le problème est que les équipes de recherche des deux institutions les évaluent différemment.

La Banque mondiale calcule la valeur actuelle des bénéfices futurs attendus en les actualisant par rapport à leur valeur réelle. En revanche, le PNUE utilise des prix comptables fixes, appelés « prix fictifs », qui sont basés sur les prix du marché actuels.

Cela conduit à des conclusions différentes sur la trajectoire de notre capital naturel et, par conséquent, sur la durabilité des trajectoires de développement actuelles. Cette divergence est encore exacerbée par une autre divergence sur la façon dont les institutions mesurent les changements dans le capital humain.

Différences entre les pays

Dans notre article, nous mettons en lumière le cas du Qatar. Selon le PNUE, ce pays est l’un des moins performants en termes d’évolution de la richesse inclusive par habitant et est donc jugé non durable. Pourtant, selon les estimations de la Banque mondiale, la richesse inclusive par habitant du Qatar connaît une croissance positive.

Qu’en est-il ? Si le développement n’est pas durable, des mesures correctives seront nécessaires, mais s’il est durable, pas de problème. Comment le gouvernement qatari va-t-il décider de la marche à suivre ?

Nous constatons des signaux contradictoires similaires pour de nombreux autres pays. Selon les données de la Banque mondiale, la richesse inclusive par habitant de 20 pays est en déclin (en d’autres termes, insoutenable), tandis que les données du PNUE indiquent que 45 pays sont en déclin. Il y a également peu de recoupements entre ces deux listes.

Selon le PNUE, pas moins de 34 pays qui, selon la Banque mondiale, connaissent une croissance de la richesse inclusive par habitant sont en déclin.

Nous sommes tout à fait d’accord avec l’idée fondamentale selon laquelle la mesure de la richesse inclusive est essentielle pour garantir un développement durable du monde. Mais il faut adopter une approche plus cohérente pour que ce signal soit suffisamment crédible pour être largement adopté. D’après notre expérience, la Banque mondiale est beaucoup plus transparente que le PNUE sur les données utilisées dans ses calculs. Sans une transparence totale du PNUE, il est difficile de déterminer la cause de l’écart.

Cela étant dit, les deux grandes approches ont leurs mérites. Il s’agit donc davantage d’une question de volonté commune de tous les acteurs plutôt que de débattre de la supériorité de l’une sur l’autre. Tant que ce problème de mesure ne sera pas résolu, il sera difficile d’imaginer que les pays prennent au sérieux la question de la richesse inclusive. Cela pourrait avoir de graves conséquences dans la lutte pour un développement économique durable.

Eoin McLaughlin

Professeur d’économie, University College Cork

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