Dans un article de l’AFP publie le 04 février 2019 (https://www.nouvelobs.com/monde/afrique/20190204.OBS9612/pour-jean-yves-le-drian-l-election-en-rdc-s-est-reglee-par-un-compromis-a-l-africaine.html), on peut lire une déclaration de l’ancien ministre français des affaires étrangères selon laquelle: « Félix Tshisekedi est devenu président dans une configuration très particulière et propre à la République du Congo ». Pour Jean-Yves Le Drian, l’élection en RDC s’est réglée par un « compromis à l’africaine ».
A l’époque, le ministre français était interrogé par France-Inter sur une éventuelle contradiction entre la fermeté affichée par la France face à l’élection contestée de Nicolas Maduro au Venezuela et la reconnaissance par Paris de l’élection – également contestée – de Félix Tshisekedi comme président de RDC alors que quelques jours auparavant il avait déclaré : « Sur l’élection dans la République démocratique du Congo, j’ai fait observer que les résultats ne semblaient pas correspondre à toutes les informations que l’on pouvait avoir par ailleurs de sortie des urnes. J’observe que je n’étais pas le seul puisque l’Union africaine a fait la même déclaration en s’interrogeant même sur la nécessité de recompter les bulletins ».
Finalement c’est quoi cette affaire de « compromis à l’Africaine» qui a encore resurgi lors de la dernière visite d’Emmanuel Macron a Kinshasa ? En un mot, il s’agit d’un processus d’accession au pouvoir qui a toutes les apparences d’une démocratie mais dont le produit final ne correspond pas aux résultats des urnes. En d’autres termes, le souverain primaire est complètement exclu du choix final des dirigeants censés répondre à ses attentes. En d’autres termes, il s’agit d’une fraude électorale.
Comme le dit Jacques Ould Aoudia, en RDC comme dans bien d’autres pays, les batailles politiques sur des enjeux réels des élections restent très confuses pour la plupart des électeurs. Et que dire de la transhumance politique qui voit des élus changer de camp ? Ainsi que du recours à l’argent pour influencer les votes des couches sociales les plus pauvres ? Devant cette confusion, on ne vote pas. Ou bien « on vote pour quelqu’un de chez soi » car on le connait, on lui fait confiance a priori. C’est la force du lien. Et s’il trahit la confiance, on a un (léger) moyen de pression sur lui, puisqu’on est de la même région.
En RDC, ces « compromis » à l’Africaine ont conduit à une véritable régression citoyenne. En effet, le jeu politique tel qu’il est pratiqué dans le cadre des règles informelles entraine une régression citoyenne majeure. Un repli sur les identités sectaires sous leurs différentes formes. Il renforce la primauté du lien tribal ou à la coterie qui s’effectue au détriment du droit.
Au terme de ces processus où la loi, la vérité, la transparence… ont été mises à mal, les élections ne tranchent plus les questions majeures qu’affrontent dans la vie quotidienne les populations. Seuls les « gagnants » des élections en défendent les résultats et le principe. Ce qui entraîne la poursuite du conflit qui couve sous les cendres pour les supporters des partis perdants. Et un rejet du système politique pour la majorité de la population. Et c’est ici que le principe du « compris à l’Africaine » devient une véritable malédiction, particulièrement lorsqu’elle court sur plusieurs cycles électoraux !
Le compromis à l’Africaine conduit à une profonde fracture sociale
Le problème fondamental du “compromis à l’Africaine” est qu’il confère les reines du pouvoir à un groupe de personnes qui devrait pas être au pouvoir si les règles démocratiques étaient respectées. Ce groupe est donc perçu comme usurpateur. Rappelez-vous que Monsieur Fayulu avait qualifié les résultats de la présidentielle du 30 décembre 2018 de « putsch électoral » du président Joseph Kabila avec la complicité de Félix Tshisekedi. La grande majorité peut ne pas le dire, mais le sentiment est quasiment le même. Ce même sentiment est beaucoup plus rampant au niveau de toutes les institutions du pays. Sachant qu’il est arrivé aux affaires sans l’avis express du souverain primaire, le nouveau pouvoir ne se sent pas du tout redevable à cette population. En face d’une telle opposition, le nouveau pouvoir n’a d’autre choix que de se replier sur une bande des sympathisants et loyalistes qui trouvent là une opportunité pour une meilleure vie dans un contexte social de plus en plus délétère. D’où la naissance d’un cratère social. Bien plus, le groupe des sympathisants et loyalistes est disposé à tout faire pour « protéger » le nouveau pouvoir même si cela passe par la réduction du bien-être de la population.
Avec le temps, il se développe alors une profonde méfiance de la majorité de la population à l’égard des nouvelles institutions. Quelles sont les implications de cette méfiance à l’égard des institutions sur les relations sociales de la population ? En général, institutions ont au moins deux fonctions pour réguler les relations sociales des citoyens : fournir aux gens un sentiment de sécurité et des références pour les normes et les valeurs du groupe. La méfiance à l’égard des institutions mine ces deux fonctions et produit donc une gamme de résultats sociétaux négatifs en ayant un impact sur les relations interpersonnelles, intra-groupe et entre les groupes socio-économiques. Plus précisément, la suspicion à l’égard des institutions réduit la confiance envers les dirigeants, la coopération au sein du groupe, l’engagement et le comportement prosocial, et augmente les préjugés, les conflits intergroupes, la polarisation et l’extrémisme. Bref, un véritable cocktail social prêt à exploser à tout moment. La RDC en est un exemple parfait.
Si en plus les institutions sont perçues comme inaptes – ou réticentes – à intervenir lorsque d’autres ont des intentions malveillantes, les individus sont moins disposés à soutenir les initiatives publiques quelle que soit leur valeur sociale. Par conséquent, les indices indiquant une faible qualité institutionnelle – que l’on ne peut pas compter sur les institutions en cas de besoin – ont des effets néfastes sur la confiance interpersonnelle. En effet, la perte de confiance dans les autres est associée à l’injustice perçue des règles de procédure (p. ex., démocratie), à l’abus de privilège et à la corruption généralisée. La fragmentation sociale qui en résulte mettra en mal toute initiative de développement.
Le compromis à l’Africaine renforce l’illégitimité des institutions ainsi que l’instabilité politique
La fraude électorale, en consolidant l’illégitimité politique, fait toujours craindre qu’elle ne facilite la corruption et n’entrave la croissance économique en empêchant les électeurs de demander des comptes aux élus. La promesse de la démocratie est qu’elle permet aux électeurs de tenir les élus responsables de leur performance. Cependant, lorsque les résultats des élections peuvent être manipulés par la fraude, les élus peuvent ne plus être incités à répondre aux besoins de leurs électeurs. Pire encore, ils peuvent adopter un comportement corrompu qui nuit à la croissance économique, par exemple en exploitant la bureaucratie pour obtenir des pots-de-vin des entreprises. Un manque de responsabilité électorale peut expliquer pourquoi, malgré la montée en puissance des institutions démocratiques dans le monde, la corruption et la piètre performance des gouvernements demeurent des problèmes persistants, en particulier dans les pays en développement.
La légitimité politique est souhaitable pour tout système de gouvernance, principalement parce qu’il est supposé qu’il existe une relation positive entre la légitimité politique et la stabilité politique (les variables en jeu sont, au contraire, ce qui doit être discerné). En fait, en étudiant la stabilité politique, Hurwitz (1973) a caractérisé la légitimité comme l’une de ses « constructions définitionnelles ». Au fil des ans, le débat sur la question de savoir si l’un est une conséquence de l’autre a abouti à l’accord général que les deux sont congruents. La stabilité politique peut être comprise comme un phénomène dynamique qui implique un ou plusieurs des éléments suivants : l’absence de violence, la longévité ou l’endurance gouvernementale et l’harmonie sociale (Hurwitz 1973). L’illégitimité affaiblit la stabilité politique ou, à tout le moins, diminue la probabilité de stabilité politique.
Le compromis à l’Africaine ne permet pas de bâtir des institutions pour le développement
Les institutions propices au développement assurent une plus grande expression de soi, permettent la libre circulation de l’information et encouragent la formation d’associations et de clubs. Ceux-ci forment des relations sociales prospères, qui favorisent une plus grande interaction économique grâce à des niveaux de confiance accrus et à une plus grande disponibilité de l’information. Ils permettent un plus grand partage des ressources par le biais d’institutions démocratiques et de l’utilisation de l’État pour réduire le risque lié à l’activité économique. L’État-providence est un exemple d’institution qui met en commun ses ressources pour limiter les effets négatifs des cycles économiques sur les revenus et le chômage. Les institutions propices au développement mettent en commun leurs ressources pour fournir les investissements dans l’éducation, la santé et les infrastructures qui sont à la base de l’interaction économique et qui sont nécessaires et complémentaires à l’investissement privé. Il s’agit notamment d’organismes publics, de syndicats, de structures communautaires et d’associations professionnelles. Ils constituent le tissu qui détermine la réponse aux lois et aux décisions gouvernementales. Le plus souvent, ils façonnent eux-mêmes ces résultats. Des telles institutions ne peuvent pas exister et être performantes dans un environnement institutionnel teinté d’illégitimité.
Il existe de nombreuses preuves que les institutions jouent un rôle important dans la détermination du niveau de développement économique d’un pays. Les analyses transnationales utilisant des indicateurs tels que le degré de protection des droits de propriété, l’état de droit et les libertés civiques et montrent qu’ils sont fortement corrélés à la performance économique. En effet, les institutions déterminent les coûts des transactions économiques : elles stimulent le développement sous la forme de contrats et d’exécution des contrats, de codes commerciaux communs et d’une disponibilité accrue de l’information, ce qui réduit les coûts des transactions, les risques et l’incertitude.
Les institutions déterminent le degré d’appropriabilité du retour sur investissement: la protection des droits de propriété et l’état de droit stimulent l’investissement et augmentent ainsi les revenus. Les institutions déterminent également les possibilités d’oppression et d’expropriation des ressources par les élites : les institutions inégales qui permettent la domination des élites puissantes sur les échanges économiques limitent fortement le développement, comme on peut le voir dans le cas de nombreux pays ex-coloniaux. Enfin, les institutions déterminent dans quelle mesure l’environnement est propice à la coopération et à l’accroissement du capital social.
Les institutions inclusives et participatives augmentent la circulation de l’information et la mesure dans laquelle les ressources peuvent être mises en commun pour réduire les risques et assurer des niveaux de richesse durables. Cela cadre bien avec la conclusion des études historiques selon laquelle les institutions de haute qualité d’aujourd’hui sont enracinées dans une plus grande égalité, la concurrence politique et les normes de coopération dans un passé lointain. Les institutions influent fortement sur le développement économique des pays et agissent dans la société à tous les niveaux en déterminant les cadres dans lesquels les échanges économiques ont lieu. Ils déterminent le volume d’interactions disponibles, les avantages des échanges économiques et la forme qu’elles peuvent prendre. Une démocratie fondée sur le « compromis a l’Africaine ne produira jamais des institutions pour promouvoir le développement. Encore une fois, la RDC est en un parfait exemple.
Le compromis à l’Africaine conduit naturellement à l’ineptocratie
« L’ineptocratie est le système de gouvernement dans lequel les moins préparés à gouverner sont élus par les moins capables à produire et les moins capables à se procurer leur subsistance, qui est donné avec des biens et des services payés avec des impôts sur le travail et la richesse d’un nombre décroissant de producteurs, et tout cela promu par une gauche populiste et démagogue qui prêche des théories qu’ils savent avoir échouées là où elles ont été appliquées, à des gens qui se savent idiots » (Jean d’Omersoon).
Quiconque se perçoit comme un producteur net se hérissera naturellement à l’idée qu’il pourrait bien vivre dans une ineptocratie, car cela signifie qu’il passera sa vie en minorité et passera sa vie, à un degré ou à un autre, esclave de la fourniture de biens à d’autres qui sont « les moins susceptibles de subvenir à leurs besoins ». Pour certains qui arrivent à cette conclusion, la réaction immédiate est de dire : « Eh bien, changeons le système. » La plupart reconnaîtront que cela ne peut pas être fait par une seule personne, alors ils rejoignent plutôt des groupes avec des personnes qui semblent partager les mêmes idées que ses membres.
La vérité est que ceux qui espèrent « changer le système », pour le rendre plus équitable, ne réussiront pas, car ceux qui ne sont pas des producteurs nets ont tendance à être majoritaires. Par conséquent, un changement démocratique pour le mieux, par définition, ne peut avoir lieu. Le système, par définition, assure qu’avec le temps, la position de la majorité (ceux qui ont le moins de chances de se maintenir) se renforcera davantage.
Cela peut-il être arrêté? Le processus peut-il être inversé d’une manière ou d’une autre? L’histoire nous dit que ce n’est pas possible. C’est le résultat inévitable. Et c’est logique. Après tout, la majorité des électeurs seraient des perdants nets s’ils votaient pour un renversement. Et les politiciens ? Même si un chevalier blanc entrait dans la course, il n’est pas garanti que la majorité des électeurs vont le soutenir. Et les autres politiciens feraient tout ce qui est à leur pouvoir pour le détruire. Après tout, ils sont les premiers destinataires de l’aboutissement du résultat logique. Si nous prenons le temps d’examiner et d’absorber la progression naturelle d’une démocratie, il nous reste trois choix possibles :
Pour la grande majorité des gens qui ont passé leur vie dans le premier système, il est extraordinairement difficile de considérer, et encore moins d’accepter, que, alors qu’ils étaient autrefois dans l’élite bourgeoise, la fête est maintenant terminée.
La grande majorité se retrouvera en fait avec le choix #1, en raison de leur propre apathie. Un petit nombre peut choisir l’option #2 et, par conséquent, pourrait bien être récompensé par une sortie prématurée. Un petit nombre choisira l’option #3. Au fur et à mesure que le grand exode progressera, nous verrons un nombre croissant de personnes tenter de le faire, mais beaucoup sous-estimeront le terme « servitude » et supposeront qu’ils peuvent retarder la décision « jusqu’à ce que cela commence vraiment à aller mal ». Ils constateront probablement que les options de sortie se sont refermées progressivement, sous la forme de lois toujours plus restrictives.
Mot de la fin
Le concept de démocratie, dans sa forme la plus simple, peut être défini à l’aide des deux mots grecs demos (peuple) et kratos (gouvernement) qui se combinent pour former le mot démocratie, qui signifie « gouverner par les personnes ». C’est l’idée classique de la démocratie.
Beetham considère ce concept comme un « mode de prise de décision concernant des règles et des politiques collectivement contraignantes sur lesquelles le peuple exerce un contrôle, et l’arrangement le plus démocratique être celui où tous les membres de la collectivité jouissent de droits égaux effectifs pour participer directement à cette prise de décision – c’est-à-dire qui réalise au plus haut degré concevable les principes du contrôle populaire et de l’égalité dans son exercice… ».
Ainsi, la démocratisation est un processus de changement politique qui déplace le système politique d’une société donnée vers un système de gouvernement qui assure une participation politique compétitive et pacifique dans un environnement qui garantit les libertés politiques et civiles de tous. Un tel change est impossible dans un système de « compromis à l’Africaine ».
Certes une minorité peut continuer à jouir des bénéfices d’utiliser les ressources publiques pour optimiser des fonctions de bien-être privés, mais pour la majorité, le compromis à l’Africaine restera une véritable malédiction.
Dr. John M. Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
La présidence Tshisekedi vient procéder à des permutations dans la hiérarchie militaire, une décision qui…
Le chambardement au sein de l'armée congolaise n'est pas fait par hasard. Après l'échec du…
L’ouverture d’une « clinique de traitement du retrait du hijab » pour « offrir un…
Le président élu américain Donald Trump a invité le président chinois Xi Jinping à son…
Le Corridor de Lobito est un projet de développement majeur reliant les zones riches en…
La gastronomie africaine, avec ses saveurs vibrantes, ses traditions profondément enracinées et ses techniques culinaires…