La dette publique est souvent perçue comme un élément incontournable des politiques économiques modernes. Elle agirait comme un relais naturel de la dette privée dans un contexte où l’épargne globale dépasse l’investissement. Mais cette perception mérite d’être nuancée, car elle repose sur plusieurs hypothèses qui peuvent être remises en question.
À première vue, la dette publique semble remplir une fonction cruciale dans une économie où l’épargne globale, tant celle des ménages que des entreprises, dépasse les besoins d’investissement. En effet, les entreprises, tout comme les ménages, sont souvent en position de créanciers nets. Cette situation génère un surplus d’épargne qui doit être absorbé par d’autres acteurs économiques, notamment les gouvernements, qui peuvent emprunter ces fonds pour financer des dépenses publiques.
Ce mécanisme, en apparence, confère à la dette publique un rôle stabilisateur : elle permet de recycler l’excès d’épargne sous forme de dépenses publiques, stimulant ainsi l’économie et évitant une stagnation due à un manque de demande. Cependant, cette approche fait abstraction des effets secondaires et des comportements anticipateurs des acteurs économiques.
Une explication incomplète
Une autre explication possible du surplus d’épargne provient de ce que l’on appelle l’équivalence ricardienne. Selon cette théorie, les ménages et les entreprises anticipent des hausses futures de la fiscalité en réponse à l’augmentation de la dette publique. Ils épargnent donc davantage aujourd’hui en prévision de l’augmentation future des impôts, nécessaire pour rembourser cette dette. En conséquence, ce surcroît d’épargne n’est pas nécessairement un excès, mais une réponse rationnelle à la politique budgétaire actuelle trop dépensière.
Ce phénomène peut créer un cercle vicieux : les entreprises épargnent « trop » par crainte d’une future hausse des impôts, ce qui limite l’investissement privé, renforce le rôle du gouvernement dans l’économie et justifie encore davantage l’endettement public. En d’autres termes, loin d’être une solution indispensable, la dette publique pourrait en réalité être un symptôme de comportements économiques anticipatifs. Son rôle de relais nécessaire pour soutenir la demande globale serait partiellement en trompe-l’œil.
Les dangers d’une dette publique trop élevée
Quelle que soit l’explication retenue pour justifier l’existence de la dette publique, il est indéniable que des niveaux trop élevés de dette posent des risques importants pour l’économie d’un pays. Parmi les effets bien connus d’une dette publique excessive, on trouve :
le coût croissant du service de la dette : lorsque la dette augmente, les paiements d’intérêts deviennent une part de plus en plus importante du budget de l’État, réduisant ainsi la marge de manœuvre pour financer d’autres priorités (régaliennes, éducation, santé, infrastructures…) ;
le risque de crise de confiance : si les marchés perdent confiance dans la capacité d’un État à rembourser sa dette, cela peut entraîner une augmentation des taux d’intérêt, accentuant encore davantage le coût de la dette et pouvant mener à une crise budgétaire ;
enfin un effet d’éviction sur l’investissement privé : une dette publique excessive peut avoir pour effet de « chasser » les investissements privés, car les fonds disponibles pour prêter aux entreprises sont absorbés par le financement de la dette publique.
Certains seuils devraient alerter les décideurs, toutes choses égales par ailleurs :
tout d’abord, le ratio de la dette publique au PIB : un ratio supérieur à 60 % est souvent considéré comme un seuil préoccupant. Cela signifie que la dette publique représente plus de la moitié de la production économique annuelle d’un pays ;
le ratio des intérêts de la dette sur les recettes publiques : si ce ratio dépasse 10 %, cela indique que plus de 10 % des recettes fiscales sont consacrées au paiement des intérêts de la dette, limitant ainsi la capacité d’investissement de l’État ;
le rapport entre la croissance des dépenses publiques et la croissance économique : si les dépenses publiques augmentent plus rapidement que la croissance du PIB sur plusieurs années, cela peut signaler un risque de déséquilibre budgétaire et une accumulation insoutenable de la dette.
De ces trois points de vue, la dette française est jugée préoccupante, notamment du point de vue de l’équité générationnelle.
Les dangers d’une dette publique « trop faible »
La dette publique est donc souvent perçue sous un angle négatif, associée à des risques de surendettement, de crise budgétaire et de charges d’intérêts élevées. Cependant, il ne faut pas oublier que la dette publique, lorsqu’elle est gérée de manière prudente, peut jouer un rôle clé dans le bon fonctionnement de l’économie d’un pays. Une dette publique trop faible – ou son absence – peut également comporter des risques et priver un État d’un levier important pour gérer l’économie.
Pis encore, une dette publique faible, ou l’absence de dette, n’est pas nécessairement un signe de bonne santé économique. Une dette publique trop faible limite les possibilités de financement de projets régaliens, d’infrastructure, d’éducation, de recherche ou de santé. Ces investissements sont pourtant essentiels pour le développement économique à long terme. Sans dette, l’État peut être contraint de financer ces projets uniquement via des recettes fiscales, ce qui peut entraîner une augmentation des impôts ou une diminution des investissements, freinant ainsi la croissance.
La dette publique permet aux gouvernements de répondre rapidement en cas de crise économique, comme une récession, une pandémie, ou une catastrophe naturelle. Sans la possibilité de s’endetter, un pays serait contraint de réduire ses dépenses ou d’augmenter ses impôts en pleine crise, aggravant la situation. La dette publique sert donc de levier pour soutenir la demande globale et éviter des effets récessifs trop sévères.
France versus Paraguay
Une dette publique trop faible peut également engendrer des déséquilibres sur les marchés financiers. Les obligations d’État jouent un rôle crucial en tant qu’actifs sûrs, offrant aux investisseurs une source de stabilité dans un environnement financier souvent volatile. Ainsi, la France maintient un niveau de dette publique élevé, ce qui lui permet d’émettre régulièrement des obligations d’État. Cette politique assure une liquidité sur le marché et permet aux investisseurs de se tourner vers ces actifs sûrs en période d’incertitude.
Dans le cas de l’Équateur et du Paraguay en revanche, pays où le niveau de la dette publique est compris entre seulement 30 et 40 % du PIB, l’émission d’obligations est plus irrégulière, et les investisseurs ne trouvent pas suffisamment d’actifs sûrs pour diversifier leurs portefeuilles. Cette situation mène à une volatilité accrue, car les investisseurs cherchent des alternatives, souvent dans des actifs plus risqués.
En somme, tandis qu’une dette publique excessive peut « chasser » les investissements privés et nuire à l’économie dans son ensemble, une dette trop faible peut également déséquilibrer les marchés financiers en réduisant l’offre d’actifs sûrs. Il est donc crucial de trouver un équilibre approprié qui permette de soutenir la croissance économique tout en maintenant la stabilité financière.
Banque de France
La dette publique est un outil puissant pour stimuler l’investissement et la demande, notamment en période de récession. Lorsque le secteur privé réduit ses investissements, l’État peut intervenir en augmentant ses dépenses publiques, financées par l’emprunt, pour maintenir l’activité économique et limiter les effets d’une crise. Cela permet également de stabiliser l’emploi et d’éviter une augmentation trop brutale du chômage.
Certains pays, comme Singapour, montrent qu’il peut y avoir une gestion stratégique de la dette. Cependant, utiliser la dette comme une solution de facilité pour financer des déficits récurrents n’est pas viable. Une gestion responsable nécessite une coordination entre politique budgétaire et monétaire, ainsi qu’une fiscalité pour garantir une croissance durable. L’équilibre entre soutien à l’économie et viabilité à long terme est essentiel pour préserver la prospérité future. L’équivalence ricardienne nous rappelle que les acteurs économiques ne sont pas passifs et qu’une dette trop élevée peut in fine nuire à l’économie.
Serge Besanger
Professeur à l’ESCE International Business School, INSEEC U Research Center, ESCE International Business School
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