Analyses

Guerre de Gaza : 75 ans après la signature des Conventions de Genève

Gaza est sous le choc après qu’une frappe de missiles lancée par les Forces de défense israéliennes (FDI) a visé un bâtiment et une mosquée dans un complexe scolaire de la ville de Gaza le 10 août. L’armée israélienne a déclaré que l’école fonctionnait comme un poste de commandement et de contrôle du Hamas, mais les bâtiments abritaient également plus de 6 000 personnes déplacées.

Les autorités palestiniennes ont déclaré que l’attaque avait tué plus de 80 personnes, un chiffre contesté par l’armée israélienne , qui a affirmé que la frappe avait tué 19 combattants, dont de hauts commandants du Hamas.

Le 12 août marque le 75e anniversaire de l’adoption des quatre Conventions de Genève de 1949. Ces conventions demeurent le cœur du « droit international humanitaire » (DIH). Il s’agit de l’ensemble des règles du droit international qui régissent la conduite de la guerre.

Chacun des quatre traités porte sur la protection d’une catégorie particulière de victimes de guerre. Les trois premiers traités (relatifs aux soldats blessés et malades sur terre, aux soldats blessés, malades et naufragés en mer et aux prisonniers de guerre) ont actualisé les traités antérieurs signés en 1899, 1907 et 1929, tandis que le quatrième constitue une véritable innovation. Il prévoit pour la première fois des protections complètes pour les civils .

Ces quatre Conventions de Genève ont désormais été ratifiées par 196 États , ce qui couvre le monde entier. Elles ont également été mises à jour par trois autres traités (ou « protocoles additionnels ») et complétées par divers autres, tels que des traités interdisant ou réglementant certaines armes.

Malgré ces avancées juridiques importantes, le nombre de conflits dans le monde n’a cessé d’augmenter au cours du dernier demi-siècle, et particulièrement au cours des 15 dernières années. Le nombre de décès dus à la violence organisée, y compris la guerre, n’a cessé d’augmenter, en particulier au cours des 25 dernières années (l’année 2023 aurait enregistré le troisième plus grand nombre annuel de décès dus à la violence organisée depuis le génocide rwandais de 1994).

L’offensive israélienne contre Gaza depuis les attaques du Hamas du 7 octobre dernier a fait un nombre considérable de morts – près de 40 000. La majorité d’entre eux étaient des civils, selon les chiffres compilés par le ministère de la Santé de Gaza, qui sont les seuls éléments dont nous disposons. Les actions d’Israël font l’objet d’un examen minutieux, avec des preuves de plus en plus nombreuses de crimes de guerre et de multiples tentatives de responsabilisation , notamment devant la Cour internationale de justice et la Cour pénale internationale.

Quand une école est-elle une cible légale ?

Une école est un exemple classique d’objet civil qui ne peut, en règle générale, être pris pour cible. Cependant, lorsqu’une école est utilisée à des fins militaires, elle peut potentiellement devenir un objectif militaire légitime. Tel serait le cas si son utilisation contribuait effectivement à une action militaire et si sa destruction, sa capture ou sa neutralisation offrait un « avantage militaire certain » . Ainsi, si le bâtiment scolaire abritait un centre de commandement du Hamas ou du Jihad islamique, comme on le prétend, cela pourrait bien en faire un objectif militaire.

Mais même des objectifs militaires ne peuvent être pris pour cible si l’on peut craindre que cela cause des dommages disproportionnés à la population civile. Il s’agit ici de déterminer si ces dommages sont susceptibles d’être « excessifs par rapport à l’avantage militaire concret et direct attendu ».

Il est donc nécessaire d’évaluer, avant toute attaque, les effets probables de la frappe sur la population civile. Étant donné qu’il s’agissait d’un bâtiment situé dans un complexe scolaire qui abritait également une mosquée et un grand nombre de personnes déplacées, il est très difficile d’imaginer qu’il pourrait en résulter autre chose qu’un nombre important de victimes civiles. La légalité de la frappe est donc d’autant plus difficile à justifier.

Une attaque qui va délibérément causer des dommages civils manifestement excessifs est un crime de guerre pour lequel les auteurs peuvent être poursuivis (dans certains cas, leurs commandants/dirigeants politiques peuvent également être poursuivis).

En effet, dans de nombreux conflits récents, les armées ont (avec ou sans succès) prétendu poursuivre une politique de « zéro victime civile » , afin d’éviter les allégations d’attaques disproportionnées et d’accroître leur légitimité.

Violations des deux côtés

Si le Hamas et le Jihad islamique ont utilisé l’école comme centre de commandement, en s’appuyant sur les civils qui y vivaient comme boucliers humains, cela constitue en soi une violation du DIH et potentiellement un crime de guerre.

Le Hamas a déjà été accusé d’utiliser des civils palestiniens comme boucliers humains ( comme l’a fait Israël ), et l’armée israélienne n’est pas la seule à accuser le Hamas d’avoir agi de la sorte au cours du conflit actuel. Pourtant, même dans de telles situations, Israël reste tenu de respecter l’interdiction de nuire de manière disproportionnée aux civils lorsqu’il cible des écoles utilisées à des fins militaires par le Hamas. Il ne peut justifier une quelconque tentative de se soustraire à ces obligations en invoquant les méfaits du Hamas.

Enfin, bien que l’armée israélienne ait affirmé avoir pris « de nombreuses mesures pour atténuer les risques pour les civils » , il n’est pas certain qu’elle ait adressé des avertissements préalables aux civils présents dans l’école. C’est pourtant ce qu’exige le droit international humanitaire (sauf dans certaines circonstances).

Les avertissements constituent un moyen essentiel de se conformer à l’obligation qui incombe à un État en vertu du droit international d’épargner la population civile au cours d’opérations militaires. L’armée israélienne a émis de tels avertissements à l’occasion d’autres frappes au cours du conflit actuel (bien que certaines d’entre elles aient été critiquées comme étant peu claires et donc inefficaces). On ne sait pas exactement sur quelle base elle ne l’a pas fait ici.

Les Nations Unies ont noté avec inquiétude la tendance des attaques israéliennes contre les écoles de Gaza. L’armée israélienne continue d’affirmer que ses frappes sont conformes au droit international humanitaire. Il existe de bonnes raisons d’en douter.

Il faut cependant souligner que le DIH établit un minimum absolu de conduites autorisées en temps de guerre. En effet, une grande partie du DIH est extrêmement permissive quant à ce que les militaires peuvent faire en temps de guerre. Le fait que nous célébrions aujourd’hui le 75e anniversaire des principaux traités du DIH nous rappelle que nous ne devons pas supposer que ses prescriptions reflètent les normes morales contemporaines.

Les militaires et les groupes armés ne devraient pas simplement se demander si une opération militaire particulière serait légale, mais aussi si elle serait juste.

Lawrence Hill-Cawthorne

Professeur de droit international public, Université de Bristol

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