Économie Mondiale

Gaza : un plan divulgué nous révèle sur la stratégie régionale des États-Unis

Des quartiers entiers de Gaza sont en ruines. Des centaines de milliers de personnes sont entassées sous des tentes, luttant pour la nourriture, l’eau et l’électricité. Malgré cette dévastation, un document de 38 pages de l’administration de Donald Trump – le Gaza Reconstitution, Economic Acceleration and Transformation (Great) Trust –, qui a fuité, propose de « transformer en profondeur Gaza » en l’intégrant au Corridor économique Inde-Moyen-Orient-Europe (Imec).

Bien que présenté comme un plan de reconstruction, il décrit les « gains massifs des États-Unis », l’accélération de l’Imec et la consolidation d’une « architecture régionale abrahamique » – un terme qui fait référence aux accords d’Abraham de 2020, des accords négociés par les États-Unis qui ont normalisé les relations entre Israël, les Émirats arabes unis et Bahreïn.

À bien des égards, le document fait écho au plan « Gaza 2035 » promu par le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou. Ce projet, pour 2024, envisageait Gaza comme une plateforme logistique aseptisée, liée au mégaprojet Neom de l’Arabie saoudite et dépouillée de toute présence palestinienne significative.

Comme mes co-auteurs et moi-même l’avons souligné dans un livre récent intitulé Resisting Erasure: Capital, Imperialism and Race in Palestine , cela perpétue un modèle de politiques qui refusent aux Palestiniens toute autonomie politique et réduisent Gaza à une opportunité d’investissement.

L’Imec a été lancé lors du sommet du G20 de 2023 à New Delhi. Signé par les États-Unis, l’UE, l’Inde, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis, il était présenté comme un projet d’infrastructure transformateur. Il comprenait un réseau de voies ferrées, de ports, de pipelines et de câbles numériques reliant l’Asie du Sud à l’Europe via la péninsule arabique.

Israël n’était pas officiellement signataire, mais son rôle était implicite. Le corridor relie les ports indiens aux Émirats arabes unis, traverse l’Arabie saoudite et la Jordanie jusqu’au port de Haïfa en Israël, puis traverse la Méditerranée jusqu’en Grèce et en Europe.

Comme beaucoup de ces mégaprojets, l’Imec est présenté sous le signe de l’efficacité : délais d’échanges plus courts, coûts réduits, nouveaux corridors énergétiques et de données. Mais son importance profonde est politique. Pour Washington, il sert de contrepoids à l’initiative chinoise « la Ceinture et la Route » (BRI) tout en intégrant l’Inde au système piloté par les États-Unis. L’Europe le considère comme une protection contre le canal de Suez et les pipelines russes.

Les monarchies du Golfe y voient une opportunité de se positionner comme le principal centre commercial et de transport de la région. Israël promeut Haïfa comme porte d’entrée pour le commerce euro-asiatique. L’Inde, quant à elle, bénéficie d’un accès plus rapide à l’Europe tout en resserrant ses liens avec Washington et le Golfe.

Gaza comme obstacle et porte d’entrée

Le plan présente Gaza à la fois comme un avant-poste iranien affaiblissant l’Imec et comme un carrefour historique de routes commerciales reliant l’Égypte, l’Arabie, l’Inde et l’Europe.

En invoquant l’histoire de Gaza comme voie commerciale, le plan présente le territoire comme une passerelle logistique naturelle prête à « prospérer à nouveau » au cœur d’un « ordre régional pro-américain ». Le projet propose d’étendre le port de Gaza depuis al-Arish, en Égypte, d’intégrer ses industries aux chaînes d’approvisionnement régionales et de réorganiser son territoire en « villes planifiées » et en économies numériques.

Ce qui est imaginé n’est pas un rétablissement pour ses habitants, mais la conversion de Gaza en un centre logistique au service de l’Imec.

L’élément le plus radical du Grand Trust est peut-être son modèle de tutelle directe. Le plan prévoit une tutelle dirigée par les États-Unis, commençant par un accord bilatéral américano-israélien et se transformant à terme en un trust multilatéral. Cet organisme gouvernerait Gaza, superviserait la sécurité, gérerait l’aide et contrôlerait le réaménagement. Après l’établissement d’un « État palestinien », le trust conserverait ses pouvoirs grâce à un Pacte de libre association.

Même les plans d’occupation américains les plus malheureux en Irak et en Afghanistan n’imaginaient pas aussi ouvertement le territoire comme une tutelle corporatiste du capital mondial.

Délocalisation « volontaire »

Un autre élément marquant du plan est sa disposition relative à la « réinstallation volontaire ». Les Palestiniens qui quitteraient Gaza recevraient des indemnités de réinstallation, des aides au loyer et des allocations alimentaires. Le document suppose qu’un quart de la population partira définitivement, et des modèles financiers montrent que le programme devient d’autant plus rentable que le nombre de départs augmente.

En réalité, l’idée d’un départ volontaire sous le siège et la famine n’est absolument pas volontaire. Le blocus israélien a engendré ce que les responsables de l’ONU qualifient de famine massive provoquée . Présenter l’émigration comme un choix revient à cautionner un nettoyage ethnique.

Le plan montre également comment le langage des accords d’Abraham a été greffé sur l’avenir imaginé de Gaza. Presque chaque élément est habillé d’une image « abrahamique » : une plateforme logistique à Rafah, un corridor ferroviaire abrahamique, et même de nouvelles autoroutes rebaptisées en l’honneur des dirigeants saoudiens et émiratis.

Une touche techno-futuriste est ajoutée à travers des zones de fabrication intelligente, des centres de données régulés par l’IA, des complexes hôteliers de luxe et de nouvelles villes à identité numérique, des « villes intelligentes » planifiées où la vie quotidienne, du logement et des soins de santé au commerce et à l’emploi, serait médiatisée par des systèmes numériques basés sur l’identité.

L’Arabie saoudite et la feuille de vigne de l’État palestinien

L’une des principales ambitions du Grand Trust est d’orienter les capitaux du Golfe vers le réaménagement de Gaza sous sa tutelle. Le plan prévoit 70 à 100 milliards de dollars (50 à 74 milliards de livres sterling) d’investissements publics et 35 à 65 milliards de dollars supplémentaires provenant d’investisseurs privés, avec des partenariats public-privé finançant les ports, les chemins de fer, les hôpitaux et les centres de données.

L’Arabie saoudite, bien que n’étant pas officiellement partie aux accords d’Abraham, a manifesté son acceptation du cadre général en soutenant l’Imec. Pour Washington, la reconstruction de Gaza est perçue comme l’étape finale pour persuader Riyad d’officialiser la normalisation – un objectif qui ancrerait « l’ordre d’Abraham ».

Le plan Trump vise à faciliter cette transition, en offrant à l’Arabie saoudite un rôle de gardien dans le réaménagement de Gaza et des participations lucratives dans l’Imec. Pour rendre l’accord plus acceptable, il évoque même l’idée d’une « entité politique » palestinienne – une entité de gouvernance limitée sous tutelle.

Si un tel accord peut être présenté comme une étape vers la reconnaissance de l’État palestinien par l’Arabie saoudite, c’est précisément pourquoi tout geste de reconnaissance futur doit être traité avec prudence. La véritable question est de savoir ce qui est reconnu exactement, et dans l’intérêt de qui.

Le Grand Trust est, fondamentalement, un prospectus d’investissement. Le document valorise Gaza aujourd’hui à « pratiquement 0 $ », mais prévoit qu’elle pourrait valoir 324 milliards de dollars d’ici dix ans.

Gaza est moins décrite comme une société que comme un actif en difficulté à revendre. C’est le capitalisme du désastre à son paroxysme. La dévastation est présentée comme la condition préalable au profit spéculatif.

Pourtant, les visions de zones de libre-échange et de villes futuristes se heurtent rapidement à la réalité. Les Palestiniens ont toujours rejeté de tels projets. Ce que ce document divulgué montre clairement, cependant, c’est que l’avenir de Gaza s’inscrit dans le cadre plus large de cette initiative américaine visant à remodeler la région.

Rafeef Ziadah

Maître de conférences en politique et politiques publiques (économies émergentes), King’s College de Londres

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