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France : les universités en danger 

La situation financière de l’enseignement supérieur français est très préoccupante. À l’appel de France Université, de nombreux établissements du supérieur sonnent l’alerte des « universités en danger ». Au-delà de la question des moyens, c’est le mode de gestion des universités qu’il faut interroger, et en particulier les mesures inspirées par le new public management qui a révélé ses impasses. Une nouvelle gestion est à inventer.

30 % des universités françaises étaient en déficit en 2023 (60 % le seront probablement en 2024). Les objectifs de la loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités) relatifs à leur autonomie financière apparaissent, désormais, très loin de nous. Les universités françaises sont toujours plus dépendantes du budget de l’État et de financements réversibles. Faute de visibilité financière, elles doivent souvent mener d’importantes cures d’austérité pour maintenir à flot leurs activités. Au moment où leurs budgets vont être discutés à l’Assemblée nationale dans le cadre de l’adoption du budget de l’État, le modèle économique de ces universités interroge.

Des principes de management datant de 40 ans

La LRU a voulu appliquer aux universités françaises les préceptes du NPM (New Public Management). Les bases idéologiques de ce mode de management se développèrent d’abord, dans les années 1980, au Royaume-Uni (Gouvernement Thatcher), dans les administrations municipales des États-Unis (par exemple, Sunnyvale en Californie) puis dans les administrations publiques en Nouvelle-Zélande et Australie.

Au début des années 1990, des chercheurs en management public ont synthétisé les principes fondateurs du NPM, par exemple Hood ou Osborne et Gaebler. Ils reposent principalement sur la séparation des fonctions de pilotage et de contrôle des administrations et les fonctions opérationnelles, la création d’unités administratives autonomes, le contrôle de ces unités par les résultats, le suivi d’objectifs inscrits dans des programmes de contractualisation et l’utilisation des « mécanismes » de marché comme mode de régulation interne.

À partir de 2007, les universités françaises se sont vues appliquer ces principes notamment à travers la loi LRU et le passage aux responsabilités et compétences elargies (RCE). Sur le plan économique et managérial, l’impact se fait sentir à au mois deux niveaux :

  • le lien important institué entre le calcul de leurs budgets et leurs résultats (nombre d’étudiants, de contrats de recherche, de publications),
  • sur la base de ces résultats, le développement de contrats d’objectifs et de moyens avec l’État ou d’autres tutelles (collectivités territoriales, UE).

Le modèle économique des universités françaises est dès lors devenu particulièrement dépendant d’indicateurs de performance reposant principalement, comme dans l’industrie lourde ou la grande distribution, sur des volumes de production (pédagogique, scientifique, partenariale). Mais comme le disent de nombreux présidents d’université, la gestion universitaire reposant sur des ratios par étudiant ou par chercheur ne marche plus.

Nos travaux indiquent que dans les organisations publiques françaises, la volonté de respecter les principes fondamentaux de gestion des services publics (qualité, continuité, adaptabilité ou égalité d’accès) demeure mais elle impacte de moins en moins le modèle économique de ces organisations. Dans de nombreux pays ayant les premiers adopté les préceptes du NPM (Royaume-Uni, États-Unis, Pays-Bas, Japon), son analyse critique a permis la construction d’un management public post-NPM recommandant par exemple, pour les universités, l’autogestion universitaire et la gouvernance partagée entre plusieurs parties prenantes.

En France, au lieu de considérer ces nouveaux principes managériaux post-NPM, comme cela avait été réalisé préalablement avec ceux du NPM, les gouvernements successifs ont maintenu les universités françaises dans un régime conditionnant leurs ressources au respect de contrats ou à l’obtention de financements exceptionnels qui remettent en cause, presque tous les ans, leurs capacités financières et leur développement.

Des capacités financières contraintes

Pour 2025, le plafond des dépenses accordé à l’enseignement supérieur et la recherche est prévu identique à celui de 2024 (à un peu plus de 31 milliards d’€) mais hors inflation et hors effort budgétaire additionnel dont le montant exact sera défini lors du prochain vote de la loi de finances. Cette nouvelle limitation des dépenses dédiées aux universités publiques françaises questionne en premier lieu leur modèle économique.

Celui-ci repose sur un régime d’autonomie très encadré qui impose souvent à leurs directions à « demander l’aumône » auprès de leur tutelle (le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche) et, par ricochet, à leurs personnels de réaliser la même démarche auprès de leur hiérarchie ou de financeurs externes (entreprises, autres ministères, institutions internationales). Une mission sur le modèle économique des universités, commune aux inspections générales de l’éducation (IGESR) et des finances (IGF), est en cours mais le problème est également managérial et organisationnel.

Le modèle actuel est défendu pour sa capacité à conserver les spécificités du système universitaire à la française (indépendance des universités et universitaires, égalité de service et d’accès aux universités, gratuité des études, etc.). Cependant, en combinant des principes de gestion publique (accueil de tous les étudiants, autonomie des chercheurs et enseignants, continuité et égalité des services) et des principes de gestion privée (gestion par les résultats, développement des ressources propres des universités, optimisation du nombre d’étudiants), « l’hybridation managériale » qu’impose le NPM met les universités et leurs personnels face à des injonctions paradoxales souvent insolubles (« soyez autonomes mais rendez compte de vos activités », « assurez un service public mais recherchez des financements privés », « accueillez tout le monde mais améliorez le niveau moyen de vos diplômés »…).

Face à ces paradoxes, certaines universités font appel à la direction de l’enseignement supérieur (DGESIP) et à l’IGESR pour les aider et redresser financièrement leurs comptes mais le mal semble plus profond. Le modèle économique et managérial qui leur est prescrit semble progressivement s’éloigner des modèles de gestion publique désormais construits pour de nombreux systèmes universitaires dans le monde et qui reposent sur des postulats managériaux plus actuels et adaptables aux contraintes universitaires.

La nécessaire adaptation des modèles économiques et managériaux

Pour s’adapter à des contraintes contextuelles mais aussi communes à l’ensemble des opérateurs de l’enseignement supérieur et de la recherche, de nombreux systèmes universitaires se sont inspirés des réflexions et analyses produites par la recherche internationale en management public depuis 30 ans : le management de la valeur publique (public value management), le management par les activités (activity-based view), l’allègement de l’architecture des activités (cost/revenue architecture), la nouvelle gouvernance publique (new public governance).

Ces approches permettent de répondre, de manière flexible, à des situations complexes notamment en organisant les activités de gestion des universités publiques (gouvernance, gestion pédagogique, pilotage de la recherche, recherche de financements, gestion des locaux, etc.) non comme des fonctions indépendantes mais comme des processus imbriqués tournés vers la création de valeurs partenariales pouvant prendre des formes sociale, sociétale, culturelle, environnementale, économique, démocratique, citoyenne.

Ces nouvelles approches ne suggèrent pas nécessairement de réduire les ressources publiques mises à la disposition des universités mais de les gérer différemment. En effet, à rebours des idées reçues, la France est loin d’être le pays qui consacre le plus d’argent public à ses universités (un peu moins de 80 % de leurs budgets). Les pays scandinaves ou encore l’Allemagne, dont on vante souvent les vertus en matière de gestion publique, financent largement plus de 80 % du budget de leurs établissements d’enseignement supérieur, parfois plus de 90 % (pour la Finlande et la Norvège). Cependant, en France, les décideurs publics, en matière d’enseignement supérieur, continuent de demander aux universités d’appliquer des recettes économiques et managériales fortement remises en cause par ailleurs.

Le problème serait moins grave si, malgré les déficits, ces recettes étaient finalement les seules en mesure de répondre aux spécificités du système universitaire français (gratuité des études, non-sélections des étudiants ou encore indépendance pédagogique et scientifique). Cependant, ce n’est même plus le cas. De nombreuses universités adoptent des droits différenciés d’inscription ou des systèmes plus ou moins officiels de sélection des étudiants. Leurs diplômes sont principalement évalués sur leurs dimensions professionnalisantes et leurs enseignants-chercheurs ne peuvent souvent développer leurs travaux qu’en s’adaptant au marché de la recherche et de ses financeurs.

Ainsi, il ne paraîtrait pas totalement inopportun de s’intéresser d’un peu plus près aux approches de management public qui semblent fonctionner ailleurs plutôt que de trop régulièrement brandir l’alibi de « l’exception universitaire française ». Celle-ci existe sans doute et c’est tant mieux. Mais il n’est pas certain que le maintien, dans une logique NPM, du modèle économique et managérial des universités soit très favorable à cette exception. Certains allant jusqu’à prédire sa disparition future avec celle des universités !

Expérimenter avant tout

S’ils ne l’ont pas déjà fait, les décideurs publics et ministériels pourraient expérimenter, par exemple, les modèles de création de valeur publique ou de motivation de service public à l’université, la reconfiguration de l’architecture, la gouvernance partagée ou encore la méta-gouvernance appliqués dans de nombreux systèmes universitaires à l’étranger.

Des approches conceptuelles souvent conçues ou du moins développées dans les universités françaises, et enseignées à leurs étudiants, mais, paradoxalement, assez peu appliquées en leur sein…

Il n’est pas certain que ces approches soient totalement adaptées au management du système universitaire français. Mais la gestion et le management sont avant tout des disciplines et sciences expérimentales, avant d’être éventuellement normatives. En ces temps d’austérité financière, il ne serait donc peut être pas inutile de prendre en considération ces approches comme ont pu le faire de nombreux systèmes universitaires dans le monde pour souvent les adapter à leurs contextes et enrichir, de manière continue, le modèle économique et managérial de leurs universités.

Laurent Mériade

Professeur agrégé des universités en sciences de gestion – IAE – CleRMa, Université Clermont Auvergne (UCA)

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