En 2021, deux affaires ont mis le rap au cœur des débats médiatiques en France. Le premier concerne le rappeur Médine.
Le 18 février 2021 , la députée Aurore Bergé, membre du parti gouvernemental du président Emmanuel Macron, a exprimé son soutien à la ministre de l’enseignement supérieur, Frédérique Vidal, qui vient de commander une enquête sur « l’islamo-gauchisme » (un néologisme qui se traduit par « islamo- gauchisme ») dans les universités.
Apparaissant à la télévision, Bergé a déclaré :
À l’École Normale Supérieure, vous avez ce rappeur islamiste qui est invité, Médine – vous savez, celui qui a dit qu’il fallait tuer les laïcs dans notre pays. Est-il légitime qu’une école aussi prestigieuse que l’ÉNS donne la parole à quelqu’un qui appelle au meurtre ?
Quelques jours plus tard, le rappeur a porté plainte pour diffamation, réfutant l’allégation selon laquelle il aurait appelé au meurtre et rejetant la qualification d' »islamiste » faite par le député.
La deuxième affaire concerne l’artiste Youssoupha. Le 19 mai 2021, l’équipe de France de football a diffusé une vidéo présentant les joueurs sélectionnés pour les prochains Euros, accompagnée d’une chanson dédiée du rappeur.
Dès la diffusion de la vidéo, plusieurs responsables politiques ont critiqué la Fédération française de football pour le choix de l’artiste et ont demandé le retrait de la vidéo. Le président de la fédération a pris ses distances avec le choix suite à l’outcy.
Jordan Bardella, candidat du Rassemblement national d’extrême droite aux élections régionales, a dénoncé Youssoupha, affirmant que le rappeur avait « appelé à des menaces de mort contre Eric Zemmour », une figure éminente de l’extrême droite en France. Bardella a déclaré qu’il était « choqué que quelqu’un comme ça soit choisi pour représenter la France à l’Euro… Nous avons cédé à la racaille de la France en choisissant ce type de paroles ».
Youssoupha avait été traduit en justice par Zemmour pour ses paroles dans le passé, mais il n’a pas été reconnu coupable d’avoir menacé de mort, contrairement à ce qu’a laissé entendre Bardella, et ce qu’a explicitement affirmé le maire d’extrême droite de la ville de Béziers, Robert Ménard .
Débats racialisés
Réactivant des débats qui ont fréquemment eu lieu au cours de la dernière décennie , ces deux incidents ont remis le rap à l’ordre du jour politique au cours d’une année chargée marquée par les élections régionales et la préparation de l’élection présidentielle de 2022.
Cette tendance révèle que, malgré la reconnaissance culturelle croissante du rap en France, celui-ci reste stigmatisé auprès des politiques et des médias. Le rap en général, et de nombreux rappeurs en particulier, ne sont toujours pas perçus comme socialement légitimes dans leur pays d’origine.
En 2006, les chercheurs Didier et Eric Fassin soulignaient que certains débats publics nationaux sont « saturés de représentations racisées et souvent racistes ». Dans cet ordre d’idées, des hommes politiques utilisent régulièrement les œuvres de rappeurs pour dénoncer l’existence d’un clivage racial dans la République française et ostraciser les jeunes hommes issus des minorités populaires ou des banlieues .
Comme l’a démontré le sociologue Karim Hammou en 2014, cela correspond à cette politisation du rap qui s’inscrit dans une « croisade morale nationaliste ». En ciblant la musique rap et les rappeurs, les politiques alimentent une panique morale , c’est-à-dire une réaction démesurée cherchant à provoquer l’indignation collective face aux apports culturels des minorités, même lorsque ces sorties impliquent nécessairement des œuvres critiquables .
Menace de Mort, Youssoupha, 2011.
Ces attaques servent des objectifs politiques précis. Dans le cas d’Aurore Bergé, il s’agissait de défendre la campagne de Frédérique Vidal contre les sciences sociales telles qu’elles sont enseignées dans les universités françaises et la promotion de la nouvelle loi du gouvernement pour contrer les « séparatismes » .
Dans le cas de Jordan Bardella, il s’agissait d’élargir la fenêtre Overton – l’éventail des opinions politiques publiquement acceptables – pour inclure l’identification d’un rappeur noir comme « racaille » hostile à la communauté civique.
Hors contexte
Dans les deux cas étudiés, les attaques consistent à utiliser des paroles anciennes, hors contexte et parfois déformées pour justifier les coups de gueule contre les rappeurs mis en cause.
L’interprétation par ces politiciens des paroles des rappeurs ne repose sur aucune connaissance des codes esthétiques du rap – « la colère est la politesse du rap » , a dit Médine – ni de leur évolution thématique.
Les deux rappeurs reconnaissent avoir commencé leur carrière avec une volonté de marquer les esprits par la provocation et ne sont plus d’accord avec certaines images ou textes qu’ils produisaient par le passé. Comme Youssoupha l’ a expliqué plus tôt cette année :
Je suis un rappeur, un militant… J’ai dit des choses fortes, avec une virulence dont j’assume la responsabilité, mais en les déterrant, en les déformant, en les décontextualisant… On passe du temps en 2021 à analyser des textes que j’écrivais quand Chirac était président ! Je ne suis pas toujours d’accord avec moi-même mais je ne peux pas le regretter car quand je l’ai dit, c’était l’émotion du moment.
De son côté, Médine a indiqué que dans le contexte politique français actuel, il ne pourrait plus nommer un album « Jihad : La plus grande des batailles est contre soi-même » alors qu’il l’a fait en 2005 pour parler de la lutte pour la spiritualité individuelle. élévation (un des sens du terme).
Voltaire, Médine, 2021.
Cette dissection des arrière-catalogues prolifiques des rappeurs, qui s’inscrivent dans la tradition française des chansons politiques parfois violentes , pour se concentrer sur quelques petites phrases s’inscrit dans un projet de policer les paroles de rap , non sans conséquences pour ceux qui les ont écrites.
Outre l’abandon de Youssoupha par le président de la Fédération française de football, et les heures perdues devant les tribunaux face à Eric Zemmour, il est également à noter que, lors d’une précédente polémique, Médine a dû annuler un concert prévu au Bataclan – le site des attentats terroristes de Paris en 2015 – et a été la cible d’un complot d’assassinat par une cellule terroriste d’extrême droite.
Le rap sera-t-il un jour considéré comme légitime ?
La stigmatisation politique et juridique de la musique rap en France a commencé dans les années 1990, avec des batailles autour des paroles dans les médias , devant les tribunaux et à l’ Assemblée nationale .
La trajectoire de la dénonciation politique suit souvent le même chemin : d’abord, l’extrême droite mène une campagne médiatique , comme elle l’a fait contre le rappeur Black M qui devait se produire lors des commémorations de guerre à Verdun, puis la droite parlementaire s’empare du sujet et parfois , les ministres du gouvernement poursuivent les musiciens en justice.
C’est le cas du ministère AMER , poursuivi en justice par le ministre de l’intérieur Charles Pasqua, et de La Rumeur , mis en examen par Nicolas Sarkozy.
En 1995, le groupe NTM a été poursuivi devant les tribunaux pour des commentaires qu’ils ont faits sur la police lors d’un concert en direct.
Je Suis Chez Moi, Black M, 2016.
Dans la théorie sociologique de la légitimité culturelle , un genre artistique populaire devient légitime au fil du temps lorsqu’il est reconnu pour sa forme esthétique et consacré par les institutions, les médias, les industries et les publics.
Dans le cas du rap, il s’agit de comprendre le décalage qui persiste entre la reconnaissance croissante du genre dans les champs culturels et économiques – dont l’énorme popularité est indéniable auprès du grand public – et la persistance de l’idée des rappeurs comme figures répugnantes du discours politique dominant.
En 2017, il était clair que le rap français était devenu le moteur du marché national de la musique et sa popularité n’a fait que croître depuis. Mais la présence du rap dans les médias culturels généralistes et sa reconnaissance aux prix de la musique ne semblent pas s’accompagner d’un apaisement des tensions avec le champ politique.
En 2022, la musique rap, ou du moins la musique de certains rappeurs, conserve sa position de produit culturel « altéré » en France, qui continue de susciter le débat politique et reste l’objet de polémiques et de pénalisations de la part des médias et des politiques.
Marie Sonnette
Maîtresse de conférences en sociologie, Université d’Angers
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