wikimedia.org
L’ancien président français Nicolas Sarkozy a été reconnu coupable d’association de malfaiteurs dans une affaire liée au financement libyen de sa campagne présidentielle de 2007. Condamné à cinq ans de prison, il doit comparaître devant le tribunal le 13 octobre pour connaître la date de son incarcération. Ce jugement inédit marque un tournant dans les pratiques de la justice française, qui s’est progressivement affranchie du pouvoir politique. Il consacre également le principe républicain d’égalité pleine et entière des citoyens devant la loi, proclamé en 1789 mais longtemps resté théorique, écrit Vincent Sizaire .
Comme on pouvait s’y attendre, le verdict de culpabilité prononcé jeudi 25 septembre contre Nicolas Sarkozy pour le transfert de millions d’euros de fonds illicites de l’ancien dirigeant libyen, le colonel Mouammar Kadhafi, pour financer sa campagne électorale de 2007, a suscité la colère d’une grande partie de la classe politique.
Il est parfaitement légitime de contester le jugement en le jugeant injuste et infondé. Cela s’applique en premier lieu aux accusés, qui ont parfaitement le droit de faire appel. Cependant, le contexte dans lequel ces protestations s’inscrivent est une véritable poudrière politique : en avril, Marine Le Pen, cheffe de file du Rassemblement national (extrême droite), a déjà été condamnée à cinq ans d’interdiction de se présenter à des élections après avoir été reconnue coupable d’avoir contribué au détournement de 2,9 millions d’euros (2,5 millions de livres sterling) de fonds européens au profit de son parti. Dans la foulée, la dernière condamnation de Sarkozy offre une nouvelle occasion à une grande partie des classes dirigeantes d’attiser la controverse sur ce que les Français qualifient de « gouvernement des juges » et que d’autres appelleraient « juristocratie » .
Sarkozy sera bientôt le premier président français d’après-guerre à être emprisonné
Certes, la peine peut paraître particulièrement lourde : 100 000 € d’amende, cinq ans d’inéligibilité et surtout cinq ans d’emprisonnement avec mandat d’arrêt avec sursis qui, combiné à l’exécution provisoire, contraint le condamné à commencer à purger sa peine de prison même s’il fait appel .
Mais à examiner de plus près les infractions en cause, les sanctions ne paraissent guère disproportionnées. Les faits sont d’une gravité indéniable : organiser le financement occulte d’une campagne électorale avec des fonds provenant d’un régime corrompu et autoritaire, la Libye – dont la responsabilité dans l’attentat contre un avion ayant coûté la vie à plus de 50 Français –, en contrepartie de sa défense sur la scène internationale.
Étant donné que la peine maximale est de dix ans de prison , la peine peut difficilement être considérée comme excessive. Mais ce qui est contesté, c’est le principe même de la condamnation d’un dirigeant politique par les tribunaux, perçue et présentée comme une atteinte intolérable à l’équilibre institutionnel.
Si l’on prend le temps de replacer cela dans une perspective historique, on constate cependant que les jugements rendus ces dernières années contre des membres de la classe dirigeante s’inscrivent en réalité dans un mouvement de libération du pouvoir judiciaire vis-à-vis des autres pouvoirs, notamment de l’exécutif. Cette émancipation permet enfin au pouvoir judiciaire de faire pleinement respecter les exigences du système juridique républicain.
L’égalité des citoyens devant la loi, un principe républicain
Il faut rappeler que le principe révolutionnaire proclamé dans la nuit du 4 au 5 août 1789 était celui de l’égalité pleine et entière devant la loi , entraînant la disparition corrélative de toutes les lois spéciales – « privilèges » au sens juridique du terme – dont bénéficiaient la noblesse et le haut clergé . Le Code pénal de 1791 allait plus loin : non seulement les détenteurs du pouvoir pouvaient être tenus responsables devant les mêmes tribunaux que les autres citoyens, mais ils encouraient aussi des peines plus lourdes pour certains délits, notamment ceux de corruption.
Les principes sur lesquels repose le système juridique républicain sont on ne peut plus clairs : dans une société démocratique, où chacun a le droit d’exiger non seulement la pleine jouissance de ses droits, mais aussi, plus généralement, l’application de la loi, nul ne peut prétendre bénéficier d’un régime d’exception, et encore moins les élus. C’est parce que nous sommes certains que leurs actes illégaux seront effectivement punis, au même titre que les autres citoyens et sans attendre une hypothétique sanction électorale, qu’ils peuvent véritablement se prétendre nos représentants.
Quand la loi favorisait les puissants
Longtemps, cependant, cette exigence d’égalité juridique est restée largement théorique. Repris et placé dans un rapport de subordination plus ou moins explicite au gouvernement sous le Premier Empire (1804-1814) , le pouvoir judiciaire est resté sous l’influence de l’exécutif au moins jusqu’au milieu du XXe siècle. C’est pourquoi, jusqu’à la fin du siècle dernier, le principe d’égalité devant la loi s’est heurté à un privilège singulier de « notabilité » qui, sauf situations exceptionnelles ou cas particulièrement graves et médiatisés, garantissait une relative impunité aux membres des classes dirigeantes dont la responsabilité pénale était mise en cause.
La situation ne commença à évoluer qu’après le réveil humaniste de la Libération, dans les années 1940. À partir de 1958, les magistrats furent recrutés sur concours et bénéficièrent d’un statut relativement protégé, ainsi que d’une école dédiée, l’École nationale de la magistrature . Celle-ci adopta progressivement une déontologie exigeante, encouragée notamment par la reconnaissance du syndicalisme judiciaire en 1972. Une nouvelle génération de juges émergea, prenant désormais au sérieux sa mission : veiller, en toute indépendance, à la bonne application de la loi, quelle que soit l’origine des justiciables.
Bernard Tapie, Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy…
C’est dans ce contexte que s’est produit ce qui était impensable quelques décennies plus tôt : la poursuite et la condamnation de personnalités au même titre que le reste de la population. À partir du milieu des années 1970, le mouvement s’est amplifié dans les décennies suivantes avec la condamnation de grands chefs d’entreprise , comme Adidas et le magnat du football Bernard Tapie, puis de personnalités politiques nationales, comme l’ancien ministre conservateur Alain Carignon ou le maire et député de Lyon Michel Noir . La condamnation d’anciens présidents de la République à partir des années 2010 – Jacques Chirac en 2011, Nicolas Sarkozy pour la première fois en 2021 – a parachevé la normalisation de cette tendance ou, plutôt, mis fin à l’anomalie démocratique consistant à privilégier les élus et, plus largement, les classes dirigeantes.
Ce mouvement, initialement né de l’évolution des pratiques judiciaires, a également été soutenu par certaines modifications du droit français. On peut citer à titre d’exemple la révision constitutionnelle de février 2007 , qui consacre la jurisprudence du Conseil constitutionnel selon laquelle le Président de la République ne peut faire l’objet de poursuites pénales pendant son mandat, mais qui permet la reprise des poursuites dès sa cessation de fonctions . On peut également citer la création, en décembre 2013, du Parquet national financier , qui, bien que ne bénéficiant pas d’une indépendance statutaire vis-à-vis du pouvoir exécutif, a pu démontrer son indépendance de fait ces dernières années .
Tout discours sur la « tyrannie judiciaire » vise à viser ce développement historique. Cette rhétorique vise moins à défendre la souveraineté du peuple qu’à défendre celle des dirigeants oligarchiques.
Vincent Sizaire
Maître de conférence associé, membre du centre de droit pénal et de criminologie, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières
L'avocat est cultivé en Tanzanie depuis le début des années 1890. L'engouement mondial pour ce…
Il est tout simplement étrange de lire, en ce moment même, les mémoires de Kamala…
La pauvreté au Nigéria a atteint des niveaux critiques, selon des données récentes. Environ 31…
Un antibiotique découvert sur l'île de Pâques en 1964 a marqué le début d'un succès…
À tous ceux qui ont des liasses planquées sous le lit, j’annonce que je rachète…
La dette publique de la République démocratique du Congo connaît une progression rapide et suscite…