asd

France : Emmanuel Macron vient de donner les clés du camion au Rassemblement national

La première chose à souligner, c’est que Michel Barnier vient de la droite et qu’il a donc forcément reçu le soutien du parti conservateur Les Républicains (LR) – même s’il n’est pas forcément sur la même ligne. Ce n’est donc pas une seule personne qui est nommée , mais le représentant d’un parti qui a toujours refusé de participer à un gouvernement avec les macronistes. La question est donc : d’autres membres de LR vont-ils rejoindre le gouvernement ?

En réalité, cette alliance impossible était l’une des raisons pour lesquelles Macron avait décidé de dissoudre l’Assemblée nationale le 10 juin dernier. Cette alliance semble aujourd’hui se concrétiser de manière paradoxale, à un moment où les deux partis sont affaiblis et ne peuvent plus gouverner comme ils auraient pu le faire entre 2022 et 2024. La nomination de Barnier traduit donc d’abord un rapprochement entre le camp macroniste et la droite républicaine . Si ce rapprochement a commencé lors des élections législatives avec le partage de certaines circonscriptions dans certains départements, il n’a débouché sur aucun programme politique commun ni, bien sûr, sur aucun engagement à gouverner ensemble. Macron a donc enfin obtenu ce qu’il souhaitait depuis longtemps, mais sur des bases floues, avec un parti LR qui attend depuis 2017 de prendre sa revanche sur les macronistes.

On a même pensé un moment à la nomination de Xavier Bertrand, président de centre-droit du conseil régional des Hauts de France. Il se pourrait que le chef des Républicains, Laurent Wauquiez, ait forcé Macron à agir parce que Michel Barnier ne représentait pas pour lui une menace au même titre que Xavier Bertrand. Pour rappel, Bertrand avait manifesté son intérêt pour défier Macron en 2020 et avait ensuite été battu par Éric Ciotti, Valérie Pécresse et Barnier lui-même.

Marine Le Pen avait opposé son veto à la nomination de Bertrand, mais semble avoir donné son feu vert à celle de Barnier. Jeudi, elle a déclaré qu’il « semble répondre au moins au premier critère que nous avons demandé, à savoir un homme respectueux des différentes forces politiques et capable de s’adresser au Rassemblement national, qui est le groupe le plus important de l’Assemblée nationale, au même titre que les autres groupes ».

 Il a fallu convaincre LR de participer à l’alliance, mais aussi obtenir la neutralité du Rassemblement national et s’assurer qu’il ne censure pas immédiatement le nouveau Premier ministre. Michel Barnier est apparu moins hostile au RN que Xavier Bertrand, élu contre le Rassemblement national dans les Hauts-de-France, région d’origine de Marine Le Pen. Michel Barnier avait surpris tout le monde lors de la primaire des Républicains en 2021, en critiquant la politique européenne et les accords de Schengen, en appelant à un renforcement des contrôles aux frontières et à une politique nationale plus dure en matière d’expulsion des étrangers. Le RN s’est appuyé sur cela pour dire qu’il avait changé positivement. En soutenant Barnier, Le Pen évite de porter la responsabilité d’un blocage institutionnel ou d’un éventuel désordre et peut tenter d’endosser le rôle de leader « responsable ».

On ne sait pas quels engagements le président a pris auprès de Marine Le Pen, et on ne sait toujours pas quelles sont les orientations politiques de Barnier. Mais tout cela ne tiendra que si des concessions majeures sont faites au RN. Jusqu’où Barnier est-il prêt à aller dans le durcissement de la législation sur l’immigration ? Sur les revendications économiques et sociales du RN ? Le grand enjeu du RN sera la proportionnelle, mais elle ne suffira sans doute pas à acheter son soutien, ne serait-ce que sous forme d’abstention.

Ce gouvernement peut durer ?

Le Rassemblement national va-t-il finir par censurer le gouvernement ? Il pourrait exiger un référendum sur l’immigration. Il est en position de décider quand et comment le gouvernement doit tomber ou ce qu’il doit faire. Au final, tout cela revient à remettre les clés du camion au RN. La grande question est : la base des députés de Macron acceptera-t-elle d’avaler une telle pilule ? Jusqu’où iront Barnier et Macron dans la politique voulue par le Rassemblement national ? Autre hypothèse, très peu probable au vu des conditions de sa nomination, mais qui ne peut être totalement écartée à ce stade : Michel Barnier, avec ses talents de négociateur, parvient à éviter la censure du Parti socialiste et des écologistes avec des engagements forts sur les services publics, le pouvoir d’achat et la transition écologique.

Un peu comme ce qui s’est passé en Suède. Après les élections de 2022, les Démocrates de Suède d’extrême droite, l’équivalent suédois du Rassemblement national, sont arrivés en tête. Ils acceptent de ne pas gouverner mais de soutenir le gouvernement libéral-conservateur en imposant leur agenda. Ici, pour la première fois en France, le Rassemblement national est potentiellement en position de soutenir un gouvernement et de négocier son soutien au gouvernement. Nous ne sommes pas du tout dans le cadre d’un gouvernement technique : c’est clairement l’esquisse d’une nouvelle alliance entre le Rassemblement national, la droite libérale et la droite conservatrice. C’est évidemment contraire à ce que souhaitaient les électeurs. On se demande comment les électeurs du Rassemblement national vont prendre cela, alors que depuis des années Emmanuel Macron est présenté comme leur principal ennemi.

Les six prochains mois ?

Placer la survie du gouvernement entre les mains du Rassemblement national lui donne l’occasion de paralyser les institutions. Marine Le Pen pourra faire tomber le gouvernement au moment le plus opportun pour elle, une fois qu’elle aura obtenu quelques succès. Comme il n’y a pas de possibilité de dissolution avant un an, elle pourrait créer une situation de blocage du pouvoir pendant plusieurs mois, poussant les forces politiques à exiger la démission du président de la République. Dans ces conditions, le RN pourrait être en mesure de remporter cette élection, face à des adversaires divisés, discrédités ou peu préparés.

Frédéric Sawicki

professeur de science politique, Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

Articles Similaires

- Advertisement -

A La Une