Fabien Roussel et la défense de la gastronomie française, Éric Zemmour et l’école inclusive, etc. : autant de polémiques qui sont soit nées en ligne (sur Twitter notamment), soit ont reçu un écho retentissant sur la toile.
En effet, le numérique et en particulier les réseaux sociaux jouent désormais un rôle majeur dans la médiatisation des campagnes électorales en France. Tant les candidats que les citoyens s’en saisissent, tantôt pour faire écho aux débats initiés dans les médias plus traditionnels (radio, presse écrite, télévision, etc.), tantôt pour contourner ces mêmes médias traditionnels. Les candidats en profitent ainsi pour s’adresser directement à leurs potentiels électeurs alors que ces derniers peuvent soutenir, mieux connaître, voire dialoguer avec les premiers.
L’intérêt pour le numérique en communication politique apparaît d’autant plus fort un peu moins de deux ans après le début de la crise sanitaire déclenchée par le Covid. En effet, comment mener campagne en temps de distanciation sociale, alors qu’il est conseillé d’éviter de se serrer la main ou même de se regrouper en trop grand nombre ?
Mais même avant la crise, il suffit de regarder de l’autre côté de l’Atlantique et de penser au précédent président des États-Unis ou même tout simplement de se remémorer l’interview donnée par le président de la République en exercice, Emmanuel Macron, aux youtubeurs Mcfly et Carlito pour prendre conscience de l’importance que revêt désormais le numérique en politique, entraînant avec lui de multiples questions : les réseaux sociaux permettent-ils à un plus grand nombre de citoyens de s’exprimer ? Leur permettent-ils d’entrer plus facilement en contact avec les candidats ? Du côté des candidats, être présent en ligne offre-t-il la possibilité de défendre différemment ses idées, en se passant des journalistes ? Est-ce un avantage pour les « petits » candidats, l’accès à la médiatisation ne nécessitant plus obligatoirement de passer par les journalistes ? Plus encore, Internet favorise-t-il la démocratisation du débat public ?
Autant de questions qui restent, aujourd’hui encore, relativement débattues par la littérature scientifique. C’est pourquoi, à l’occasion de l’élection présidentielle qui se déroulera en avril prochain, nous proposons ici de revenir sur deux idées fausses largement reprises dans l’espace public à propos des médias sociaux en politique. Pour ce faire, nous avons observé, entre la semaine du 4 au 10 octobre 2021 (semaine 1) et la semaine du 27 décembre au 2 janvier 2022 (semaine 14) les comptes sur les médias sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, YouTube) des principaux candidats à l’élection présidentielle de 2022.
Idée fausse n°1 : Les médias sociaux rééquilibrent les écarts entre petits et gros candidats
Issue tant de la littérature scientifique sur l’Internet politique à ses débuts que des espoirs cyber-optimistes qui voyaient dans Internet une solution technique à un bon nombre de problèmes démocratiques, l’idée que les médias sociaux rééquilibrent les écarts entre petits et gros candidats est un préjugé qui a la vie dure.
En effet, a priori, le numérique favorise la baisse des coûts de publication pour les acteurs politiques, tant en termes d’accès aux médias (qui ne sont plus « gardés », notamment en ligne, par les seuls journalistes professionnels), qu’en termes de coûts économiques (on peut ouvrir gratuitement des comptes sur les médias sociaux alors que le moindre tract nécessite de pouvoir payer tant le papier que l’impression).
De même en termes de temps, il est bien plus simple de publier un post qui sera directement diffusé en ligne et sera susceptible de rencontrer instantanément un large public que de distribuer des tracts en grand nombre. Ainsi, les petits candidats pourraient en profiter pour accéder plus facilement à la notoriété, se retrouvant moins dépendants des médias et des problèmes de financement durant les campagnes.
Or, nos données démontrent, à la suite de nombreux travaux, que l’espace politique en ligne, loin de favoriser les petits candidats, semble reproduire les hiérarchies politiques préexistantes (voir Figure 1).
On constate en effet que si Emmanuel Macron, actuel président de la République et, du fait de cette fonction, très exposé en ligne, compte 7,5 millions d’abonnés sur Twitter, 4,2 millions sur Facebook, 230 000 sur YouTube ou encore 2,7 millions sur Instagram, les autres candidats sont loin derrière.
Notons que Marine Le Pen compte 2,7 millions d’abonnés sur Twitter ou encore 1,6 sur Facebook et que Jean-Luc Mélenchon attire 2,3 millions d’abonnés sur Twitter, 1,2 million sur Facebook et tout de même 630 000 sur YouTube (dépassant par là même Emmanuel Macron).
Éric Zemmour, ancien journaliste, compte lui aussi plus d’abonnés YouTube qu’Emmanuel Macron (360 000). Tous ces candidats sont chacun établis depuis un long moment dans les champs politique ou médiatique et occupent pour certains des postes à responsabilité politique (présidence de parti, présidence de groupe parlementaire, etc.). Ils sont certes relativement bien positionnés en ligne, mais arrivent donc globalement derrière Emmanuel Macron.
À l’inverse, ils distancent l’ensemble des autres candidats dont les nombres d’abonnés paraissent très faibles, notamment si on les compare au nombre d’individus inscrits sur les listes électorales, et donc susceptibles de voter à la présidentielle (47,9 millions en 2021), ou même aux nombres d’inscrits sur ces différentes plates-formes (que ce soit Facebook, Twitter, Instagram ou YouTube). Or, ces résultats ne sont pas dûs à une plus faible activité en ligne de leur part. En effet, Yannick Jadot publie par exemple 13 posts sur Facebook et Anne Hidalgo 45 tweets en une semaine quand Emmanuel Macron n’en publie respectivement que 5 et 10 sur la même période.
Ainsi, l’espace politique en ligne, contrairement à ce que l’on pourrait penser, reste extrêmement hiérarchisé. En effet, ce n’est pas parce que les acteurs politiques peuvent désormais diffuser leurs propres messages en ligne, qu’ils rencontrent tous un large public. Différents éléments sociopolitiques déterminent en effet l’audience des candidats en ligne : notoriété initiale, travail sur le long terme des équipes de communication des candidats, nombre de militants et plus ou moins fortes prédispositions de ceux-ci à utiliser les outils numériques, recours à des entreprises de consulting, etc.
Idée fausse n°2 : Les médias sociaux permettent aux citoyens d’interagir avec les candidats
Un autre avantage des réseaux sociaux serait de permettre aux citoyens d’interagir plus directement et plus informellement avec les acteurs politiques, via les commentaires notamment – favorisant ainsi le fonctionnement démocratique. Or, nos données (voir tableau 1) semblent attester du contraire.
En effet, les commentaires suite à des messages de candidats restent relativement peu nombreux tant sur Twitter que sur Facebook. Ainsi, si Jean-Luc Mélenchon, récolte respectivement 23 491 et 126 465 commentaires, ce qui en fait le candidat le plus commenté, cela reste peu par rapport au nombre d’inscrits sur les listes électorales ou même au nombre de personnes inscrites sur ces réseaux sociaux en France (40 millions d’utilisateurs mensuels de Facebook, 8 sur Twitter, 22 sur Instagram, 50 sur YouTube). Surtout, certains candidats ne récoltent que quelques centaines de commentaires – ou même moins.
Même si l’on regarde le nombre de likes, pratique beaucoup moins coûteuse pour les internautes que le commentaire, les réactions aux posts restent relativement rares, a fortiori lorsqu’on les compare au nombre d’abonnés aux différents candidats. Pour ne prendre que quelques exemples, les likes recueillis par Emmanuel Macron sur Twitter durant la première semaine de janvier ne représentent que 2,6 % de ses abonnés, ceux reçus par Jean-Luc Mélenchon 4,4 %, ceux reçus par Marine Le Pen 1,8 %, et ceux reçus par Anne Hidalgo 0,8 %. Malgré tout, on constate que certains candidats suscitent plus de réactions que d’autres. Emmanuel Macron, Éric Zemmour et Jean-Luc Mélenchon sont relativement bien placés quels que soient la pratique et le réseau social étudiés, alors que Nathalie Arthaud, Philippe Poutou, Fabien Roussel ou même Yannick Jadot paraissent à la traîne. Nicolas Dupont-Aignan, pour sa part, semble faire beaucoup réagir en ligne.
La campagne électorale, qui a gagné en intensité depuis octobre 2021, ne semble pas avoir entraîné un accroissement uniforme de la participation des internautes. Ainsi, l’évolution du nombre de likes et de comentaires recueillis par les candidats en une semaine entre début octobre et début janvier (voir Tableau 2) fait apparaître des dynamiques contrastées.
Alors que Valérie Pécresse semble avoir bénéficié de la dynamique de sa victoire à la primaire de la droite puis de son entrée en campagne en affichant des pourcentages de progression en termes de likes et de commentaires tant sur Facebook que sur Twitter à trois chiffres ou plus, d’autres candidats paraissent à la peine. C’est notamment le cas d’Anne Hidalgo, de Philippe Poutou ou de Nathalie Arthaud qui, sur au moins un réseau social, recueillent moins de réactions en janvier qu’en octobre – alors même que la campagne a gagné en intensité. Cette faiblesse semble particulièrement dérangeante pour Anne Hidalgo, dans la mesure où elle pourrait être une illustration de ses difficultés plus globales dans le cadre de la campagne. Les chiffres sont plus contrastés pour Philippe Poutou et Nathalie Arthaud, candidats par ailleurs traditionnellement peu visibles en ligne.
La relative faiblesse de la participation des internautes sur les comptes de candidats nous rappelle un constat parfois ignoré. Les réseaux sociaux ne sont que des outils techniques. D’une part, tous les individus ne sont pas également prédisposés à s’en saisir et, d’autre part, tous ceux présents sur ces réseaux n’y développent pas une activité politique. En ce sens, ils ne permettent pas de résoudre des problèmes plus structurels à commencer par les transformations contemporaines des rapports à la pratique électorale, aujourd’hui de plus en plus intermittente et de moins en moins ritualisée.
Marie Neihouser – Chercheuse en science politique, Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées
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