La situation sanitaire à Mayotte après le passage du cyclone Chido met en lumière les grandes vulnérabilités du système de soin sur l’île. Ainsi, même hors situations d’urgence, le dispositif d’évacuations sanitaires français EVASAN tente de suppléer au manque criant de structures de soin et de personnel médical dans ce département français pour assurer l’accès aux soins de la population.
Après le passage du cyclone Chido, le 14 décembre dernier, le système de soin sur l’île de Mayotte est « très dégradé ». Le Centre Hospitalier de Mayotte (CHM), qui est le seul hôpital du 101e département français, est « très endommagé » et les autres centres médicaux « inopérants », d’après un premier bilan dressé par Geneviève Darrieussecq, ministre de la santé démissionnaire, deux jours après.
À Mayotte, un déficit d’infrastructures de santé et de personnel médical
Avant même cette catastrophe naturelle d’une ampleur exceptionnelle, l’offre de soin à Mayotte était extrêmement fragile et ne permettait pas une prise en charge optimale des patientes et des patients sur l’île. La faible densité médicale associée à une forte croissance démographique et une immigration importante pourraient expliquer, au moins en partie, pourquoi le système de soins sur l’île est continuellement sous tensions.
Le CHM comporte un site principal, quatre centres médicaux de référence et douze dispensaires dispersés sur l’ensemble du territoire. On y dénombre 582 lits en médecine-chirurgie-obstétrique, ce qui représente à peine 40 % de la moyenne hexagonale (1,6 lit pour 1000 habitants à Mayotte, contre 3,6 dans l’Hexagone), d’après l’Atlas de la démographie médicale en France. Sur l’île, la population est estimée à 321 000 habitants au 1er janvier 2024 par l’Insee. Le développement de la médecine de ville y est balbutiant, avec seulement 390 professionnels de santé libéraux en 2021.
Enfin, le CHM souffre d’un manque de personnel et d’un turn-over important : de nombreux postes ne sont pas pourvus, et l’ensemble des spécialités médicales n’y est pas représenté. Ce manque d’effectifs et de spécialistes est en partie comblé par l’envoi ponctuel de professionnels de santé pour des missions courtes depuis l’Hexagone ou La Réunion.
Le dispositif d’évacuations sanitaires français appelé EVASAN vient en somme suppléer à un déficit d’infrastructures de santé et de personnel médical. Nos travaux ont notamment montré que ce dispositif représente une réponse sanitaire qui rend possible un accès aux soins et aux services médicaux indisponibles ou saturés à Mayotte. Ce dispositif d’évacuations sanitaires est ainsi identifié sur le territoire par les professionnels et patients comme une ressource précieuse qui conditionne l’accès aux soins.
Hors urgence, un dispositif d’évacuation sanitaire régulé par le SAMU
L’EVASAN correspond à un transport médicalisé de patientes et de patients qui permet l’accès à une offre de soins (diagnostic, traitement, opération ou suivi thérapeutique) qui n’est pas disponible sur un territoire donné. Il est principalement utilisé dans les territoires d’outre-mer et en Corse.
Issu du domaine militaire, ce terme désignait au départ l’extraction d’une victime hors de la zone de combat et son acheminement vers une zone de soin. Au fil des années, des progrès technologiques et des enjeux sanitaires sur les territoires, l’EVASAN est devenue le dispositif de transfert aérien ou maritime de malades vers un établissement de soin adapté, pouvant être éloigné d’une grande distance.
Ces transports sont régulés et organisés par le SAMU. Ils permettent à l’État français d’assurer « l’accès effectif de la population à la prévention et aux soins » imposé par le Code de la Santé publique (Article L1411-1). Les services de l’armée et de la sécurité civile peuvent également intervenir en cas de catastrophe, par exemple après le passage du cyclone Chido à Mayotte. La question des évacuations sanitaires se pose de manière particulièrement accrue dans les territoires d’outre-mer du fait de leur isolement géographique et de l’offre médicale parfois très limitée.
Des évacuations sanitaires pour tous, quelle que soit sa situation administrative
À Mayotte, les EVASAN sont réalisées principalement vers La Réunion (93 %, selon le rapport d’activité 2021 du CHM) qui est le département français le plus proche (2h de vol) ou vers l’Hexagone (10h de vol). Les évacuations sanitaires entre Mayotte et l’île de La Réunion ont débuté dans les années 1970. La création d’une commission médicale des évacuations sanitaires en 1996 a permis de formaliser le dispositif.
En 2021, 1463 patientes et patients ont été évacués du centre hospitalier de Mayotte (CHM) vers des établissements de santé réunionnais ou hexagonaux, soit une augmentation de 22 % par rapport à 2020.
Le dispositif EVASAN est accessible à toute personne, quels que soient son âge, sa nationalité, sa situation administrative (en situation régulière ou irrégulière) et son affiliation ou non à la Sécurité sociale. Pour les patientes et patients de moins de 16 ans, le dispositif prévoit la prise en charge d’un accompagnant.
Les médecins du CHM et les médecins libéraux peuvent déposer une demande d’EVASAN. Pour cela, le médecin en charge du patient doit tout d’abord trouver un service receveur (à La Réunion ou dans l’Hexagone) qui accepte d’accueillir le malade. Si la demande de soins est urgente, le patient est évacué immédiatement, sinon la demande est évaluée par la commission médicale des EVASAN, qui se réunit une fois par semaine.
Avant de valider la demande, cette commission vérifie principalement que la prise en charge ne peut pas être effectuée à Mayotte (spécialité non représentée sur le territoire, plateau technique indisponible…). Elle statue également sur la possibilité de prendre en charge un accompagnant pour le patient (un parent pour les mineurs, un ou une conjointe pour les personnes non autonomes).
L’organisation pratique et administrative des évacuations sanitaires est ensuite gérée par le service EVASAN du CHM (une unité fonctionnelle du pôle Urgences – Réanimation – SAMU/SMUR – Evacuation sanitaire – Caisson hyperbare) qui assure le transfert médicalisé des patientes et patients au départ du CHM vers le service receveur ainsi que leur retour.
Ici, la logique de l’évacuation sanitaire est celle d’une progression de soins dans laquelle il s’agit de transférer les personnes vers un centre hospitalier disposant d’un plateau médico-technique et d’un environnement adaptés.
Depuis le Covid, des vols spécifiques pour les malades
À Mayotte, ces transferts s’effectuent par transport sanitaire aérien. Depuis mai 2020, Amélia, une société d’aviation privée, met à disposition du CHM un avion disponible tous les jours de l’année (24h/24h, 7 jours sur 7) financé par la Sécurité sociale et l’Agence Régionale de Santé (ARS), avec un financement du CHM pour le personnel médical présent dans l’avion.
Cet avion de 22 places effectue tous les jours des transferts de malades vers La Réunion, assurant parfois jusqu’à deux rotations quotidiennes. C’est à la situation de crise engendrée par la pandémie de Covid-19 que l’on doit cette évolution majeure du dispositif.
Jusqu’en 2020, la compagnie aérienne Air Austral constituait le prestataire exclusif des transports sanitaires aériens. Les patientes et patients étaient alors transférés via les vols commerciaux de la compagnie régionale, et leur circuit était le même que le circuit passager.
L’EVASAN pour l’urgence et pour délester les services saturés
Ce dispositif d’évacuation répond souvent à un besoin urgent de prise en charge hospitalière. Mais certaines évacuations peuvent aussi être planifiées, pour des diagnostics, des opérations, un traitement ou des visites de contrôle, dans le cadre de maladies chroniques par exemple.
Si les évacuations sanitaires de Mayotte vers La Réunion concernent majoritairement des transferts de patientes et patients pour motifs médicaux, il arrive aussi que la saturation des services hospitaliers sur le territoire oblige les médecins à procéder à des « EVASAN de délestage » qui consistent à envoyer des malades dans les services de santé de La Réunion afin de fluidifier le service concerné en libérant de la place.
Qu’il s’agisse d’évacuations sanitaires urgentes, programmées ou de délestage, les durées de séjours et d’hospitalisations sont très variables, allant de quelques jours ou semaines à plusieurs mois voire plusieurs années, en fonction de la pathologie et des soins nécessaires. Il arrive également que le retour à Mayotte ne soit pas possible, lorsque les soins n’y sont pas disponibles (dans le cadre d’un suivi) ou que les personnes décèdent des suites de leur maladie.
Dolores Pourette
Anthropologue, chargée de recherche, Institut de recherche pour le développement (IRD)
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