Élections

Espagne – élections 2023 : le pari risqué des socialistes face à la montée en puissance de la droite

Deux questions occuperont les analystes bien après l’élection. Premièrement, sera-t-il possible de former un gouvernement soutenu par une majorité stable au parlement ? Et deuxièmement, le gouvernement inclura-t-il des élus de Vox, un parti d’extrême droite hostile à l’immigration , ainsi qu’aux droits des femmes et des minorités sexuelles et de genre ?

Si les conservateurs du Partido Popular (PP) l’emportent et que Vox détient le rapport de force, l’extrême droite rejoindra une coalition gouvernementale pour la première fois depuis la consolidation de la démocratie espagnole .

En tant que doctorante et chargée de cours en sociologie à l’Université du Québec à Montréal, mes recherches portent sur la mémoire collective du passé fasciste en Espagne et en Italie démocratiques.

Des élections régionales et municipales aux élections législatives

Les partis de la coalition gouvernementale espagnole ont subi une défaite historique lors des élections régionales et municipales du 28 mai.

Le PP devrait bientôt diriger 11 régions, contre trois pour les socialistes . Avant les élections régionales, ces deux partis étaient respectivement en tête de cinq et neuf régions. Le PP devrait également gouverner en coalition avec Vox dans 135 communes .

La progression du PP est marquée : au niveau national, le parti a obtenu près de deux millions de voix par rapport aux élections législatives de novembre 2019, culminant à 31,5 % des suffrages. Les socialistes (PSOE) ont subi une légère baisse de 430 000 voix par rapport à 2019, obtenant 28 % des voix. Pourtant, l’effondrement de Podemos, leur partenaire de coalition, place la gauche dans une position précaire.

Le PP, pour sa part, a absorbé Ciudadanos, un parti de droite dont le virage centriste a visiblement été un échec et qui a renoncé à se présenter aux élections législatives . Vox, pour sa part, a fait des progrès significatifs par rapport aux précédentes élections régionales et municipales, et détient l’équilibre des pouvoirs dans cinq régions remportées par le PP.

Ainsi, Vox poursuit sur sa lancée, portée par les tensions que la nature plurinationale de l’Espagne (Catalogne, Pays Basque) entraîne, et par les réticences de la composante la plus conservatrice de l’électorat catholique à développer les droits des femmes et des personnes LGBTQ+. Il suit l’exemple d’autres forces politiques d’extrême droite qui ont pris le pouvoir en Europe ces dernières années. Le parti espère voir une progression similaire aux Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni et à la Lega de Matteo Salvini, qui ont pris le pouvoir en Italie en octobre dernier. Le parti rêve d’imiter son allié, Viktor Orban , qui dirige la Hongrie depuis 2010.

Alberto Núñez Feijóo, leader du PP, avait soigneusement évité la question des alliances entre son parti et Vox jusqu’à récemment, attribuant uniquement un niveau régional de coalition entre ces partis . Il est quotidiennement confronté à cette question depuis le déclenchement des élections législatives.

La démocratie contre l’extrême droite ?

Le Premier ministre sortant, Pedro Sánchez, est habitué aux aventures risquées. En 2019, il a convoqué des élections anticipées en novembre, après avoir été élu minoritaire lors des élections d’avril. N’ayant pas les gains souhaités, il forme alors une coalition avec Podemos.

Au lendemain des élections du 28 mai, il a convoqué des élections législatives, invoquant le message clair envoyé par la population, à la fin du mandat de l’Espagne à la présidence tournante du Conseil de l’Union européenne .

En termes stratégiques, la décision de Sánchez est une entreprise risquée. Il espère freiner l’élan conservateur dans l’espoir que le PP et Vox seront à court de majorité. Aux élections du 28 mai, le PP et Vox ont obtenu 38,68 % des suffrages , ce qui, aux élections législatives, donnerait 160 sièges, loin des 176 nécessaires à une majorité parlementaire. La tendance à long terme est d’éroder le vote socialiste et d’augmenter le nombre de voix en faveur du PP : un vote en juillet plutôt qu’en décembre pourrait laisser trop peu de temps à la droite et lui coûter la majorité.

La gauche mise sur l’unité

Les socialistes appellent au bras de fer contre l’extrême droite. La campagne électorale coïncide avec des négociations sur la formation de coalitions pour gouverner les régions autonomes. Le PP s’est déjà mis d’accord avec Vox pour former des coalitions à Valence et en Estrémadure . Les conservateurs ont négocié l’abstention de l’extrême droite aux Baléares en échange de la présidence du parlement , mais sans concéder de portefeuille ministériel à Vox. Le PSOE compte sur ces alliances pour mobiliser son électorat .

Afin de mieux faire face à la menace posée par l’extrême droite, la gauche s’est engagée à l’unité. Les forces politiques à gauche du PSOE se sont rassemblées dans un nouveau parti, Sumar, dirigé par la ministre du Travail sortante Yolanda Díaz. Cela évitera la division du vote qui a coûté cher à Podemos le 28 mai.

En campagne, le PSOE et Sumar s’accordent sur les options qui s’offrent aux électeurs : un bloc de gauche, héritier d’un gouvernement progressiste ; et un bloc de droite et d’extrême droite, qui veut démanteler les politiques sociales mises en place par la gauche.

La droite hésite, puis assume ses alliances

Pour contrer l’appel socialiste à bloquer l’extrême droite, le PP de Feijóo a ajusté sa stratégie. Il a d’abord appelé Vox à laisser son parti gouverner les régions où il est arrivé en tête sans faire de concessions à l’extrême droite .

Il a également appelé Sánchez et les élus de son parti à s’engager à s’abstenir lors de l’investiture du futur gouvernement espagnol, si cela est nécessaire pour permettre au parti vainqueur de gouverner seul. Le leader socialiste a refusé de s’y engager, rappelant l’opposition du PP à l’investiture des socialistes suite aux deux élections législatives de 2019 .

La droite a voulu capitaliser sur l’élan qui lui avait été donné lors des élections du 28 mai en évitant de donner des munitions aux socialistes trop proches de Vox. Le PP est désormais transparent quant à sa volonté d’intégrer Vox au gouvernement central si le soutien de ses députés est nécessaire pour son investiture.

La droite a peu d’alliés

Ce changement de cap reflète bien sûr un problème persistant pour le PP : dans un système de partis fragmenté, la droite a peu d’alliés potentiels au parlement , jugeant illégitimes les alliances avec les partis nationalistes basque et catalan .

A ceux qui l’interrogent sur les risques d’une coalition avec Vox, Feijóo repasse le ballon à Sánchez avec ce que beaucoup voient comme une fausse équivalence . Le leader socialiste, à la tête d’une coalition avec les populistes de gauche de Podemos, a parfois eu besoin du soutien des indépendantistes basques et catalans lors de la dernière législature, mais il ne leur a pas permis de gouverner .

La participation électorale, un élément clé pour les socialistes

Alors que Sánchez appelle à freiner la montée de l’extrême droite, Feijóo veut encadrer l’élection du 23 juillet comme un référendum sur les années Sánchez .

La participation électorale sera un élément clé du succès socialiste, mais les élections tenues à l’été tendent à démobiliser l’électorat, ce qui risque de profiter à la droite.

Dans ce contexte, Sánchez veut forcer son adversaire à débattre , tandis que Feijóo se contente d’un faible engagement de l’électorat . Il n’a accepté qu’un débat en face-à-face avec Sanchez , alors que ce dernier profite de toutes les invitations sur les plateaux de télévision pour tenter de convaincre le public de lui accorder un autre mandat.

Risque calculé?

Sánchez joue gros dans ces élections : son échec porterait l’extrême droite au pouvoir pour la première fois en 45 ans de démocratie. Ce serait une tache indélébile sur sa carrière politique.

Pour l’instant, les sondages montrent que le PP l’emporte, mais une coalition avec Vox pourrait ne pas suffire à lui donner une majorité . Dans ces circonstances, Sánchez s’accroche à l’espoir de rester au pouvoir malgré la victoire attendue du PP. S’il en a l’occasion, il devra certainement faire face à une bataille difficile pour négocier le soutien des nombreuses parties dont il aura besoin pour son investiture.

Michel-Philippe Robitaille

Doctorante et chargée de cours en sociologie, Université du Québec à Montréal (UQAM)

roi makoko

Recent Posts

Ukraine : des difficultés croissantes sur le champ de bataille

En mai 2023, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a entamé une tournée éclair dans les…

2 jours ago

Afrique du Sud : a carrière remarquable de Tito Mboweni

Tito Titus Mboweni, né le 16 mars 1959 à Tzaneen, une ville d'Afrique du Sud…

2 jours ago

Kenya : la destitution du vice-président Rigathi Gachagua ne serait pas une surprise

Le processus de destitution du vice-président du Kenya, Rigathi Gachagua, s'inscrit dans une longue histoire…

2 jours ago

Comment protéger nos démocraties ?

La possible réélection de Donald Trump à la Maison-Blanche d’ici quelques semaines représente un danger…

3 jours ago

Kenya : le shilling kenyan reprend de la valeur, mais cela ne devrait pas durer

Peu de temps après les élections kenyanes de 2022, le shilling s'est rapidement déprécié par…

3 jours ago