Analyses

Entrepreneuriat : « sept péchés » pour bâtir une entreprise durable

Une start-up lance un produit innovant, écologique et durable ? Formidable ! Pour autant, même pleins de bonnes intentions, les entrepreneurs peuvent souvent passer à côté de dimensions importantes pour rendre leur entreprise responsable. Livraisons, gouvernance, matières premières… Quels sont les « sept péchés » de la durabilité ?

Les jeunes innovateurs bien intentionnés veulent la plupart du temps que leurs produits offrent une proposition de valeur durable. Cependant, ces entrepreneurs commettent souvent ce que nous avons l’habitude d’appeler les « péché » de la durabilité. Bien qu’ils aient créé un design de produit solide qui respecte en grande partie le triple objectif de respecter l’environnement, générer un impact social positif et produire des bénéfices économiques équitables, leurs idées présentent invariablement une faille.

Ces péchés sont naturels : le rythme rapide auquel travaillent les entrepreneurs leur laisse rarement le temps nécessaire pour prendre en compte tous les facteurs, notamment lorsqu’il s’agit de durabilité. Il faut en effet évaluer à la fois les implications en matière de consommation d’énergie et d’équité de genre, par exemple. Pour aider tous ceux qui souhaitent éviter ces erreurs, nous proposons quelques points de repère et une série de questions à se poser. Généralement, ces erreurs qui empêchent de pérenniser une entreprise durable peuvent se regrouper en sept catégories.

La livraison, un secteur d’émissions souvent oublié

La première erreur courante concerne le processus de livraison. L’entrepreneur finalise un concept de produit responsable, mais se fie à un processus de livraison établi. Qu’il s’agisse d’Amazon, Colissimo, eBay ou FedEx, de nombreux entrepreneurs choisissent d’utiliser des méthodes de livraison non durables pour envoyer leurs produits au client.

Prenons le cas d’une start-up de vêtements écologiques qui décide d’envoyer ses produits en utilisant des emballages standard non recyclables et des méthodes d’expédition à haute émission de carbone. Ce choix annule de fait de nombreux avantages de durabilité liés à un design potentiellement innovant. Pour éviter cela, les entrepreneurs peuvent se de demander quel est l’impact environnemental du type d’expédition ou de livraison choisi. Est-ce le plus écologique ? Le fournisseur favorise-t-il l’utilisation de méthodes de livraison uniques (lockers, click & collect) ? Privilégier la livraison dans des casiers situés dans un centre commercial ou une gare permet d’éviter une grande quantité de déplacements pour le livreur, et donc des émissions de carbone.

Retracer la provenance des matières premières

Une autre erreur simple mais significative provient de la méconnaissance de la provenance des ressources utilisées pour fabriquer le produit. De nombreux entrepreneurs croient simplement ce qu’annoncent les étiquettes ou les promesses faites par leurs fournisseurs. Par exemple, une entreprise croit utiliser du coton biologique mais, à y regarder de plus près, il se révèle être cultivé avec des pratiques qui endommagent les écosystèmes locaux.

Pour éviter cela, nous encourageons les entrepreneurs à recueillir plus d’informations sur la source, la fabrication et les labels attribués aux matières premières et aux ressources qu’ils utilisent. Pour ce faire, ils doivent prendre le temps de se rapprocher des fournisseurs et leur poser des questions sur leurs sites de production, les institutions derrière leurs labels, les processus de production, les politiques de gestion des déchets…

Établir l’ensemble du cycle de vie du produit

Lorsqu’il s’agit de durabilité, les entrepreneurs se concentrent surtout sur le produit. En faisant cela, ils ne réfléchissent pas toujours au cycle de vie du produit qui peut pourtant être déterminant pour garantir sa durabilité. Le cycle de vie est la succession des étapes par lesquelles un produit passe durant son existence, de la production à l’utilisation et jusqu’à la fin de sa vie. Par exemple, une start-up qui produit des appareils alimentés par énergie solaire peut concevoir un produit très efficace sur le plan énergétique mais ignorer l’impact environnemental lié à la mise au rebut du produit.

C’est pourquoi nous encourageons les entrepreneurs à créer une carte « cradle to cradle ». Cette expression signifie littéralement « de berceau à berceau » et consiste à faire une cartographie de toutes les étapes de création, d’utilisation et de mise au rebut du produit, en mettant l’accent sur la façon dont ce qui est « pris » à la nature y retournera. Les start-up devraient aussi se demander si elles ont pensé à la réparabilité de leurs produits.

L’entreprise n’est pas le seul acteur de la durabilité

Certains entrepreneurs conçoivent des cycles de vie de produits impeccables qui prennent en compte tout le parcours de vie de leurs produits durables. Le seul problème qu’ils rencontrent est qu’ils n’ont pas formé ou informé le client sur ce qu’il doit faire pour compléter ce cycle de vie du produit. Par exemple, une entreprise de tapis peut mettre en place tout un processus pour récupérer un vieux tapis à la fin de son cycle de vie, mais ne pas éduquer le client sur la façon dont il doit contacter l’entreprise plusieurs années après pour son ramassage.

Pour éviter ce piège, les entrepreneurs peuvent se poser les questions suivantes : mon client sait-il quelles sont ses responsabilités dans le cycle de vie du produit ? Ai-je un moyen de le rappeler à mes clients ? Comment puis-je communiquer auprès d’eux efficacement ?

La durabilité pour les produits, mais aussi dans le fonctionnement de l’entreprise

Un autre point crucial que les entrepreneurs négligent trop souvent, c’est d’observer leur propre organisation avec un regard critique. Parfois, cela est dû au fait que l’équipe se sent déjà suffisamment engagée dans le processus de création d’une entreprise socialement responsable, et les entrepreneurs partent donc du principe qu’en interne, ils sont également irréprochables. Mais qu’en est-il du bien-être des employés ?

L’employeur doit également respecter le triple objectif en interne. Une entreprise, par exemple, peut parfaitement promouvoir la durabilité en externe tout en négligeant des salaires équitables ou des conditions de travail sûres pour ses employés. Les entrepreneurs doivent ainsi se poser les questions suivantes : les salaires sont-ils appropriés ? L’environnement de travail est-il adéquat aux tâches réalisées et aux besoins des employés ? Quel est l’impact du transport des employés ? Formons-nous nos employés sur des sujets liés à la durabilité ?

Un système de gouvernance claire

La gouvernance de l’entreprise est l’acte d’équilibrer les intérêts des différentes parties prenantes. Ces parties prenantes incluent les gouvernements, les investisseurs, les clients et les employés. Une bonne gouvernance nécessite un système de règles, de normes et de pratiques clairement définies.

Sans une gouvernance claire, une start-up pourrait avoir des problèmes de transparence et de responsabilité, ce qui entraînerait des difficultés éthiques et opérationnelles. Les start-up doivent consacrer du temps à réfléchir à cette gouvernance en se posant des questions comme : comment prendrons-nous nos décisions ? Quels facteurs doivent être pris en compte ? Quelles sont les priorités lors de prises de décision difficiles ?

Innover, mais pas seulement lors de l’initiation du projet

Enfin, nous aimerions inviter les entrepreneurs à penser à l’innovation continue, un élément fondamental pour assurer la durabilité et la viabilité à long terme de l’entreprise. Par exemple, une entreprise peut prospérer initialement avec un produit durable qui satisfait toutes les conditions précédentes, mais échouer à innover dans la durée, risquant ainsi l’obsolescence dans un marché dynamique.

Pour éviter cela, on peut inviter les entrepreneurs à se poser des questions comme : que fera l’entreprise pour rester compétitive dans le temps ? Quelles sont les ressources financières, sociales et humaines disponibles pour promouvoir l’innovation ? Comment favorise-t-on, encourage-t-on et récompense-t-on la culture de l’innovation ?

En abordant ces sept péchés de durabilité, les start-up peuvent s’assurer que leur modèle a véritablement un impact positif sur l’environnement, la société et l’économie. Nous croyons que les entreprises ont une vraie opportunité, par leur engament, pour changer notre modèle de société et notre rapport avec le monde qui nous entoure.

Greg Unruh

Associate Professor, School of Integrative Studies, George Mason University

roi makoko

Recent Posts

Mesure expérimentale pour la fluidité du trafic routier à Kinshasa : la population vexée sous l’oeil de Bemba !

La mesure prise pour fluidifier le trafic routier à Kinshasa ( RDC )a capoté. Cela…

2 semaines ago

Etats généraux de la justice en RDC : le régime Tshisekedi engagé réparer l’appareil judiciaire

Ce mercredi au Centre financier de Kinshasa, le Président Félix Tshisekedi, en sa qualité de…

2 semaines ago

Arrêter le mpox : les marchés de viande sauvage sont une cause fondamentale

Dans de nombreux pays du monde, les animaux sauvages sont parfois tués pour être mangés,…

2 semaines ago

RDC vs Rwanda : Que la course vers Trump commence ? (Tribune de Jo M. Sekimonyo)

La victoire de Trump a provoqué un véritable frisson sur la scène internationale, et beaucoup…

2 semaines ago

États-Unis : la présidence Trump pourrait changer l’économie mondiale

La victoire de Donald Trump aux élections de 2024 et sa menace d’imposer des droits…

2 semaines ago

Développement Économique : Quelle est la Pire Culture, l’Anti-Intellectualisme ou l’Illusion d’Intellectualisme ? (Tribune de Jo M. Sekimonyo)

Qu’est-ce que cet anti-intellectualisme, cette étrange bête culturelle qui prospère en RDC ? C’est une…

3 semaines ago