Face à la persistance de l’insécurité à l’Est de la République démocratique du Congo, l’État a progressivement eu recours à la sous-traitance de ses fonctions régaliennes de sécurité, impliquant forces internationales, régionales et acteurs non étatiques. Si ces mécanismes peuvent répondre à l’urgence, ils ne traitent pas les causes profondes de la crise. L’article soutient que l’insécurité chronique en RDC est aussi le symptôme d’un affaiblissement prolongé des institutions de l’État.
S’appuyant sur les travaux de l’économie institutionnelle et sur les données de la Banque mondiale, l’analyse montre que la RDC figure parmi les pays les moins performants au monde en matière de gouvernance, d’efficacité gouvernementale, d’État de droit et de contrôle de la corruption. Cette faiblesse institutionnelle explique l’incapacité de l’État à assurer durablement la sécurité, à mobiliser et allouer efficacement les ressources publiques, et à produire des résultats de développement.
L’article plaide ainsi pour un changement de paradigme : sortir de la logique de sous-traitance sécuritaire pour engager un chantier national de reconstruction institutionnelle fondé sur la qualité du leadership, la redevabilité et l’implication citoyenne. Sans institutions solides, ni la paix ni le développement ne peuvent s’inscrire dans la durée.
La sécurité : une prérogative constitutionnelle fragilisée
La Constitution de la République démocratique du Congo établit clairement que la sécurité du territoire national, ainsi que la protection des biens et des personnes, relèvent exclusivement des prérogatives régaliennes de l’État congolais. Ce principe fondateur de la souveraineté nationale confère à l’État la responsabilité première de garantir l’ordre, la paix et l’intégrité du territoire, sans délégation structurelle à des acteurs extérieurs.
Cependant, la persistance et la complexité de la guerre à l’Est du pays ont progressivement fragilisé cette architecture constitutionnelle. Face à l’ampleur des défis sécuritaires, à la multiplication des groupes armés et aux limites opérationnelles des forces nationales, le gouvernement congolais a opté, souvent par contrainte plutôt que par choix stratégique, pour l’externalisation partielle de ses fonctions de sécurité. Cette option s’est imposée comme une réponse pragmatique à l’urgence, dans un contexte où l’État peine à assurer seul la protection effective de ses citoyens.
Ainsi, au fil des années, plusieurs acteurs externes ou parallèles ont été mobilisés pour combler les insuffisances de l’appareil sécuritaire national. La Mission des Nations unies pour la stabilisation en RDC (MONUSCO), les forces régionales déployées dans le cadre d’initiatives africaines, le recours à des mercenaires, l’appui de groupes d’autodéfense locaux communément appelés Wazalendo, ainsi que, plus récemment, l’implication des États-Unis d’Amérique en tant que garant de l’accord signé récemment entre la RD Congo et le Rwanda, illustrent cette diversification des réponses sécuritaires.
Si ces dispositifs peuvent, dans certains cas, contribuer à contenir la violence ou à prévenir une escalade immédiate, ils demeurent fondamentalement des solutions de court terme. Ils traitent les manifestations visibles de l’insécurité sans s’attaquer aux causes profondes qui la nourrissent. En l’absence d’institutions nationales fortes, capables d’assumer pleinement leurs responsabilités régaliennes, la multiplication des acteurs sécuritaires ne fait que masquer — sans résoudre — une crise devenue structurelle.
La sous-traitance sécuritaire : un traitement des symptômes
Le recours croissant à la sous-traitance sécuritaire apparaît, à première vue, comme une réponse rationnelle à une situation d’urgence prolongée. Face à une insécurité persistante, à des capacités nationales limitées et à une pression politique interne et internationale accrue, l’État congolais a cherché des solutions immédiates pour éviter l’effondrement total de certaines zones du territoire. Toutefois, cette approche, bien qu’opérationnellement compréhensible, comporte des limites structurelles majeures.
Par nature, la sous-traitance des fonctions régaliennes ne peut être qu’une solution transitoire. Les forces étrangères, les acteurs régionaux ou privés, ainsi que les groupes armés alliés, opèrent selon des mandats, des intérêts et des logiques qui ne coïncident pas toujours avec ceux de l’État congolais. Leur présence est souvent conditionnée par des accords politiques fragiles, des financements externes ou des calculs géostratégiques susceptibles d’évoluer rapidement. Dès lors, la sécurité qu’ils contribuent à instaurer demeure précaire, réversible et dépendante de facteurs échappant largement au contrôle national.
Plus préoccupant encore, la sous-traitance sécuritaire tend à détourner l’attention des réformes institutionnelles indispensables. En offrant une illusion de stabilisation, elle réduit l’urgence politique d’investir dans la reconstruction des forces armées, de la police, du système judiciaire et des mécanismes de gouvernance qui constituent pourtant le socle d’une sécurité durable. Elle peut même, dans certains cas, affaiblir davantage les institutions nationales en les maintenant dans une position de dépendance chronique vis-à-vis d’acteurs externes.
Cette dépendance comporte également un coût en termes de souveraineté. En confiant une part essentielle de la sécurité nationale à des intervenants extérieurs, l’État s’expose à des agendas qui ne sont pas nécessairement alignés sur les priorités nationales. Les arbitrages sécuritaires peuvent alors être influencés par des considérations diplomatiques, économiques ou stratégiques étrangères aux besoins réels des populations congolaises. La sécurité devient ainsi un objet de négociation plutôt qu’un droit garanti par l’État.
En définitive, la sous-traitance sécuritaire ne s’attaque pas aux racines du problème. Elle gère l’urgence sans traiter les causes structurelles de l’insécurité, notamment la faiblesse des institutions, la fragmentation de l’autorité de l’État et l’absence de mécanismes durables de gouvernance. Tant que ces fondations resteront fragiles, toute amélioration sécuritaire obtenue par des moyens externes demeurera temporaire et vulnérable aux chocs extérieurs.
Institutions et développement
Les difficultés sécuritaires de la République démocratique du Congo ne peuvent être comprises indépendamment de la question plus large du développement et, surtout, de la qualité des institutions qui en constituent le socle. Depuis plusieurs décennies, la recherche en économie politique du développement a démontré que la prospérité des nations ne repose ni principalement sur l’abondance des ressources naturelles, ni sur la seule accumulation du capital, mais sur la solidité des institutions politiques et économiques.
Le professeur Douglass North, figure majeure de l’économie institutionnelle, résumait cette réalité par une formule devenue célèbre : « Montrez-moi la qualité de vos institutions et je vous dirai jusqu’où vous pouvez aller sur le chemin du développement. » Cette intuition a été confirmée par des travaux empiriques majeurs, notamment ceux de Daron Acemoglu et James Robinson, qui ont mis en évidence le rôle déterminant des institutions inclusives dans la croissance économique, la stabilité politique et la cohésion sociale. La reconnaissance de ces travaux par le prix Nobel d’économie en 2024 n’a fait que consacrer une évidence trop souvent ignorée dans le débat public.
Dans cette perspective, la sécurité ne doit pas être perçue comme une question strictement militaire, mais comme le produit d’un système institutionnel fonctionnel. Des institutions solides permettent à l’État de mobiliser les ressources nécessaires, d’en assurer une allocation efficace, d’imposer l’autorité de la loi et de bâtir des forces de sécurité professionnelles, disciplinées et responsables. À l’inverse, lorsque les institutions sont faibles, fragmentées ou capturées par des intérêts particuliers, l’insécurité devient structurelle, quel que soit le volume des moyens militaires mobilisés.
La République démocratique du Congo illustre tragiquement cette dynamique. Malgré son potentiel économique considérable, le pays peine à transformer ses ressources en bien-être collectif. L’incapacité chronique de l’État à assurer la sécurité du territoire, à fournir des services publics de base et à instaurer un climat de confiance reflète moins un déficit de moyens qu’un déficit institutionnel profond. Les défaillances observées dans le secteur de la sécurité sont ainsi indissociables de celles qui affectent la gouvernance économique, la justice, l’administration publique et les mécanismes de redevabilité.
Ignorer cette dimension institutionnelle revient à confondre les causes et les conséquences. Multiplier les interventions sécuritaires sans s’attaquer à la faiblesse des institutions revient à construire sur des fondations instables. Tant que l’État congolais ne sera pas en mesure de se doter d’institutions crédibles, efficaces et légitimes, la sécurité restera fragile, dépendante de facteurs externes et incapable de soutenir un développement durable.
La dégradation continue des institutions en République démocratique du Congo
La faiblesse institutionnelle de la République démocratique du Congo n’est ni récente ni conjoncturelle. Elle s’inscrit dans une dynamique de long terme, marquée par une détérioration progressive et persistante de la qualité de la gouvernance. Les indicateurs internationaux, notamment ceux de la Banque mondiale relatifs à l’efficacité gouvernementale, à l’État de droit et au contrôle de la corruption, montrent de manière constante que la RDC se situe parmi les pays les moins performants depuis plus de vingt ans. Cette tendance négative, largement documentée, constitue un signal d’alarme qui, paradoxalement, ne semble pas susciter une mobilisation nationale à la hauteur des enjeux.
Un regard comparatif sur la qualité des institutions congolaises par rapport au reste du monde met en lumière l’ampleur des défis institutionnels auxquels la RDC est confrontée. Selon les données de la Banque mondiale issues des Worldwide Governance Indicators, la RDC se situe très bas dans la distribution mondiale des performances institutionnelles. Par exemple, en 2023, la mesure de l’efficacité gouvernementale — qui reflète la qualité des services publics, de la formulation et de la mise en œuvre des politiques — place la RDC à environ 5 % du rang mondial, ce qui signifie que seulement 5 % des pays font pire qu’elle dans cette dimension.
Dans la même logique, d’autres dimensions clés de la gouvernance, telles que l’autorité de l’État de droit, la qualité de la réglementation ou le contrôle de la corruption, tendent à figurer dans les percentiles les plus bas du classement global, soulignant un niveau institutionnel nettement inférieur à la moyenne mondiale — qui, pour ces indicateurs, se situe autour de la médiane (50 % ou plus) dans les pays mieux gouvernés. En comparaison avec les moyennes régionales d’Afrique subsaharienne, où certains États affichent des performances modestes mais supérieures (par exemple Botswana ou Cabo Verde), la RDC reste en retrait, reflétant non seulement des institutions faibles mais aussi une capacité limitée à répondre aux besoins fondamentaux de la société.
Cette situation contraste fortement avec celle de pays qui se situent dans les tranches supérieures des classements internationaux, où l’efficacité administrative, le respect de l’état de droit et les mécanismes de lutte contre la corruption sont beaucoup plus développés, contribuant à la stabilité politique et à la performance économique. En somme, les données confirment que la qualité institutionnelle en RDC est significativement plus faible que les standards régionaux et mondiaux, ce qui alimente l’instabilité sécuritaire et entrave le développement durable.
Cette érosion institutionnelle se manifeste par une incapacité chronique de l’État à faire respecter ses propres règles, à assurer la continuité des politiques publiques et à garantir l’égalité des citoyens devant la loi. Les institutions, au lieu d’agir comme des garde-fous et des instruments de régulation, deviennent souvent des espaces de négociation informelle, de personnalisation du pouvoir et de captation des ressources publiques. Dans un tel contexte, la légitimité de l’État s’affaiblit progressivement, alimentant la méfiance des citoyens et ouvrant la voie à des formes alternatives d’autorité, parfois violentes.
La célèbre déclaration du président Barack Obama selon laquelle « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts, mais d’institutions fortes » prend ici une résonance particulière. En RDC, le débat public tend encore à se focaliser sur les figures politiques, les rapports de force et les solutions immédiates, au détriment d’une réflexion approfondie sur la construction institutionnelle. Or, les institutions ne sont pas des entités abstraites ; elles sont le produit des décisions, des comportements et des incitations façonnées par les acteurs humains qui les dirigent et les font fonctionner.
Le véritable paradoxe congolais réside précisément dans cette dimension humaine de la crise institutionnelle. Les règles existent souvent sur le papier, mais leur application dépend de la volonté, de la compétence et de l’intégrité de ceux qui sont chargés de les faire respecter. Lorsque les mécanismes de sélection, de contrôle et de sanction des dirigeants sont défaillants, les institutions deviennent vulnérables à la politisation, à l’inefficacité et à la corruption. Cette fragilité structurelle explique en grande partie pourquoi les réformes annoncées peinent à produire des résultats tangibles et durables.
Ainsi, la dégradation continue des institutions en RDC n’est pas seulement un problème technique ou administratif ; elle est au cœur de la crise de l’État. Tant que cette réalité ne sera pas reconnue comme une priorité nationale, les réponses apportées aux défis sécuritaires, économiques et sociaux resteront fragmentaires, réactives et incapables d’inverser durablement la trajectoire du pays.
Le problème du leadership et de la sélection des décideurs
Au cœur de la crise institutionnelle que traverse la République démocratique du Congo se trouve une question rarement abordée de manière frontale : celle de la qualité du leadership et des mécanismes de sélection des décideurs publics. Les institutions, aussi bien conçues soient-elles sur le papier, ne peuvent fonctionner efficacement que si elles sont animées par des femmes et des hommes compétents, intègres et engagés au service de l’intérêt général. Lorsque ces conditions ne sont pas réunies, les institutions perdent leur substance et deviennent incapables de produire des résultats durables.
En RDC, les mécanismes permettant de sélectionner les dirigeants sur la base du mérite, de la compétence et de l’éthique demeurent largement déficients. L’accès aux positions de pouvoir est trop souvent déterminé par des logiques de loyauté politique, de réseaux personnels ou de calculs circonstanciels, plutôt que par l’évaluation rigoureuse des capacités à concevoir et à mettre en œuvre des politiques publiques. Cette réalité fragilise l’ensemble de l’appareil d’État et limite sa capacité à répondre efficacement aux attentes des citoyens.
Le fonctionnement de certaines institutions clés, telles que la Commission électorale et le système judiciaire, illustre de manière emblématique ce problème. Ces structures jouent un rôle central dans l’organisation de la vie politique et dans l’arbitrage des conflits, mais leur crédibilité dépend directement de leur indépendance, de leur professionnalisme et de la qualité des personnes qui les composent. Lorsque ces garanties font défaut, le processus de sélection des dirigeants politiques s’en trouve biaisé, avec pour conséquence l’émergence d’un leadership dont les capacités morales et intellectuelles ne sont pas toujours à la hauteur des défis nationaux.
Cette faiblesse du leadership ne se limite pas au sommet de l’État. Elle se répercute sur l’ensemble des secteurs stratégiques, notamment l’éducation, la santé, les infrastructures, l’armée, la sécurité, l’économie et l’agriculture. Dans chacun de ces domaines, l’absence de critères transparents et exigeants pour la nomination des responsables contribue à la reproduction de contre-performances chroniques. Le manque de vision, de compétence technique et de sens de la responsabilité publique devient alors un obstacle majeur à toute tentative de réforme structurelle.
Plus fondamentalement, cette situation révèle un décalage préoccupant entre les attentes de la population et les exigences de la gouvernance moderne. Les citoyens réclament légitimement des résultats — sécurité, emplois, services publics de qualité — sans toujours interroger les processus par lesquels les décideurs sont choisis et tenus responsables de leurs actions. Or, sans un leadership de qualité et des mécanismes crédibles de sélection et de redevabilité, les institutions restent fragiles et les politiques publiques inefficaces.
Ainsi, la question du leadership ne constitue pas un débat secondaire ou élitiste ; elle doit être au cœur de la reconstruction institutionnelle de la République démocratique du Congo. Tant que le pays ne se dotera pas de mécanismes robustes garantissant que les meilleurs profils accèdent aux responsabilités publiques, les efforts pour renforcer la sécurité, relancer le développement et restaurer la confiance des citoyens resteront largement compromis.
Un État comme système : quand un maillon cède, tout s’effondre
Un État moderne ne fonctionne pas comme une juxtaposition d’institutions isolées, mais comme un système complexe composé de structures, de services et d’acteurs étroitement interdépendants. Chaque institution — qu’il s’agisse de l’administration publique, de la justice, des forces de sécurité, du système électoral ou des services sociaux — constitue un maillon d’un réseau dont la performance globale dépend du bon fonctionnement de chacune de ses composantes. Lorsque l’un de ces maillons faiblit, les effets se propagent inévitablement à l’ensemble du système.
En République démocratique du Congo, ce dysfonctionnement systémique est devenu la norme plutôt que l’exception. Les faiblesses observées dans un secteur donné ne restent jamais confinées à celui-ci. Elles affectent, par effet domino, d’autres domaines clés de l’action publique. Ainsi, une justice inefficace ou politisée compromet l’État de droit, fragilise la redevabilité des dirigeants et favorise l’impunité, ce qui, à son tour, mine la discipline des forces de sécurité et alimente l’insécurité. De même, une administration publique peu performante entrave la mise en œuvre des politiques publiques, réduit la capacité de mobilisation des ressources et affaiblit la légitimité de l’État aux yeux des citoyens.
Cette interdépendance explique pourquoi les réponses sectorielles ou fragmentées échouent souvent à produire des résultats durables. Renforcer ponctuellement une institution sans s’attaquer aux défaillances des autres revient à tenter de stabiliser un édifice dont les fondations sont fragiles. Dans un tel contexte, les gains obtenus dans un domaine sont rapidement annulés par les faiblesses persistantes ailleurs dans le système étatique.
La crise sécuritaire en RDC illustre parfaitement cette logique systémique. L’insuffisance des capacités militaires ne peut être dissociée des défaillances du système de formation, de gestion des ressources humaines, de financement public, de contrôle parlementaire et de justice militaire. Tant que ces éléments ne fonctionneront pas de manière cohérente et coordonnée, toute tentative de réforme sécuritaire restera incomplète et vulnérable.
Reconnaître l’État comme un système implique donc un changement de paradigme dans la manière d’aborder les réformes. Il ne s’agit plus de multiplier des interventions isolées, mais de concevoir une stratégie globale de reconstruction institutionnelle, fondée sur la cohérence, la complémentarité et la durabilité. Sans cette approche systémique, la République démocratique du Congo continuera à traiter les crises au coup par coup, sans jamais s’attaquer aux causes profondes de son dysfonctionnement structurel.
Quel chantier national pour sortir de l’impasse ?
Face à l’ampleur et à la profondeur de la crise que traverse la République démocratique du Congo, il devient évident qu’aucune solution ponctuelle ou strictement sécuritaire ne permettra d’enrayer durablement l’instabilité. Le véritable défi national réside dans l’ouverture d’un chantier global de reconstruction institutionnelle, capable de restaurer la capacité de l’État à exercer pleinement ses fonctions régaliennes et à répondre aux attentes fondamentales de la population.
Ce chantier doit commencer par une reconnaissance lucide des défaillances existantes. Il s’agit d’identifier, de manière systématique et sans complaisance, les institutions et les mécanismes qui ne remplissent plus leur rôle, qu’il s’agisse de la gouvernance politique, de l’administration publique, de la justice, des forces de sécurité ou des organes de contrôle. Cette étape diagnostique est indispensable pour éviter les réformes superficielles et orienter les efforts vers les leviers réellement déterminants du changement.
La reconstruction institutionnelle suppose également un investissement massif dans la qualité du leadership et des ressources humaines de l’État. Cela implique de mettre en place des mécanismes transparents et exigeants de sélection, de formation et d’évaluation des décideurs publics, fondés sur la compétence, l’intégrité et la performance. Sans une élite administrative et politique crédible, toute réforme institutionnelle restera lettre morte, faute de porteurs capables de la traduire en actions concrètes.
Par ailleurs, le renforcement de la redevabilité doit constituer un pilier central de ce chantier national. Les institutions ne peuvent fonctionner efficacement sans mécanismes clairs de contrôle, de sanction et de responsabilité. Le Parlement, la justice, les institutions de contrôle et la société civile ont un rôle essentiel à jouer pour garantir que l’exercice du pouvoir s’inscrive dans le respect des règles et de l’intérêt général. La lutte contre l’impunité est, à cet égard, indissociable de la restauration de l’autorité de l’État.
Enfin, ce chantier ne peut réussir sans l’adhésion et l’implication active des citoyens. La reconstruction institutionnelle n’est pas l’affaire exclusive des élites politiques ; elle constitue un projet de société. Elle exige un changement de culture politique, fondé sur l’exigence de qualité, la vigilance citoyenne et le refus de la médiocrité dans la gestion des affaires publiques. C’est à ce prix que la République démocratique du Congo pourra sortir de l’impasse actuelle et s’engager sur une trajectoire de stabilité, de sécurité et de développement durable.
Conclusion
La crise sécuritaire que traverse la République démocratique du Congo ne peut être comprise ni résolue par la seule multiplication des réponses militaires ou diplomatiques. La sous-traitance des fonctions régaliennes, aussi nécessaire soit-elle dans certaines circonstances, demeure une solution de circonstance qui masque une réalité plus profonde : l’affaiblissement prolongé des institutions de l’État. Tant que cette fragilité structurelle persistera, la sécurité restera précaire, dépendante de facteurs externes et vulnérable aux chocs politiques et régionaux.
La paix durable, comme le développement, ne se décrète pas ; elle se construit sur des institutions crédibles, légitimes et efficaces. La République démocratique du Congo dispose des ressources humaines et matérielles nécessaires pour amorcer ce tournant, mais encore faut-il que la reconstruction institutionnelle soit érigée en priorité nationale. Cela exige du courage politique, une exigence accrue de qualité dans le choix des dirigeants, et une mobilisation citoyenne orientée vers la redevabilité et l’intérêt général.
En définitive, la sécurité ne saurait être un point de départ, mais le résultat d’un État qui fonctionne. Tant que la réforme des institutions restera secondaire, les réponses apportées aux crises successives demeureront fragmentaires et temporaires. Le véritable défi pour la RDC est donc clair : reconstruire l’État pour garantir la sécurité, restaurer la souveraineté et offrir enfin aux citoyens les conditions d’une paix et d’un développement durables.
Dr. John M. Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)





















