Cohésion nationale autour des personnes ou des valeurs ? Quelle alternative pour la RDC ? (Tribune de Dr. John M. Ulimwengu)

La République Démocratique du Congo est confrontée à une crise structurelle marquée par la pauvreté, l’instabilité politique et l’inefficacité institutionnelle, malgré ses immenses ressources naturelles. Historiquement, la cohésion nationale s’est construite autour de figures politiques, entraînant un cycle d’instabilité et de mauvaise gouvernance. Nous plaidons pour un changement fondamental : bâtir une cohésion nationale basée sur les valeurs plutôt que sur les individus.

L’expertise, l’intégrité et le patriotisme sont présentés comme les piliers essentiels du développement durable. À l’instar des pays développés, la RDC doit privilégier la méritocratie, renforcer ses institutions et promouvoir la transparence. La réforme du système éducatif, la responsabilisation des élites et l’implication de la société civile sont essentielles pour briser le cercle vicieux du clientélisme et de la corruption. Seule une révolution des valeurs pourra garantir un avenir prospère et stable pour la RDC.

Depuis son indépendance en 1960, la République Démocratique du Congo traverse une histoire marquée par des crises à répétition. À la fois riches en ressources naturelles et affligée par une pauvreté persistante, la nation congolaise fait face à une instabilité chronique, exacerbée par des tensions politiques, des défaillances institutionnelles et des conflits armés. Parmi ces défis, la guerre de rébellion soutenue par des puissances étrangères, notamment le Rwanda, met en péril l’unité nationale et pose la question cruciale de la cohésion du pays. Face à ces multiples secousses, la RDC se trouve à la croisée des chemins : doit-elle continuer à bâtir son unité nationale autour de figures politiques ou réorienter sa cohésion autour de valeurs structurantes et pérennes ?

L’histoire congolaise montre que les tentatives de consolidation de la nation se sont largement appuyées sur des personnalités charismatiques. De Mobutu Sese Seko à Laurent-Désiré Kabila, en passant par Joseph Kabila et les figures actuelles du pouvoir, la gouvernance congolaise a souvent privilégié le culte des dirigeants plutôt que la mise en place d’un socle commun de valeurs. Cette approche a entraîné une instabilité chronique : chaque transition politique a été synonyme de bouleversements, de règlements de comptes et de remise à zéro des efforts de développement. L’absence de continuité institutionnelle et de vision à long terme a empêché la RDC de transformer son immense potentiel économique en prospérité pour sa population. Aujourd’hui, alors que le pays traverse une nouvelle période de turbulences, il devient impératif de reconsidérer les fondements de la cohésion nationale.

Contrairement à ce qui est observé en RDC, les nations qui ont réussi à bâtir un développement durable, se sont structurées autour de valeurs cardinales : l’expertise, l’intégrité et le patriotisme. Ces principes ont permis la formation d’institutions solides, indépendantes des fluctuations politiques, capables de transformer les ressources disponibles en richesses collectives. Dans ces pays, la promotion de la compétence prime sur l’allégeance à un clan ou à un individu. L’intégrité guide la gestion des affaires publiques et réduit la corruption, tandis que l’amour de la patrie pousse les citoyens à œuvrer pour le bien commun. À l’opposé, la RDC souffre d’un système où les appartenances ethniques, les amitiés personnelles et le favoritisme ont pris le pas sur la méritocratie et la bonne gouvernance.

Cette réalité se reflète particulièrement dans des secteurs clés comme l’éducation et la politique. Le recrutement et la promotion des enseignants, de l’école primaire à l’université, échappent souvent aux critères de compétence, ce qui compromet la transmission du savoir et la formation des générations futures. Dans la sphère politique, rares sont les partis qui disposent d’experts capables de suivre et d’analyser en profondeur les enjeux cruciaux du pays, qu’il s’agisse de la santé, de l’énergie ou de l’agriculture. Cette dévalorisation de l’expertise et de la rigueur entraîne un cycle de médiocrité institutionnalisée, où les décisions prennent des mois, voire des années, au lieu de se baser sur une approche pragmatique et efficace.

Le choix auquel la RDC est confrontée est donc clair : continuer à s’accrocher à des figures politiques dont l’influence est éphémère, ou s’engager dans une transformation profonde en fondant sa cohésion nationale sur des valeurs intemporelles. Alors que les individus passent, les valeurs demeurent. Si la RDC veut briser le cycle de l’instabilité et amorcer un développement durable, elle doit opérer un changement radical dans sa conception de la cohésion nationale transitoires.

Un pays doté de ressources mais incapable de garantir le bien-être collectif

La République Démocratique du Congo est un pays d’une richesse inestimable. Avec ses vastes réserves de minerais, ses forêts denses, ses terres arables et son potentiel hydroélectrique parmi les plus élevés du monde, elle possède tous les atouts pour être une puissance économique et sociale en Afrique. Pourtant, paradoxalement, elle figure parmi les pays les plus pauvres de la planète. Ce contraste saisissant entre l’abondance des ressources et la misère de la population pose une question fondamentale : pourquoi la RDC n’a-t-elle jamais réussi à transformer ses richesses naturelles en un véritable levier de développement ?

L’une des raisons majeures de cet échec réside dans l’absence de mécanismes institutionnels solides capables de canaliser ces ressources vers l’amélioration des conditions de vie de la population. Contrairement à d’autres nations qui ont su exploiter leur potentiel économique pour impulser une croissance inclusive, la RDC demeure engluée dans un système de gestion défaillant. Les revenus tirés de l’exploitation minière et d’autres secteurs stratégiques ne sont ni équitablement redistribués ni investis dans des infrastructures de base. Au lieu de financer le développement de l’éducation, des soins de santé ou de l’industrie locale, ces ressources servent souvent à enrichir une élite politique et économique, laissant le reste de la population dans une précarité extrême.

En comparaison, des pays aux conditions initiales moins favorables ont su, grâce à une gouvernance efficace et des institutions solides, transformer leur trajectoire de développement. Singapour, par exemple, ne disposait ni de ressources naturelles abondantes ni d’une superficie étendue. Pourtant, en misant sur la rigueur institutionnelle, l’éducation et une gestion transparente des ressources, ce pays est devenu un centre financier et technologique de premier plan. De même, le Botswana, bien qu’étant un pays enclavé avec une faible population, a réussi à utiliser ses revenus miniers, en particulier ceux issus du diamant, pour bâtir des infrastructures modernes et améliorer le niveau de vie de ses citoyens.

La RDC, à l’inverse, s’enlise dans un cercle vicieux où la mauvaise gouvernance perpétue la pauvreté. Tant que les richesses du pays ne seront pas gérées avec rigueur et transparence, et tant que les revenus issus des ressources naturelles ne seront pas réinvestis dans le bien-être collectif, la population congolaise continuera de souffrir d’un retard de développement inacceptable au regard du potentiel du pays.

L’impact de la crise des valeurs sur les institutions

Au-delà des facteurs économiques, la crise que traverse la RDC est avant tout une crise de valeurs. L’exclusion progressive de l’expertise, de l’intégrité et du patriotisme dans la gestion des affaires publiques a conduit à la formation d’institutions fragiles, inefficaces et largement corrompues. En l’absence de ces principes fondamentaux, les institutions censées garantir la stabilité du pays et encadrer son développement ont progressivement perdu leur crédibilité et leur capacité d’action.

Dans le domaine de l’éducation, par exemple, la qualité de l’enseignement s’est effondrée en raison de la politisation des nominations et du manque de critères de performance. Au lieu de recruter des enseignants sur la base de leur compétence et de leur mérite, les affectations sont souvent influencées par des considérations clientélistes ou ethniques. Cette situation a un impact direct sur la formation des générations futures, qui reçoivent un enseignement de plus en plus médiocre et peu adapté aux exigences du monde moderne.

La santé publique souffre également de cette crise de valeurs. Alors que les structures hospitalières sont censées être des espaces de soins et de bien-être, elles sont souvent marquées par une gestion opaque et inefficace. Les détournements de fonds, l’absence de professionnalisme et le manque de rigueur dans l’administration des services médicaux compromettent l’accès aux soins pour une majorité de Congolais.

Dans le domaine de la gouvernance, l’influence des clans et des réseaux informels a remplacé la logique de compétence et de performance. L’appartenance à un groupe ethnique, à une famille politique ou à un réseau d’amitié est souvent un facteur déterminant dans l’accession aux postes de responsabilité, reléguant au second plan les critères de qualification et d’intégrité. Ce phénomène a favorisé la montée en puissance d’une classe dirigeante incompétente, dont l’objectif principal est la préservation de ses intérêts personnels plutôt que le service de la nation.

Le résultat est un système où la médiocrité institutionnalisée empêche toute avancée significative. Là où d’autres pays mettent en avant l’innovation, l’excellence et la rigueur, la RDC a bâti un environnement où la complaisance, l’opportunisme et l’inertie règnent en maîtres. Les décisions politiques, au lieu d’être prises rapidement et efficacement, s’éternisent dans des querelles internes et des jeux de pouvoir, retardant les réformes essentielles pour le développement du pays.

En définitive, la crise de la RDC ne peut être réduite à un simple problème de ressources, d’économie ou de politique. Elle est avant tout une conséquence directe de l’effondrement des valeurs qui fondent une nation prospère. Si le pays veut sortir de cette spirale de sous-développement, il doit impérativement reconstruire des institutions fondées sur la compétence, l’intégrité et l’amour du bien commun. Sans un tel changement de paradigme, il sera impossible de transformer le potentiel de la RDC en une réalité tangible de développement pour ses citoyens.

Pourquoi la cohésion autour des individus est une impasse ?

Le développement d’un pays dépend largement de sa capacité à mobiliser et à valoriser ses compétences. Les nations prospères ont en commun de privilégier un système fondé sur la méritocratie, où l’accès aux responsabilités se fait sur la base des compétences et non des affiliations ethniques, politiques ou familiales. L’expertise et l’innovation y sont encouragées, ce qui favorise une administration efficace et une économie dynamique.

En RDC, la situation est bien différente. Le système éducatif, qui devrait être le principal levier de transformation sociale, souffre d’un recrutement et d’une promotion non compétitifs. L’attribution des postes académiques et administratifs dans les universités se fait souvent sur des critères de loyauté politique ou d’appartenance à un groupe d’influence, plutôt que sur l’excellence académique. Résultat : une baisse de la qualité de l’enseignement, une fuite des cerveaux vers d’autres pays et une incapacité à produire des innovations capables de soutenir le développement national.

L’histoire politique de la RDC illustre parfaitement les limites d’une nation qui construit son unité autour de figures individuelles plutôt que sur des valeurs durables. Depuis son indépendance, le pays a successivement été marqué par des leaders charismatiques, mais aucun d’eux n’a réussi à instaurer une stabilité institutionnelle durable. Les raisons de cet échec tiennent à la nature même du pouvoir individuel, qui est temporaire et sujet à des fluctuations.

En effet, les dirigeants politiques, aussi influents soient-ils, sont appelés à quitter un jour la scène, soit par la fin de leur mandat, soit par des circonstances imprévues. Lorsque la cohésion nationale repose essentiellement sur leur leadership, leur départ entraîne souvent une instabilité majeure, voire des luttes de pouvoir qui fragilisent davantage les institutions du pays. C’est ce qui s’est produit après la chute de Mobutu en 1997, et dans une certaine mesure après la transition entre Joseph Kabila et Félix Tshisekedi. L’absence de continuité dans la gouvernance, due à un manque de bases institutionnelles solides, empêche la mise en œuvre de réformes de long terme et condamne le pays à des crises récurrentes.

De plus, la personnalisation du pouvoir a pour corollaire le clientélisme et la corruption. Lorsqu’un leader politique devient la seule référence de la cohésion nationale, le système politique et administratif tend à s’organiser autour de sa personne plutôt qu’autour des principes de bonne gouvernance. Cela favorise l’émergence de réseaux d’intérêts qui accaparent les ressources publiques pour leur propre profit, au détriment du développement national. Ce phénomène a été observé sous divers régimes en RDC, où l’appartenance à un cercle de fidèles a souvent primé sur la compétence et l’intégrité.

Il est donc évident que la RDC ne peut bâtir un avenir stable et prospère en continuant à structurer sa cohésion nationale autour des leaders politiques. Le pays doit désormais opter pour une alternative plus durable : une cohésion fondée sur des valeurs universelles qui transcendent les individus et assurent la stabilité à long terme.

Les bénéfices d’une cohésion fondée sur les valeurs

Les nations qui ont réussi à bâtir des institutions solides et résilientes l’ont fait en plaçant des valeurs fondamentales au cœur de leur fonctionnement. Trois principes sont essentiels pour la RDC : compétence, intégrité et patriotisme.

Une société organisée autour de ces valeurs bénéficie d’un développement durable, car elle garantit que les ressources humaines et économiques sont utilisées de manière optimale. Lorsque la compétence est mise en avant, les décisions économiques et politiques sont prises par des experts qualifiés, capables d’élaborer des stratégies cohérentes et efficaces. L’intégrité permet de lutter contre la corruption et d’assurer une gestion transparente des biens publics. Enfin, le patriotisme favorise un engagement collectif en faveur de l’intérêt national, au-delà des clivages ethniques ou politiques.

L’un des principaux avantages d’une cohésion nationale fondée sur les valeurs est la création d’institutions solides et résilientes face aux crises politiques. Contrairement à un système où chaque changement de dirigeant entraîne un bouleversement complet, un État ancré dans des principes durables peut traverser les transitions sans instabilité majeure. Des pays comme l’Allemagne ou la Suède illustrent bien cette réalité : leur développement ne repose pas sur des figures politiques individuelles, mais sur des institutions robustes qui garantissent la continuité de la gouvernance.

Enfin, une société bâtie sur des valeurs fondamentales bénéficie d’une capacité d’adaptation et d’innovation accrue dans un monde en mutation. Lorsque l’éducation et la méritocratie sont mises en avant, la population est mieux préparée aux défis contemporains, notamment ceux liés aux nouvelles technologies et à la compétitivité internationale. Des pays comme la Corée du Sud ont su transformer leur économie en mettant l’accent sur l’éducation et l’innovation, ce qui leur a permis de passer d’une situation de sous-développement à une économie avancée en quelques décennies.

Si la RDC veut connaître une trajectoire similaire, elle doit impérativement redéfinir son modèle de cohésion nationale en l’ancrant dans des valeurs durables.

Conclusion

La République Démocratique du Congo se trouve à un tournant décisif de son histoire. Depuis des décennies, elle oscille entre crises politiques, économiques et institutionnelles, sans jamais parvenir à mettre en place un modèle de gouvernance stable et efficace. L’une des causes majeures de cette stagnation réside dans l’approche adoptée pour structurer la cohésion nationale : plutôt que de bâtir un État fondé sur des valeurs durables, la RDC a privilégié un système centré sur les figures politiques, avec toutes les dérives que cela implique. Aujourd’hui, il est impératif de faire un choix crucial: continuer dans cette voie avec ses limites et ses dangers, ou opter pour une refondation basée sur des principes universels tels que l’expertise, l’intégrité et le patriotisme.

Les exemples des pays développés démontrent qu’un développement durable repose avant tout sur des institutions solides et des valeurs partagées par l’ensemble de la population. Lorsque la compétence est valorisée, que la gestion des affaires publiques est guidée par la transparence et que l’intérêt national est placé au-dessus des intérêts individuels, une nation est en mesure de transformer ses ressources en bien-être collectif. La RDC possède tous les atouts nécessaires pour amorcer une telle transformation, mais elle doit impérativement rompre avec le cercle vicieux de la personnalisation du pouvoir, du clientélisme et de la médiocrité institutionnalisée.

L’urgence de la réforme ne peut être sous-estimée. Sans un changement profond des mentalités et des structures institutionnelles, la RDC continuera de s’enliser dans un cycle de crises, où chaque transition politique sera synonyme d’instabilité et de conflits d’intérêts. La situation actuelle du pays, marquée par la pauvreté, l’insécurité et l’inefficacité administrative, est une preuve éclatante des limites du modèle en place. Le retard accumulé par la RDC dans de nombreux domaines ne peut être rattrapé qu’à travers une révolution des valeurs, plaçant la compétence et l’éthique au centre du fonctionnement de l’État et de la société.

Ce combat pour une nouvelle cohésion nationale ne peut être mené sans l’engagement de l’élite congolaise, qui a la responsabilité historique de mener cette transformation. Les intellectuels, les entrepreneurs, les acteurs de la société civile et la diaspora doivent être les fers de lance d’un changement structurel profond. Il ne s’agit pas d’attendre que les réformes viennent d’un gouvernement souvent paralysé par des intérêts politiques, mais plutôt de créer une dynamique collective où les valeurs de mérite, de discipline et d’engagement national deviennent des normes incontournables.

Le développement d’un pays ne se décrète pas, il se construit sur la durée, à travers des institutions fortes et des citoyens engagés. Il est donc temps que la RDC tourne la page d’un modèle qui a échoué et s’engage résolument dans une transformation fondée sur les valeurs et non sur les hommes. Seule cette voie peut garantir un avenir prospère et durable à la nation congolaise.

Dr. John M. Ulimwengu

Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)

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