Tribunes Économiques

Climat : Le nouveau cadre que la RDC doit mettre sur la table à la prochaine COP

À l’heure où le monde suffoque sous des vagues de chaleur meurtrières, des incendies incontrôlables et des tempêtes qui effacent des nations entières de la carte, une vérité fondamentale demeure trop souvent étouffée par le bruit des crises. Les nations qui assurent encore l’équilibre climatique planétaire sont, paradoxalement, celles que l’on réduit à leurs difficultés internes, comme si leur stabilité écologique n’était qu’un détail secondaire. Pourtant, ce sont elles qui maintiennent le système terrestre sur une ligne de crête duquel dépend le niveau de vie de l’humanité entière. Elles protègent des écosystèmes vitaux pour le reste du monde, tandis que leurs propres citoyens, vivant dans ou autour de ces zones préservées au nom de l’intérêt global, supportent en silence les sacrifices et les renoncements qu’exige cette responsabilité.

Dans le même temps, la communauté internationale semble attendre que les principaux responsables du désastre climatique, les grands pollueurs historiques, décident enfin d’agir et d’en assumer le coût. Cela revient à confier à l’incendiaire lui-même l’extinction du brasier. Les puissances industrielles redoutent tout effort qui pourrait éroder leurs économies, entamer leurs profits ou remettre en question des modèles de croissance construits sur l’extractivisme et l’épuisement de la nature. Leur stratégie est bien rodée : promettre, temporiser, minimiser la transformation, et laisser les autres payer pendant que la catastrophe s’intensifie.

Au cœur du continent africain, la forêt du Bassin du Congo incarne cette injustice planétaire. Elle absorbe chaque année des milliards de tonnes de CO₂, constitue le dernier grand poumon encore pleinement fonctionnel de l’humanité, se montre plus résiliente que l’Amazonie et moins ravagée que Bornéo. Ses tourbières renferment des quantités de carbone dépassant les émissions annuelles mondiales. Ses rivières structurent les cycles de pluie d’une partie du continent, de l’Afrique australe au Sahel. La planète tient debout parce que la RDC tient bon.

Pourtant, depuis trois décennies de gouvernance climatique, les sommets internationaux accumulent les actes symboliques. Les Conférences des Parties produisent signatures élégantes, fonds promis puis jamais débloqués, mécanismes de marché détournés par ceux-là mêmes qui aggravent la crise. Même le dernier sommet de Belém, COP30, a repoussé encore la transformation indispensable en se contentant d’engagements partiels pour 2035, sans calendrier ferme pour sortir des énergies fossiles ni mesures crédibles contre la déforestation.

Face à cette impasse, il est vital que les nations gardiennes comme la République démocratique du Congo cessent d’être les spectatrices sous-payées de leur propre héroïsme écologique. Elles ne peuvent plus être vues comme les remparts sacrificiels de la planète, mais comme l’un de ses centres stratégiques. Elles sont le poumon qui maintient la vie sur Terre. Elles doivent devenir le cerveau qui repense la gouvernance climatique. L’équation est simple : protéger la planète ne doit plus rimer avec appauvrir ceux qui la protègent déjà.

Le temps est venu d’exiger des engagements financiers réels, transparents, contraignants et durables, capables de réparer les torts passés et de valoriser le rôle inestimable que jouent ces pays pour la survie de tous. La clé réside dans une reformulation ambitieuse du dialogue climatique mondial, qui reconnaisse enfin la valeur stratégique des gardiens du vivant. Et aucune nation n’est mieux placée pour incarner cette parole nouvelle que la RDC, sentinelle silencieuse de l’équilibre de la planète.

Une solution simple, 1 % qui change tout

Pendant que les négociations climatiques s’enlisent dans des promesses ajournées, une solution d’une simplicité déconcertante se trouve déjà entre nos mains. Faire ce que le monde fait tous les jours: acheter. À chaque transaction, 1 % consacré à la protection de la planète. Pas de nouvelles institutions tentaculaires. Pas de diplomatie paralysante. Pas d’attente du bon vouloir des plus riches. La contribution est automatique, régulière, ancrée dans la vie quotidienne.

Ce système existe déjà. Chaque pays perçoit la TVA, la taxe sur la valeur ajoutée. Chaque citoyen, sans même y penser, finance les routes, les écoles, la sécurité. Il suffit de flécher 1 % de cette consommation vers la réparation du climat. Sans paperasse supplémentaire. Sans redevances obscures. Sans dépendre d’une élection ou d’un changement de gouvernement à l’autre bout du monde.

Un pour cent. À l’échelle mondiale, cela représente un flux d’au moins mille milliards de dollars par an. Pour la première fois, le climat cesserait d’être une campagne humanitaire et deviendrait une politique de financement robuste, prévisible, enfin digne de l’ampleur de la crise. Le monde pourrait arrêter de supplier et commencer à agir.

La RDC n’arrive donc pas à la prochaine COP pour quémander un soutien incertain. Elle arrive avec une solution clé en main à l’échec répété des engagements internationaux. Un mécanisme qui fonctionne dès demain matin, sans restructurer la planète. Un mécanisme qui dit ceci : si nous consommons la Terre, nous devons payer sa survie.

Récompenser ceux qui protègent et soutenir ceux qui subissent

La protection du climat ne se fait pas dans les salles de conférence des capitales mondiales. Elle se fait dans les villages qui veillent sur la forêt, dans les provinces qui subissent les inondations, dans les territoires où chaque arbre conservé coûte un repas ou une école. En RDC, ce sont les communautés locales, les chefs coutumiers, les gouvernements provinciaux qui assurent la résistance quotidienne contre la destruction des écosystèmes dont le monde entier dépend.

Pourtant, ce sont ces mêmes acteurs qui ne voient jamais arriver les financements promis. Les budgets internationaux se perdent trop souvent dans les labyrinthes de l’administration centrale ou disparaissent dans les lenteurs bureaucratiques. La proposition congolaise renverse cette logique. Les fonds issus du 1 % global vont directement là où la protection est réelle, là où la vulnérabilité est visible, là où les efforts sont mesurables. Les provinces écologiquement stratégiques ne sont plus spectatrices, elles deviennent les destinataires naturels.

Cette nouvelle architecture du climat établit enfin une règle de justice: plus tu protèges, plus tu reçois. Une province qui préserve une tourbière gagne de manière stable et transparente. Une région qui investit dans le solaire augmente ses allocations. Une communauté qui subit des sécheresses ou des tempêtes fréquentes obtient les moyens de s’adapter sans mendier auprès de donateurs volatils. La valeur écologique n’est plus un discours, elle devient un revenu durable.

Ce modèle met fin à une hypocrisie historique. Jusqu’ici, les pays riches détruisaient leurs forêts, enrichissaient leurs industries et demandaient aux autres de préserver gratuitement les dernières protections du climat. La RDC propose l’inverse: ceux qui protègent deviennent ceux que le monde finance. Ceux qui souffrent deviennent ceux que le monde soutient. Ceux qui stabilisent le climat deviennent ceux que le système récompense.

Ce n’est plus de l’aide. C’est un droit écologique. Un droit fondé sur la réalité physique de la planète, et non sur la charité politique des puissants.

L’innovation mondiale, l’Indice d’Allocation Climatique

Le véritable pouvoir d’une contribution universelle d’un pour cent apparaît lorsque l’on observe comment l’argent circule dans des situations concrètes. L’Indice d’Allocation Climatique dirige les ressources vers les régions qui protègent la biodiversité, accélèrent la transition énergétique ou subissent les impacts les plus violents du réchauffement. Le principe est simple. Il mesure ce qu’un territoire apporte à la stabilité du climat et ce qu’il endure de ses dérèglements.

D’un point de vue mathématique, tout peut se résumer en une ligne accessible à tous

CAI(i) = w1 F(i) + w2 R(i) + w3 V(i)

F représente la valeur écologique, notamment les forêts et les tourbières. R reflète la participation aux énergies renouvelables. V correspond à la vulnérabilité climatique. Les poids w1, w2 et w3 sont les priorités mondiales, et ils forment toujours un ensemble égal à un. Les valeurs du CAI pour toutes les régions réunies forment aussi un ensemble égal à un. Chaque écosystème compte. Aucun n’est oublié. L’équité cesse d’être une revendication, elle devient une règle.

Une fois la part de chaque région déterminée, le financement suit automatiquement

Droit(i) = GPP × CAI(i)

GPP désigne le Fonds Mondial de Contribution à la Pollution, alimenté par le un pour cent. Aucune négociation supplémentaire. Aucun favoritisme. Une règle mondiale livre ce qui est dû.

Prenons un exemple concret pour mesurer la force de ce système. Supposons un fonds mondial de cent milliards de dollars. Trois provinces existent. A et B dans un premier pays. C dans un second pays. Les données écologiques mondiales montrent que A protège d’importants forêts, B avance vite en énergie renouvelable, C subit une vulnérabilité extrême. Avec des poids égaux, A obtient 26,6 milliards, B 31,6 milliards et C 41,6 milliards. Le total atteint exactement cent milliards parce que la logique du système le garantit.

Regardons maintenant la richesse nationale. Le premier pays collecte quatre-vingt-dix milliards grâce au un pour cent, car son économie est forte. Il couvre sans difficulté les droits de A et B, puis verse un surplus de 31,7 milliards dans un fonds de redistribution. Le second pays, plus pauvre, ne collecte que dix milliards. Ce montant est insuffisant pour financer les 41,6 milliards qui reviennent à C. Le fonds commun complète automatiquement les 31,6 milliards manquants. C reçoit la totalité de son droit, non ce que son pays peut se permettre.

Cet exemple révèle trois vérités fondamentales. L’argent cesse de punir les régions pauvres mais essentielles. Chaque année, le financement devient prévisible pour les écosystèmes qui protègent déjà l’humanité. Et surtout, aucun territoire ne perd jamais sa garantie. Même si l’économie s’effondre. Même si le pouvoir politique change. Même si les priorités diplomatiques s’inversent. La forêt continue à être protégée. La côte vulnérable continue à se défendre.

Quel que soit le scénario retenu par le monde, le système reste juste. Si la priorité devient la préservation des forêts, les territoires qui stockent le carbone reçoivent davantage. Si la priorité devient l’énergie propre, les régions en transition sont récompensées. Si la priorité devient la justice face à la souffrance climatique, les victimes du réchauffement sont placées au centre. Le mécanisme s’adapte aux besoins du futur tout en respectant chaque droit écologique.

Exemple simplifié de fonctionnement de l’allocation

ÉlémentProvince AProvince BProvince C
PaysPays 1Pays 1Pays 2
Rôle climatique principalForêts et biodiversitéTransition énergétique rapideForte vulnérabilité
Part d’importance écologique mondiale0,2660,3160,416
Allocation dans un fonds mondial de 100 milliards26,6 milliards31,6 milliards41,6 milliards
Revenus intérieurs disponiblesCouvert par Pays 1Couvert par Pays 1Seulement 10 milliards
Soutien du fonds de redistributionAucun nécessaireAucun nécessaire31,6 milliards ajoutés
Résultat finalAllocation complète reçueAllocation complète reçueAllocation complète reçue

Le système ne récompense pas la richesse, il récompense la protection du vivant. Et la RDC en devient naturellement l’un des premiers bénéficiaires.

Antalya 2026

Depuis trente années de Conférences des Parties, les discours s’empilent plus vite que les résultats. Les promesses de financement fondent comme la glace de l’Arctique. Les pays qui ont le moins contribué au réchauffement climatique sont paradoxalement ceux que l’on somme de défendre les derniers remparts écologiques de la planète sans moyens adéquats. Ce cycle d’impuissance répétée doit cesser. Et c’est à Antalya que peut commencer la rupture.

La RDC ne doit plus se présenter à la prochaine COP en quête d’une aide conditionnelle, liée aux caprices géopolitiques du moment. Elle doit surprendre tout le monde et y arriver avec cette architecture financière nouvelle, moderne, stable et réalisable, à la hauteur du danger climatique qui menace l’humanité entière. Une architecture qui réoriente le moteur générateur des fonds d’un modèle centré sur les États vers un modèle centré sur les citoyens, en transférant la gestion des financements depuis les administrations nationales ou les grandes entreprises vers les provinces et les régions, là où se joue réellement la protection des écosystèmes. Des garde-fous institutionnels proposés garantiront transparence, équité, efficacité et redevabilité. Une contribution mondiale collectée automatiquement. Une allocation qui récompense les territoires protecteurs et sécurise les communautés qui en portent la charge. Une solution qui transforme le courage écologique en sécurité économique.

Cette vision exige bien avent la COP une alliance inédite. La RDC, avec le Brésil et la Malaisie, forme la grande coalition des trois poumons de la Terre. Ensemble, ces nations gardiennes concentrent une puissance écologique irremplaçable et représentent la dernière ligne de défense du climat mondial. Unies, elles peuvent imposer que les financements suivent enfin la logique physique de la nature plutôt que les privilèges politiques de quelques États hyperémetteurs. Elles peuvent faire passer la justice climatique du statut d’ambition proclamée à celui de règle structurante.

La RDC ne doit plus demander une place à la table. Elle doit apporter la table. Et inviter le monde à s’y asseoir pour bâtir un avenir respirable.

Jo M. Sekimonyo, PhD

Économiste politique, théoricien, militant des droits humains et écrivain. Chancelier de l’Université Lumumba.

roi makoko

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