Le protocole d’accord signé récemment entre le Rwanda et l’Union Européenne marquerait un jalon important dans la coopération internationale autour des chaînes de valeur durables pour les matières premières.
Ce protocole d’accord (https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/ip_24_822 ) établit une coopération étroite entre l’UE et le Rwanda dans les cinq domaines suivants:
i) l’intégration de chaînes de valeur durables pour les matières premières et le soutien à la diversification économique, garantissant le bon fonctionnement et la durabilité de ces chaînes de valeur;
ii) la coopération en vue de parvenir à une production et une valorisation durables et responsables des matières premières critiques et stratégiques. Ce point couvre notamment le renforcement du devoir de diligence et de la traçabilité, la collaboration dans la lutte contre le trafic illicite de matières premières et l’alignement sur les normes internationales en matière environnementale, sociale et de gouvernance;
iii) la mobilisation de fonds en faveur du déploiement des infrastructures nécessaires au développement des chaînes de valeur pour les matières premières, y compris en améliorant le climat d’investissement;
iv) la recherche et l’innovation, ainsi que le partage des connaissances et des technologies liées à l’exploration, à l’extraction, au raffinage, à la transformation, à la valorisation et au recyclage durables des matières premières critiques et stratégiques, à leur remplacement, à la gestion des déchets et au suivi des risques liés à l’approvisionnement;
v) le renforcement de la capacité à faire respecter les règles applicables, en améliorant la formation et les compétences liées à la chaîne de valeur pour les matières premières critiques et stratégiques.
Pour des raisons évidentes, cet accord est perçu par des Congolais comme une stratégie déguisée pour que le Rwanda, un pays avec des ressources naturelles limitées comparativement, puisse s’associer à l’UE pour exploiter les vastes ressources de la RDC. Cette perception est exacerbée par les tensions historiques et les conflits liés aux ressources naturelles dans la région.
Potentiel de la RDC pour contrecarrer l’accord
La RDC, dotée d’un vaste potentiel en matières premières telles que le coltan, le cobalt, le cuivre, le colombo-tantalite, et le diamant, possède les moyens de rendre cet accord non-opérationnel. Avec une politique industrielle intelligente, des institutions fortes, et un capital humain de haute qualité, la RDC peut développer sa propre chaîne de valeur durable qui non seulement rivalise avec celle proposée par l’accord Rwanda-UE mais la rend également obsolète. La RDC devrait adopter une posture proactive plutôt que réactive face aux initiatives internationales susceptibles d’affecter ses intérêts.
Plutôt que de répondre de manière épidermique à des accords tels que celui signé entre le Rwanda et l’UE, la RDC doit élaborer et mettre en œuvre des stratégies à long terme qui anticipent et dépassent ces développements. Cela implique une analyse en profondeur des tendances globales dans les secteurs des matières premières et des chaînes de valeur durables, ainsi qu’une réflexion stratégique sur les meilleures façons de positionner le pays comme un acteur clé et autonome dans ces domaines.
Installation de parcs technologiques
Une des réponses stratégiques majeures réside dans l’installation de parcs technologiques en RDC. Ces parcs, axés sur l’innovation et la technologie, pourraient servir de catalyseurs pour la transformation des matières premières sur place. En créant un écosystème favorable à l’innovation, à la recherche et au développement, la RDC peut favoriser l’émergence de nouvelles entreprises et industries qui maîtrisent les chaînes de valeur des matériaux critiques, depuis l’extraction jusqu’à la transformation et la commercialisation.
Pour capitaliser sur ses abondantes ressources naturelles, la mise en place de parcs technologiques dédiés à la maîtrise des chaînes de valeur des matériaux critiques est essentielle. Ces parcs devraient se concentrer sur les secteurs clés tels que les minéraux stratégiques (coltan, cobalt, cuivre, etc.) et intégrer des centres de recherche, des incubateurs d’entreprises, ainsi que des installations de formation technique et professionnelle. En développant des compétences locales et en attirant des investissements dans ces secteurs à haute valeur ajoutée, la RDC pourrait non seulement augmenter la valeur de ses exportations mais aussi créer des emplois qualifiés et stimuler le développement économique durable.
En adoptant une stratégie proactive, centrée sur l’innovation et la valorisation des ressources, la RDC a l’opportunité de transformer ses défis en véritables leviers de croissance et de développement. L’installation de parcs technologiques représente une étape cruciale dans cette démarche, permettant au pays de s’affirmer comme un leader dans la maîtrise des chaînes de valeur durables pour les matières premières.
En mettant en œuvre ces stratégies, la RDC ne se contente pas de rendre obsolète le protocole d’accord entre le Rwanda et l’UE ; elle pose les bases d’une économie résiliente, innovante et tournée vers l’avenir, capable de répondre de manière autonome à ses besoins de développement tout en jouant un rôle de premier plan sur la scène internationale.
Parcs technologiques comme incubateurs d’innovation
Les parcs technologiques en RDC devraient être envisagés comme des incubateurs dédiés à l’innovation, la recherche et le développement. Leur rôle serait crucial dans la transformation des matières premières en produits à haute valeur ajoutée, contribuant directement à l’évolution de l’économie nationale vers des secteurs de pointe. Ces parcs pourraient faciliter des partenariats stratégiques entre le gouvernement, le secteur privé, et les établissements universitaires, créant un écosystème dynamique et innovant.
En mettant l’accent sur des industries telles que l’électronique, l’énergie renouvelable, et l’automobile, qui dépendent largement de matériaux stratégiques comme le cobalt et le lithium, ces parcs technologiques pourraient accélérer le développement industriel de la RDC. Ceci permettrait non seulement de diversifier l’économie mais aussi de réduire la dépendance à l’exportation de matières premières non transformées.
La création et le succès des parcs technologiques nécessiteraient des investissements substantiels dans les infrastructures, l’éducation, et le développement de cadres politiques et réglementaires attractifs pour les investisseurs, tant nationaux qu’internationaux. Ces investissements sont essentiels pour fournir les bases nécessaires à l’innovation et à la compétitivité sur le marché global.
Les bénéfices attendus de ces parcs technologiques sont multiples. Non seulement ils généreraient des revenus significatifs et créeraient des emplois de qualité, mais ils positionneraient également la RDC comme un leader mondial dans les industries stratégiques. Cela renforcerait son indépendance économique et augmenterait son influence géopolitique, offrant au pays une nouvelle stature sur la scène internationale.
L’implémentation de parcs technologiques en RDC, en tant que stratégie proactive pour contrer l’influence du protocole d’accord entre le Rwanda et l’UE, offre une voie prometteuse pour le développement économique durable et l’autonomie technologique de la RDC.
En capitalisant sur ses ressources naturelles abondantes et en les transformant en produits de grande valeur au sein du pays, la RDC peut non seulement rendre obsolète l’accord en question mais aussi s’établir comme un pionnier dans les industries de demain. Cette démarche nécessite une vision à long terme, un engagement politique solide, et des investissements stratégiques dans les domaines clés de l’innovation, de l’éducation, et de l’infrastructure.
Conclusion
La conclusion de cette note se concentre sur un aspect fondamental pour la République Démocratique du Congo (RDC) afin de renforcer sa position économique et politique à l’échelle internationale, en particulier en réponse au protocole d’accord signé entre le Rwanda et l’Union Européenne sur les chaînes de valeur durables pour les matières premières.
Ce dernier point souligne l’importance cruciale des institutions fortes et intègres pour la réalisation des objectifs stratégiques de la RDC. En effet, la mise en place d’institutions fortes, transparentes, et responsables est primordiale pour la RDC, surtout dans le contexte actuel où le pays doit maximiser l’exploitation et la valorisation de ses ressources naturelles tout en contrant les influences externes telles que le protocole d’accord Rwanda-UE.
Des institutions solides sont le fondement sur lequel repose une gouvernance efficace, capable de mettre en œuvre des politiques économiques et sociales durables, de réguler et de promouvoir des industries stratégiques, et de protéger les droits et les intérêts des Congolais et des entreprises congolaises.
Pour la RDC, l’investissement dans les institutions fortes et de grande qualité est un élément clé pour notamment rendre obsolète le protocole d’accord signé entre le Rwanda et l’UE. En consolidant ses fondements démocratiques et en assurant une gouvernance efficace et transparente, la RDC peut mieux naviguer dans le paysage géopolitique complexe, maximiser le potentiel de ses ressources naturelles, et assurer son développement économique et social durable. L’intégrité des institutions est au cœur de cette démarche, permettant non seulement de renforcer l’autonomie de la RDC mais aussi de positionner le pays comme un acteur majeur et respecté sur la scène internationale.
Dr. John M. Ulimwengu
Chargé de recherches senior – Institut international de recherche sur les politiques alimentaires (IFPRI)
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