RDC : Les contraintes structurelles à la transformation structurelle de l’économie par le secteur agricole

Transformation structurelle et développement   

Il est établi aussi bien sur le plan théorique qu’empirique que la transformation structurelle est un facteur clé pour atteindre les Objectifs de Développement Durable (ODDs). Définie comme un changement progressif de la composition et de la valeur de la production, une transformation structurelle réussie permet aux pays d’augmenter leurs revenus et, finalement, d’améliorer de manière durable les conditions de vie de leur population. De même, l’incapacité de certaines économies à réaliser une transformation structurelle réussie explique en grande partie pourquoi certains pays sont systématiquement derrière les autres par rapport au processus de développement économique.

L’industrie manufacturière, en particulier la spécialisation dans les produits manufacturés haut de gamme, est considérée comme l’un des principaux moteurs de transformation structurelle et donc du développement économique. Le principal argument est que le changement structurel stimule le développement économique et que l’industrie manufacturière joue un rôle clé et induit le changement structurel propice à la croissance. Rodrik (2007) présente quelques faits stylisés sur le développement économique et développe un modèle qui place le changement structurel comme la principale force motrice du développement économique. Le modèle de Rodrik souligne également le rôle central du secteur manufacturier non traditionnel en tant que moteur de la croissance économique et de la transformation structurelle. Il identifie un certain nombre de régularités dans la littérature empirique sur la croissance et le changement structurel. Avant tout, il souligne le rôle du secteur manufacturier dans le développement économique en démontrant que non seulement les pays avec un secteur manufacturier relativement important croissent plus vite que ceux avec un secteur relativement réduit. Fagerberg (2000) montre que les pays qui ont pu se lancer dans la production des produits manufacturés les plus avancés sur le plan technologique (l’électronique) ont connu une croissance de productivité supérieure à la moyenne.

Selon Timmer (2017), la transformation structurelle implique quatre caractéristiques principales:

• une part décroissante de l’agriculture dans la production et l’emploi;

• une part croissante de l’activité économique urbaine dans l’industrie et les services modernes;

• migration des travailleurs ruraux vers les zones urbaines; et

• une transition démographique des taux de mortalité et de naissance.

A cause de l’augmentation de la productivité et donc de la production qui accompagne tout processus de transformation structurelle, l’accès au marche devient un élément important pour soutenir cet effort. Garretsen et Bosker (2012) ont démontré que l’accès aux marchés était en effet un déterminant important du développement économique de l’Afrique subsaharienne. En effet, les pays avec un accès au marché plus élevé ont généralement un PIB par travailleur plus élevé. Dans leur spécification la plus conservatrice, ils ont trouvé qu’une augmentation de 1% de l’accès au marché d’un pays en Afrique au Sud du Sahara est associée à une augmentation de 0,03% de son PIB par travailleur.

L’absence de transformation structurelle observée en République démocratique du Congo est le résultat d’une faiblesse ou d’un manque de diversification et de spécialisation qui sont des piliers indispensables pour protéger l’économie contre les chocs et leurs effets dévastateurs. Le défi pour la RDC est de savoir comment capitaliser sur ses abondantes ressources naturelles afin d’accélérer la transformation de son économie pour réaliser les ODDs. De toute évidence, sa dotation en ressources agricoles n’est pas suffisante pour déclencher une transformation structurelle réussie, car ce changement nécessite également des ressources intangibles, telles que l’esprit d’entreprise, la R&D, l’accès à l’information, la qualité de la gouvernance et un environnement économique propice.  Dans ce chapitre, il sera questions de l’accès aux marchés des produits agricoles.

Par rapport à la transformation structurelle, le secteur agricole est indispensable même pour les économies riches en ressources minières (par exemple, l’Indonésie, le Chili et le Nigéria). Toutefois, la transformation du secteur agricole lui-même nécessite non seulement une gamme d’investissements dans l’agriculture (recherche et développement, services de vulgarisation, irrigation, politiques de distribution des intrants, etc.) mais aussi des investissements pour l’agriculture, notamment les infrastructures de transport, l’énergie, etc.

Compte tenu de la croissance de sa population, la RDC sera bientôt confrontée à un défi stratégique pour soutenir la transformation des chaînes de valeur agricoles de base et de l’agro-industrie pour stimuler la modernisation et la croissance du secteur agricole. Le défi stratégique est de savoir comment réussir la transition entre: (a) une situation où depuis des années les paysans appliquent les mêmes pratiques, produisent la même gamme étroite de produits, vendent sur les mêmes marchés locaux, subissent une baisse des prix et manque de rentabilité et continuent d’opérer sur des superficies de très petites tailles pour (b) une situation où certaines operateurs parviendront finalement à améliorer la qualité des produits, à accroître la rentabilité et augmenter en taille grâce à l’innovation dans les technologies de production ainsi que les pratiques de gestion.

Contraintes structurelles.

Malgré certaines améliorations, comme l’augmentation de la production d’eau urbaine de 30% entre 2006 et 2013 et de l’approvisionnement en électricité de 28% entre 2007 et 2014, le pays se classe au dernier rang dans presque toutes les mesures de couverture des infrastructures, même par les normes de l’Afrique subsaharienne. Les lacunes sont particulièrement importantes dans le transport routier, l’approvisionnement en électricité et l’accès à l’eau potable. Le pays est presque entièrement enclavé et les mauvaises conditions des infrastructures de transport aggravent l’isolement géographique et les inégalités sociales et économiques à travers entre les régions urbaines et rurales. L’un des plus grands défis de l’infrastructure est la production d’électricité. Seulement 15% de la population a accès à l’électricité et les entreprises considèrent que la fourniture d’électricité est une contrainte majeure. De plus, il y a des problèmes de fiabilité de la distribution d’énergie. Les coupures d’électricité se produisent en moyenne 10 jours par mois. Le taux de pénétration d’Internet n’est que de 1,7 utilisateur pour 100 habitants et le pays est derrière la plupart des homologues régionaux en matière d’accès à Internet et aux services de téléphonie fixe ou mobile.

Comme souligné par Marivoet et al. (2018), pour redynamiser avec succès le secteur agricole, les infrastructures de transport doivent être améliorées de manière substantielle, afin de permettre aux agriculteurs d’accéder aux marchés des intrants et des produits. En général, les conditions des routes en RDC sont très mauvaises (Figure 1). La plupart des territoires disposent de moins d’un km de routes pavées, et la plupart des routes non-pavées sont de mauvaise qualité. A quelques exceptions près, toutefois. Les 350 km de Route Nationale (RN1) au Kongo-Central constituent un lien économique vital connectant les ports de Boma et Matadi à la capitale. L’extension de la RN1 vers Kikwit est également au-dessus de la norme moyenne du pays, créant un couloir économique accessible dans la province de Kwilu. Au Sud-Est, une autre route s’étend du Haut-Katanga aux territoires bordant le lac au Tanganyika. Et enfin, de nombreux territoires autour de la ville de Kindu au Maniema disposent de portions acceptables de routes pavées et non-pavées. Il convient de noter qu’en dépit de leurs infrastructures routières légèrement meilleures, ces régions n’ont pas de meilleures performances en termes de production agricole. C’est pourquoi, bien que les infrastructures de transport soient un facteur nécessaire pour augmenter la production agricole, de nombreuses autres conditions doivent également être réunies.

L’accès à l’électricité est une de ces conditions. A l’exception de certaines villes majeures et d’une poignée de territoires, de nombreux Congolais sont littéralement dans le noir. La situation est légèrement meilleure au Kongo-Central, où au moins 5 pour cent des ménages ont accès à l’électricité dans plusieurs territoires (Figure 2a). Deux territoires proches de Lubumbashi, l’un au Maniema et l’autre au Nord-Kivu, ont des taux d’accès de 16 à 35 pour cent. En ce qui concerne l’eau potable, la situation globale est nettement meilleure – bien que de nombreux territoires ne disposent pour l’heure d’aucun accès à l’eau potable (Figure 2b). Ces territoires sont situés au Kwango, au Kasaï, au Sankuru, au Lualaba, au Haut-Lomami, au Bas-Uele et au Sud Ubangi. Les résultats suggèrent également que des taux plus élevés d’accès à l’eau potable se retrouvent dans les zones où l’accès à l’électricité est meilleur, et dans les territoires proches des grandes villes telles que Kikwit, Bandundu, Gbadolite, Likasi, Goma et Bukavu.

Le secteur bancaire est en général très peu développé, particulièrement dans les zones rurales (Figure 2c). La plupart des territoires dans les anciennes provinces d’Equateur et du Nord et Sud-Kivu, par exemple, manque totalement de services bancaires commerciaux. Le faible taux de pénétration du secteur bancaire est principalement dû à la faible activité économique du pays, qui apporte peu de motivation aux banques pour s’installer dans les zones les plus éloignées du pays. Le système foncier en RDC fait probablement partie des raisons qui empêchent même les ménages qui possèdent des titres fonciers sécurisés de les utiliser comme garantie pour effectuer des emprunts (Figure 2d). En effet, dans la grande majorité des provinces, moins d’une exploitation agricole sur cinq possède un titre foncier officiel. Manifestement, la propriété de ces titres fonciers semble être plus faible dans une bande centrale qui s’étend du Nord au Sud, où les taux sont de 5 pour cent ou moins. Les taux d’accession à la propriété sont légèrement plus élevés à l’Est et à l’Ouest du pays.

FIGURE 1. Infrastructures routières

a. Routes pavées par 100.000 habitants (km), 2016                b. Portions de routes de bonne ou moyenne qualité (%), 2016

Source : CAID (2016).

FIGURE 2. Infrastructures de base et services

a. Part des ménages ayant accès à l’électricité (%), 2016           b. Part des ménages ayant accès à l’eau potable (%), 2016                                                                                                    

c. Disponibilité des services bancaires, 2014                                            d. Part des ménages agricoles qui possèdent des titres de propriété écrits (%), 2012-2013

Sources : CAID (2016) ; République Démocratique du Congo, Ministère des Finances (2014) ; et République Démocratique du Congo, Ministère du Plan et Suivi de la Mise en Œuvre de la Révolution de la Modernité (2014b).

Stratégie de développement par les agglomérations

Il existe un consensus sur le fait que les entreprises qui font partie d’une agglomération géographiquement délimitée bénéficient de leur appartenance à cette agglomération et que ces avantages se traduisent par une croissance de la production économique de cette région. Ces avantages découlent de la colocalisation ou de la proximité géographique qui, à son tour, réduit les coûts des intrants pour les entreprises par les économies d’agglomération et facilite les retombées de connaissances qui génèrent l’innovation et une productivité accrue. Par conséquent, les entreprises évoluant dans ces agglomérations seront plus compétitives et les régions dotées de agglomérations plus efficaces connaîtront une croissance plus importante. Certaines de ces agglomérations prennent la forme des zones économiques spéciales (ZES) qui ont propulsé la transformation économique en Asie de l’Est, en particulier en Chine, ont le potentiel de contribuer au secteur agricole grâce i) au transfert de technologie aux petits agriculteurs et aux entreprises de transformation le long des chaînes de valeur agricoles; ii) au transfert de compétences et de connaissances dans l’économie rurale par le biais de formations professionnelles agricoles et non-agricoles; iii) le développement d’une économie rurale non agricole induite par l’amélioration des infrastructures; iv) possibilité de mettre en œuvre de nouvelles politiques ou d’introduire des réformes qui auraient autrement été impossibles. De par sa conception, le développement par agglomérations rassemble des infrastructures, des institutions, des innovations, des connaissances et un capital humain de haute qualité qui créent un environnement commercial propice à une production, une transformation et une distribution agricoles efficaces pour les grandes et les petites exploitations agricoles. Le Tableau ci-dessous donne un résumé des innovations et politiques associées avec les différentes phases d’un développement agricole par l’approche des agglomérations. 

PhaseInnovationsRésultatsPolitiques et actions prioritaires
InitialeImitation de technologie étrangère, production de produits de qualité inferieureProduction interne de pièces, composants et produits finauxOuverture de l’accès aux  marchés pour réduire les coûts de transactionFormation professionnelle pour améliorer les pratiques de gestionInfrastructure: routes, communication, électricité pour réduire les coûts d’exploitation
Expansion de la productionEntrée d’un certain nombre d’entreprises, imitation accrue de technologies avec stagnation de la productivitéDéveloppement progressif des transactions de marché et formation d’un cluster industriel
Amélioration de la qualitéInnovations à multiples facettes, sortie d’entreprises non innovantes et augmentation de la productivité et des exportationsEtablissement de la réputation et des marques, vente directe, sous-traitance ou intégration verticale et émergence de grandes entreprisesTransfert de connaissances depuis l’étranger, zones industrielles, accès au crédit, propriété intellectuelle

Source: Badiane and McMillan (2016), based on Sonobe and Otsuka (2006)

Conclusion

Pour booster l’accès aux marches et ainsi propulser la transformation structurelle par le secteur agricole, les interventions clés à court et à moyen terme doivent inclure les innovations politiques et institutionnelles et les investissements connexes. Celles-ci ideront les entrepreneurs à acquérir les compétences et les outils nécessaires pour améliorer la commercialisation des produits et conquérir une grande partie de la demande alimentaire urbaine; et créer des opportunités d’apprentissage pour améliorer les pratiques techniques et de gestion, notamment grâce à un accès rapide à la formation professionnelle. Ces interventions peuvent aider à atténuer les pressions à la baisse sur les ventes, les prix et les bénéfices pendant la phase d’expansion des quantités.

Une transition réussie vers la phase d’amélioration de la qualité nécessitera des interventions politiques et réglementaires plus ciblées pour promouvoir et faire respecter les normes et standards de qualité et protéger les droits de propriété afin d’encourager les innovations. La RDC devra également investir dans des infrastructures de formation professionnelle pour intégrer la mise à niveau et le développement des compétences tout au long des chaînes de valeur agricoles, y compris une formation avancée en contrôle qualité, marketing, comptabilité, gestion du travail et pratique de base de l’ingénierie agricole. Au début de la phase d’amélioration de la qualité, il est particulièrement important de s’efforcer de faciliter l’apprentissage à l’étranger ainsi que l’importation et l’adaptation de technologies étrangères de pays plus avancés, en particulier des pays récemment industrialisés, grâce à la recherche et à la formation adaptatives. À ce stade du processus de développement des entreprises, l’accès au crédit pour financer la croissance, les droits de propriété pour stimuler l’innovation et l’accès à une alimentation électrique fiable et économique doivent être sensiblement améliorés.

Il faut souligner que l’incapacité à favoriser la croissance et la maturation des entreprises dans le secteur émergent de la transformation des aliments de base entraînerait un blocage du processus de transformation. Cela limiterait à son tour la capacité des secteurs nationaux à concurrencer une part de la demande urbaine croissante contre les fournisseurs étrangers. Cela priverait les petits exploitants d’une source majeure de croissance future des revenus et limiterait considérablement les options de modernisation du secteur agricole.

Enfin, une stratégie pour promouvoir l’intégration des petits exploitants dans les chaînes de valeur, pour les marchés nationaux ou mondiaux, doit cibler le développement de trois catégories de compétences requises pour les organisations de petits exploitants:

  1. Le développement de compétences techniques pour leur permettre: (i) de rechercher et d’appliquer des technologies améliorées en étant directement en contact avec les fournisseurs de technologies; et (ii) de revendiquer une plus grande part de la valeur ajoutée par la transformation en répondant aux exigences techniques des entreprises de transformation tierces ou en maîtrisant les opérations techniques de leurs propres unités de transformation.
  2. Le développement de compétences commerciales pour leur permettre d’acquérir la capacité de: (i) travailler avec des prestataires de services financiers pour répondre aux besoins en capital et en assurance de leurs exploitations; (ii) renforcer leurs positions de négociation avec les commerçants et les exportateurs; et, si possible, (iii) accroître de manière compétitive leur participation aux activités de commerce et d’exportation.
  3. Le développement de compétences organisationnelles et institutionnelles pour: (i) éviter l’érosion du capital social; (ii) atteindre le niveau d’efficacité de gouvernance et de coordination requis par une plus grande participation aux chaînes de valeur; et (iii) améliorer l’efficacité et l’efficience de la prestation de services.

Dr. John M. Ulimwengu
Chercheur principal à l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, basé à Washington, DC.

https://www.ifpri.org/profile/john-ulimwengu

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